« Quand on fait partie d’un groupe punk, personne ne vous questionne jamais sur l’écriture des chansons. »

C’est ce que déplore Jonah Falco, batteur des F***ed Up. Depuis ses débuts sur la scène hardcore de Toronto au début des années 2000, le groupe a fait couler beaucoup d’encre. Au début, en raison de ses spectacles imprévisibles et parfois violents, dont le chanteur Damian Abraham sortait la tête en sang, pour avoir été banni des installations de MTV après une prestation particulièrement mouvementée dans un studio et qui a causé d’importants dommages, et pour son nom, que la plupart des journaux n’osent même pas imprimer. Autrement dit, parce qu’il est punk.

Après avoir signé chez Matador Records en 2008, l’attention s’est portée davantage sur leur musique, surtout pour souligner à quel point elle est « non-punk ». Le disque The Chemistry of Common Life, avec sa superposition ambitieuse de textures et de chansons non conformistes et longues (c’est-à-dire, de plus de trois minutes), a remporté le Prix de la musique Polaris 2009 et, en 2011, David Comes to Life, « opéra rock » auto-proclamé, a été nommé album no 1 de l’année par le magazine Spin. Aujourd’hui, le groupe, encensé par la critique pour avoir repoussé les frontières du hardcore, présente Glass Boys, une réflexion sur l’âge et l’ambition à la fois crue et complexe. 

« Je voulais que ce disque parle de la prise de conscience que, à l’âge de 32 ans, on est probablement devenu celui qu’on aurait détesté à 22 ans. » – Damian Abraham de F***ed Up

« Je voulais que ce disque parle de la prise de conscience que, à l’âge de 32 ans, on est probablement devenu celui qu’on aurait détesté à 22 ans, » explique Abraham, qui partage l’écriture avec le guitariste Mike Haliechuk. « Les chansons parlent de vieillir et d’avoir à accepter que les choses qui avaient autrefois du sens n’en ont plus tellement maintenant. C’est étrange pour moi, mais j’ai franchi des étapes dans le processus de l’écriture que je n’avais jamais traversées auparavant. J’hésite à employer le mot de transformation mais je dois dire que je me sens beaucoup mieux aujourd’hui. »

Avec ses six membres à temps plein (dont le guitariste Josh Zucker, la bassiste Sandy Miranda et le guitariste/chanteur Ben Cook), F***ed Up a vite compris qu’improviser tous ensemble dans une pièce sur des idées de chanson ne menait à rien. L’écriture a donc évolué vers un processus où les membres se séparent puis se retrouvent. « Nous avons écrit l’essentiel du disque à cinq, l’avons peaufiné à trois, puis l’avons enregistré presque tous séparément, » dit Falco.

Si l’écriture de chansons ne semble pas vraiment rimer avec le genre « hardcore », essayez cet autre rapprochement incongru : F***ed Up mettant en vedette Gord Downie. La collaboration du chanteur des Tragically Hip constitue le dernier ajout dans la tradition du groupe, qui fait souvent appel à des chanteurs invités, dont Dallas Green (Alexisonfire, City & Colour) Sebastien Grainger (Death from Above 1979), Katie Stelmanis (Austra) et J. Mascis (Dinosaur Jr.), dont les voix complètent et contrastent avec le style criard et brute d’Abraham. Les invités participent souvent dès le début au processus d’écriture de Damian.

« Quand j’écris et que j’entends les paroles dans ma tête, je vois où elles s’insèrent dans la chanson et normalement il y a plusieurs voix qui chantent, dit-il. Ce n’est jamais ma propre voix. Ça vient plus tard pour moi, presque comme une traduction, dans le studio. Et j’ai eu la chance extraordinaire de pouvoir joindre ces personnes et de leur demander, “j’ai une chanson pour toi, viendrais-tu pour que je puisse t’accompagner de ma voix?” C’est presque comme aller à la pêche. »

Abraham a d’abord rencontré Downie en tant que client dans un magasin de location de vidéos dans lequel il travaillait. Par la suite, les deux musiciens ont pu échanger en coulisse à l’occasion d’un concert de City & Colour, puis ont amorcé une correspondance régulière par courriel. Quand Damian a envoyé à Downie les paroles de « The Art of the Patron », et lui a demandé de les chanter, Gordon a accepté d’emblée. « Je n’ai jamais traité une fois avec un gérant ou une étiquette de disques. Il s’est tout simplement présenté. C’est un gars terre à terre absolument surprenant et sympathique. C’était presque irréel de découvrir à quel point tout a été si normal. »

Normal. Un autre mot pas très courant dans l’univers de ce groupe. F***ed Up a commencé comme un glorieux accident (et le demeure encore), une expérience qui a réussi bien au-delà de ce que rêvaient ses membres, alliant des sonorités musicales et des idées qui ne sont pas censées aller ensemble, mais qui le font. C’est l’esprit du punk rock tel qu’ils le voient – qui n’adhère à aucune convention de genres, mais qui, au contraire, les brise.

« On peut toujours infléchir les règles,  explique Falco. Ce qui caractérise F***ed Up c’est cette intersection conflictuelle entre le mélodieux et le non-mélodieux. C’est de vouloir trop en mettre, le nombre de pistes de guitare ou essayer quelque chose comme de mettre le pied dans un soulier trop serré. Essentiellement, c’est d’aller toujours au-delà de ce qui serait une dose raisonnable d’ambition. C’est comme de dire, ok, on a une bonne chanson. Cool, alors essayons de lui ajouter encore quelque chose! »

JONAH FALCO : LEÇONS APPRISES

  • Dites oui à tout ce qui se présente. « Quand on m’a invité à me joindre à F***ed Up, j’ai reçu ce message : Sais-tu jouer de la batterie et en as-tu une? J’ai répondu oui aux deux questions, mais c’était faux dans les deux cas. »
  • S’entourer de mystère. F***ed Up a utilisé au début de faux noms de membres, créé un logo énigmatique et fait paraître sa musique dans des éditions très limitées avec un minimum d’indications sur ses collaborateurs. « Quand on rend l’information difficile à trouver, ça crée une demande. »
  • Lors de l’écriture et de l’enregistrement, prenez tout votre temps pour peaufiner vos chansons à votre entière satisfaction. « Une fois la séance de studio terminée, vous ne pourrez plus rien y changer. »

FAITS SAILLANTS
Éditeur :
Songs of Beggars Music, Mattitunes Music (ASCAP)
Discographie : Hidden World (2006), The Chemistry of Common Life (2008), David Comes to Life (2011), Glass Boys (2014)
Membre de la SOCAN depuis 2005 (Cook), 2006 (Haliechuck, Zucker), 2007 (Falco), 2008 (Miranda), 2010 (Abraham).
Visitez www.fuckedup.cc

 



Francesco Yates est un jeune chanteur originaire de Toronto qui pourrait bien être la prochaine révélation pop et de R&B. Il a commencé à jouer de la musique à onze ans, ce qui est rapidement devenu sa vie, ayant signé son premier contrat avec la maison de disques Atlantic Records à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, à seulement 18 ans, il inspire déjà les éloges de magazines d’avant-garde comme Complex, Billboard, The Source et MTV U.K., ainsi que des compliments d’importants artistes de la musique pop comme Pharrell Williams, Timbaland et Justin Timberlake. « Mon but est de rendre les gens heureux avec ma musique, dit Francesco Yates. Si je peux susciter une émotion chez les gens grâce à ma musique ou en jouant sur scène, alors j’ai accompli mon travail. » Courez voir Francesco Yates lors de sa tournée cet automne avec le chanteur de R&B texan, SoMo.



À deux heures de l’après-midi, Xavier Dufour Thériault flânait toujours dans son lit en attendant l’appel du journaliste. Chanteur et bassiste au sein de la formation rock Gazoline, le musicien est une denrée rare. Alors que la tendance est à l’auteur-compositeur-interprète évoluant en solo, un choix souvent plus payant et plus facile à coordonner que la vie de groupe, Gazoline donne de surcroît dans un rock assumé et en marge des courants de l’heure comme le folk, la pop ou le rap.

Depuis la fin de la vague rock des années 2000 sur laquelle ont surfé les Strokes, les Hives, les Whites Stripes ou Malajube, les Breastfeeders et Le Nombre au Québec, plusieurs stipulent que le rock est au point mort, voire à l’agonie. « On en parlait récemment avec Xavier Caféïne (réalisateur du premier album homonyme de Gazoline). Il n’y a rien de plus rock & roll et baveux en 2014 que d’écrire une bonne toune rock. Ça prend des couilles, parce que plus personne ne le fait en français, et c’est là que Gazoline intervient. On parle de la mort du rock? Moi je vois un vide à combler, une ouverture même. »

« On parle de la mort du rock? Moi je vois un vide à combler, une ouverture même. » – Xavier Dufour Thériault de Gazoline

Le musicien originaire du Saguenay n’a pas tort. Depuis que Gazoline s’est installé à Montréal, le groupe s’est rendu en finale des Francouvertes, a lancé un premier disque remarqué par les médias et a vu plusieurs chansons se faufiler sur les ondes de NRJ, dont « Ces gens qui dansent ». Accrocheuse, la pièce a même permis au trio de devenir le Buzz NRJ du mois de mars 2014.

« NRJ a effectué un virage rock en janvier dernier pour se démarquer des autres radios commerciales, qui font toujours jouer les mêmes artistes pop, » explique Geneviève Moreau, directrice musicale de la station. » Après la montée de lait des membres des Respectables qui sentaient le rock boudé par les radios commerciales en 2009, le changement de cap a de quoi réjouir les amateurs de distorsion.

« C’est certain qu’on n’est pas aussi rock que CHOM, mais le mot se passe dans l’industrie. On reçoit davantage de démos provenant de jeunes groupes rock francophones. Il semble y avoir une nouvelle vague d’artistes moins nichés dans leur son. Après l’omniprésence du rock garage des années 2000, Gazoline offre des compositions plus pop, » commente Geneviève Moreau qui avoue également avoir un faible pour Mordicus. « J’aime les influences britanniques de leur album (Cri Primal paru en février). Le groupe me rappelle Oasis, et prouve que la palette rock québécoise s’agrandit. »

Derrière le son de Mordicus réside surtout l’envie de se démarquer selon Martin Moe, le bassiste du groupe originaire de Chicoutimi. « Comme on vient du Saguenay, si on a le malheur de donner dans les gros riffs gras, on va tout de suite se faire comparer à Fred Fortin et Galaxie. Avec Cri Primal, notre but était de prendre le rock britannique et le blues américain, les fusionner et bien les faire sonner en français. »

Selon le chanteur du groupe, Maxime Desrosiers, la diffusion radio plus soutenue des chansons de Mordicus à NRJ et Radio X ont déjà un impact sur la jeune carrière du groupe. « Les répercussions se mesurent facilement sur YouTube et les réseaux sociaux. On le sent aussi dans nos shows. C’est comme si soudainement, les spectateurs connaissaient certaines de nos chansons par cœur. »

À l’autre bout du spectre de la bande FM, les exemples sont différents, mais la tendance persiste selon Benoît Poirier, le directeur musical de la radio des étudiants de l’Université de Montréal (CISM). « Après quelques années de vache maigre, j’ai reçu beaucoup plus d’albums rock au cours du premier trimestre de 2014, » confie celui qui joue, dans une vie parallèle, de la batterie au sein du groupe rock explosif Jesuslesfilles.