Les lauréats du Prix Excellence SOCAN 2017, Bryan Adams et Jim Vallance, ont passé les 35 dernières années à écrire ensemble certains des plus grands succès de l’histoire de la musique pop/rock. Bryan Adams est sans contredit un des artistes canadiens ayant connu le plus de succès, ses albums s’étant écoulés à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde, monde qu’il a parcouru de long en large lors de ses tournées, en plus de gagner 20 JUNOs et d’innombrables nominations aux Grammys, aux Golden Globes, et aux Oscars. Il a également reçu l’Ordre du Canada et le Prix du gouverneur général pour les arts de la scène. Après un hiatus de plusieurs années, Vallance et Adams ont remis l’épaule à la roue et nous ont offert un autre magnifique simple l’an dernier, « You Belong to Me », et ils travaillent actuellement sur une comédie musicale destinée à Broadway. Et malgré tout cela, les premières paroles de Bryan Adams alors qu’il était sur scène lors des SOCAN Awards afin d’accepter son prix — après avoir visionné quatre clips célébrant sa fructueuse carrière diffusés tout au long du gala — furent, à la blague, il va de soi « quel tas de bêtises ! » Car, voyez-vous, la création musicale, pour lui, si plaisante soit-elle, c’est simplement son métier. La SOCAN s’est brièvement entretenue avec Bryan Adams dans les coulisses du gala et en voici une retranscription.

Words & Music : Comment Jim Vallance et vous-même avez-vous créé « You Belong to Me » ?
Bryan Adams :
Un de mes amis est réalisateur à L.A. Il travaillait sur un pilote de série télé et voulait des chansons qui semblent sorties des années 60. Nous lui en avons proposé quelques-unes et celle-là faisait partie du lot. La chanson a vu le jour, mais pas la série.

W& M : Pouvez-vous nous parler de la comédie musicale sur laquelle vous collaborez actuellement avec Jim Vallance ?
Adams :
Nous avons écrit probablement autour d’une trentaine de chansons dont environ 22 vont se retrouver dans la production finale. C’est une adaptation pour la scène du film Pretty Woman et on n’y entend aucune des chansons qui étaient dans le film. Ce sont toutes de nouvelles chansons, car ces chansons servent à raconter l’histoire de Vivian et Edward.

W& M : Jim et vous venez de recevoir un prix pour vos 35 ans de collaboration, et vous voilà de nouveau en train d’écrire ensemble, devant un nouveau défi, un nouvel objectif.
Adams :
Je ne vois pas ça de cette manière. Pour moi il s’agit d’un seul et même périple. Lorsque Jim a pris sa retraite, j’ai trouvé d’autres manières d’exprimer ma créativité, et c’est uniquement de cela qu’il est question. Trouver des choses créatives à faire. J’adore l’expérience de créer quelque chose à partir de rien.

 

W& M : Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec Jim Vallance dans un magasin de musique Long & McQuade de Vancouver…

W& M : Selon le calcul de Jim Vallance, vous avez passé environ 100 000 heures à écrire des chansons ensemble. En 1984, vous passiez 12 heures par jour, 7 jours sur 7 à l’écriture de chansons. Vous deviez être très ambitieux et déterminé.
Adams :
Pas du tout. C’est n’importe quoi! C’est ce que je fais, c’est tout. Je me lève et j’écris de la musique. Je ne me lève pas pour me rendre au bureau. C’est une vraie joie pour moi de travailler chaque jour.

Jim Vallance and Bryan Adams



Beyries

Photo: Fany Ducharme

On dit souvent qu’en 2017, les compositeurs font face à un défi de taille parce que tout aurait déjà été dit, particulièrement en musique folk. Réinventer la roue serait quasi impossible. Quinze ans de journalisme musique tendent à confirmer l’hypothèse. Avec le temps, le critique de disque finit même par abandonner sa quête d’originalité au profit d’une recherche d’authenticité. C’est en montrant ce qu’il a dans le ventre que l’artiste se distingue. Ça passe autant par les sons que par la dynamique de jeu, l’énergie et la sensibilité. Lorsque les éléments sont réunis, même l’oreille la plus critique aura l’impression de découvrir quelque chose de neuf.

Dans le lecteur depuis une minute et 34 secondes à peine, le premier disque de Beyries lancé en février 2017 touche la cible. Jusqu’à ce moment sombre et fragile, la première pièce de l’album, Alone, déploie alors ses ailes dans une montée mélodique à donner la chair de poule. Comme si un rayon de lumière venait de transpercer la mélancolie, donnant une tout autre dimension au piano, à la guitare et la voix d’Amélie Beyries. Devant l’adversité qui abreuve ses chansons, l’auteure-compositrice-interprète répond avec une résilience et une force de caractère toutes personnelles, poignantes.

Puis l’information arrive telle une clé du casse-tête. La musicienne de 38 ans a fait mille et un métiers avant d’avoir le courage de partager ses chansons. Seul un cancer du sein sévère, avec récidive, a changé la donne, poussant la musicienne dans ses derniers retranchements d’où elle émergea avec sous le bras le magnifique Landing, un album cathartique.

« Je lâche prise sur ce que je ne contrôle pas. Je suis beaucoup moins dure avec les autres et avec moi-même. »

« Les médias ont abondamment parlé du fait que j’avais eu le cancer, que je ne l’avais pas eu facile.  Mais des gens qui souffrent, il y en a partout. Ça peut être la maladie, la mort, un divorce, une dépression… Pour moi, la question la plus importante demeure : que feras-tu de ta souffrance ? Mon album est un processus de l’après, une croissance post-traumatique. »

Beyries l’avoue sans filtre, il n’y a pas que sa profession qui a changé après l’annonce du diagnostic. « Je vais aujourd’hui dans des zones où je ne serais jamais allée avant la maladie. Ma vision de l’échec a complètement changé. Je lâche prise sur ce que je ne contrôle pas. Je suis beaucoup moins dure avec les autres et avec moi-même. J’accueille les mauvaises nouvelles et les imprévus de manière beaucoup plus zen. Par contre, je me rends compte que j’ai beaucoup moins de patience avec les gens qui passent toujours leur temps à chialer contre les mêmes maudites affaires. À un certain moment, il faut arrêter de se victimiser, ça donne rien et ça nous empêche d’avancer. »

En transformant sa souffrance en sagesse, Beyries débarque dans le milieu de la musique avec un bagage dont rêverait un jeune de 20 ans. « Débuter une carrière musicale avec un peu plus d’expérience de vie te permet de mieux voir la marde venir. Quand je me retrouve en concert vitrine à Paris, Londres ou New York et que presque personne n’écoute dans la salle parce que c’est bar open depuis deux heures, j’arrive à rester concentrer et à me dire que j’ai besoin d’une seule personne attentive pour que ça vaille la peine. À mon âge, tu deviens plus analytique. Tu apprends à ne pas te prendre au sérieux. C’est plus facile de se poser les bonnes questions et de se rappeler pourquoi on fait ça. »

La maturité n’a toutefois pas empêché Beyries de vivre ses premiers pas de musicienne envahie par un sentiment d’imposteur. « J’ai un sentiment d’étrangeté, mais de grand bonheur en même temps. Ça m’a pris la reconnaissance de gens qualifiés (dont Alex McMahon qui a réalisé Landing et Louis-Jean Cormier qui y chante une pièce en duo avec Beyries, J’aurai cent ans, finaliste au Prix de la chanson SOCAN 2017) pour que je commence à croire que j’avais ma place. Depuis la sortie du disque, je n’ai reçu aucun commentaire négatif. Au fond, je pense que peu importe ton âge, si tu arrives avec une proposition personnelle, tu pourras faire ta place. »

La musique folk a beau afficher plusieurs décennies au compteur, tout reste encore à faire pour l’artiste qui mettra ses tripes sur la table. Landing le prouve à chaque tour dans le lecteur.



Avis au néophyte pour qui on devrait encore déboulonner le mythe de la communauté métal perçue comme les enfants du diable, Michel Langevin de Voivod est probablement votre joueur le plus convaincant. Tout d’abord, parce qu’il cumule l’une des feuilles de route les plus impressionnantes parmi ceux qui versent dans le genre ; deuxièmement, parce qu’il semble doté d’une capacité à rester d’un cool pratiquement déconcertant dans à peu près toutes les situations. Et même lorsqu’il glisse dans la conversation « On est un peu considérés comme des légendes vivantes lorsqu’on débarque dans les festivals de métal », on ne peut qu’acquiescer en le trouvant d’autant plus attachant.

Comptant 35 ans de carrière (!) et martelant toujours son rock aussi promptement, des milliers de concerts aux quatre coins du globe derrière le hi-hat, et une attitude décomplexée et d’une humilité qui dépasse pratiquement l’entendement, Voivod est résolument dans classe à part.

Rétrospective d’un guerrier – sur trois décennies.

De l’importance des thèmes

Voivod

Cela dit, sur le plan artistique, Langevin – alias « Away » – carbure sur l’excitation du prochain album à venir, à vouloir surpasser ce qui précède. Particulièrement, selon ses dires, avec la plus récente mouture qui compte à ses côtés Denis Bélanger (Snake) aux vocalises, de retour depuis 2002 après une pause de douze ans – et seul autre membre-fondateur avec Langevin – Daniel Mongrain (Chewy) à la guitare depuis 2008 et Dominique Laroche (Rocky) à la basse depuis 2014.

Si les changements de personnel peuvent souvent être perçus d’un mauvais œil, Langevin y voit plutôt une opportunité de se renouveler : « À chaque fois, je joue différemment quand le line-up change. Avec Newsted (de Metallica qui s’est joint à Voivod de 2002 à 2008), ça sonnait plus Black Sabbath. Avec Eric Forest (1994-2001), c’était plus Sepultura. Avec Blacky (Jean-Yves Thériault – 1982-1991, 2008-2014), son playing est plus punk, très Motörhead donc à chaque fois, je m’adapte et j’aime ça. Aujourd’hui, je dirais que c’est très progressif, à la limite jazz-métal. »

« C’est sûr que du double bass-drum ultra rapide sur 5-6 minutes, peut-être que dans cinq ans, ça va être plus rare, mais pour l’instant, on est capable de faire des tournées de trente dates sur de courtes périodes, en maintenant le cap ! », Michel Langevin, Voivod

Comme un seul homme

Voivod Logo PatchÀ travers les quelques changements de personnel, l’unique constante depuis 1982 demeure Langevin. Pourquoi? « Je me suis demandé plusieurs fois si je restais. Ce qui nous a sauvé en longévité c’est l’Europe, qui n’a jamais perdu son circuit de salles métal et de Festivals. On a un public super loyal et constant. Ici, le métal est plus en phase avec les courants, donc ça vient et ça va; là-bas, c’est en continu. On fait des Festivals partout avec Scorpions, Testament, Sepultura, Megadeth, Exodus, etc… À peu près tous les mêmes artistes qu’il y a trente ans. On est devenu un groupe de classique thrash-métal, c’est quand même le fun ! »

Du haut de ses 54 ans, l’homme ne semble pas prêt de raccrocher ses baguettes : « C’est sûr que du double bass-drum ultra rapide sur 5-6 minutes, peut-être que dans cinq ans, ça va être plus rare, mais pour l’instant, on est capable de faire des tournées de trente dates sur de courtes périodes, en maintenant le cap ! » Une cadence qui se maintient non sans une certaine modération du live fast, die young des premières tournées : « À la mi-trentaine, j’ai dû penser sérieusement à calmer le rythme qui vient avec la tournée, que je cesse le party parce que si je voulais jouer du thrash dans 20 ans, ça devenait essentiel. Tommy Aldridge (batteur de Whitesnake) et quelques autres sont des exemples à suivre.

Et la question qui tue : après 35 ans de métier, on s’en fait avec les critiques ? « Oui, quand même. Rendu où on est dans notre carrière, on peut juste composer la musique qu’on veut jouer, ce serait ridicule d’essayer de « se refaire » un nouveau son. On veut faire du bon Voivod avant tout. On se questionne après les enregistrements, et quand les critiques sont positives, ça valide un peu notre démarche. Je le prends avec beaucoup d’humilité. On est aussi très chanceux de pouvoir faire ce qu’on fait depuis aussi longtemps et encore pouvoir sortir du nouveau matériel. Et ça, je ne le prendrai jamais pour acquis. »

L’ingrédient du succès et d’une carrière soutenue? Manifestement, dans le cas qui nous concerne : des bras de fer et une lucidité à toute épreuve.

Voivod partagera la scène avec Metallica au Festival d’été de Québec, le 14 juillet 2017.