Quelles étaient les chances que la fusion des musiques africaines et country génère une vive amitié entre des Canadiens d’origines sénégalaises et écossaises?? C’est pourtant ce qui est arrivé à Élage Diouf et Johnny Reid, deux musiciens qu’un univers séparait, lorsqu’ils ont eu l’occasion de jouer ensemble.

Retour au 26 mars 2011. Soirée des prix Juno, à Toronto. Élage Diouf est dans la salle de banquet, discutant avec ses voisins de table lorsque soudainement, il s’arrête. Parmi les courts extraits qui présentent les artistes en nomination pour le prix « Album country de l’année », il remarque une superbe voix. C’est celle de Johnny Reid. « Quand j’ai entendu sa voix, j’ai su qu’elle était spéciale, qu’il allait gagner » raconte le musicien de Dakar installé à Montréal. Son flair ne le trompe pas?! Cinq minutes plus tard, c’est au tour d’Élage Diouf de monter sur la scène pour recevoir le prix Juno de « l’Album musiques du monde de l’année » pour son premier opus solo, Aksil. Les deux lauréats auront l’occasion de faire connaissance et d’échanger durant la soirée.

« On s’est rencontrés par la mélodie, par le trip musical, puis nous sommes devenus des amis » – Élage Diouf

Éliage Diouf, Johnny Reid

Photo : Federico Ciminari (Rendez-vous de CBC Montreal)

Juin 2011. Élage est élu la « Révélation Radio-Canada musiques du monde » édition 2011-2012. On lui donne le privilège de choisir un artiste anglophone avec lequel il souhaiterait concrétiser un projet musical. Il nomme Johnny Reid. Celui-ci est fort occupé, ayant lancé trois albums certifiés double platine consécutifs puis un DVD, mais il accepte de venir passer quelques jours à Montréal pour travailler avec Élage.

Avril 2012. Élage et Johnny se retrouvent au studio 12 de CBC à Montréal. Un puissant lien se tisse entre les deux hommes. « On s’est rencontrés par la mélodie, par le trip musical, puis nous sommes devenus des amis », raconte Élage. « Élage est incroyable?! Ce gars-là c’est comme le soleil?! Quelle âme magnifique?! Je suis entré dans la pièce et nous avons immédiatement connecté musicalement, personnellement, émotivement… Man, je n’ai jamais vécu rien de tel avant », se souvient Johnny avec son fort accent écossais qu’il n’a jamais perdu, bien qu’il ait quitté le Lanarkshire il y a bientôt 30 ans. « C’est vraiment spécial… Qui aurait pu deviner, tu sais?? Un sénégalais avec des dreadlocks et un écossais tout ce qu’il y a de plus ordinaire qui connectent à ce point… Voilà la meilleure preuve que la musique est plus forte que la race?; elle ne discrimine pas, elle unit les gens?! » renchérit-il, à la fois emballé et ému.

La chanson qu’ils créent ensemble, Just One Day, est une ballade universelle. Une pièce qui canalise une puissante énergie à travers les superbes voix de ces deux hommes. Un spectateur immortalise une partie du concert au Massey Hall de Toronto, témoignant du plaisir que les deux chanteurs partagent ensemble. C’est fusionnel, magique.

Le Canada, terre d’accueil de tous les musiciens

Élage et son frère Karim débarquent au Canada en 1996 engagés par le groupe Diamono Ballet pour une série de concerts au Québec. Ils aiment tellement le pays qu’ils décident de s’y installer. Les frangins feront la rencontre de Dédé Fortin et des Colocs et participeront à leur dernier opus, Dehors Novembre. Élage est crédité d’une partie du texte du célèbre reggae Tassez vous de d’là sur lequel il chante en wolof, avec Dédé. Les frères tourneront ensuite avec le Cirque du Soleil dans le spectacle Delirium, en Amérique du Nord, du Sud et en Europe. De retour à Montréal, Élage lance un premier album solo en 2011, puis Melokáane, paru il y a quelques semaines.

Johnny Reid, Élage Diouf

Photo : Federico Ciminari (Rendez-vous de CBC Montreal)

Johnny Reid, lui, est arrivé au Canada à l’âge de 13 ans, entraîné par un père mécanicien qui souhaitait un avenir meilleur pour sa famille. Reid passera quatre ans et demi au Québec, à l’Université Bishop à Lennoxville où il rencontre celle qui deviendra sa femme et la mère de ses enfants. Sa carrière musicale débute de façon modeste en 1997, réussissant quelques apparitions dans les palmarès country canadiens. C’est à partir de 2009 qu’il aligne les succès majeurs : cinq titres dans le top 20, puis Dance With Me se hisse au 1er rang des disques country et au 3e échelon de tous les albums canadiens, au moment de sa sortie. Deux autres albums sur étiquette EMI et deux recueils de chansons de Noël propulsent sa carrière aux États-Unis, totalisant plus d’un million d’albums vendus et bouclant à guichets fermés des tournées dans de nombreux arénas en Amérique du Nord. Johnny Reid habite maintenant à Nashville, au Tennessee.

Rencontre au-delà de la musique

Diouf et Reid font maintenant bien plus que de la musique ensemble. Ce sont des amis qui jasent de soccer de la ligue anglaise, qui blaguent, qui ont développé une belle complicité. « J’aime les gens. Lorsque je fais de la musique avec d’autres personnes, le talent est important. Mais lorsqu’il y a une connexion, c’est tellement mieux : on peut mieux communiquer, mieux connaître les goûts de la personne, mieux créer et ça multiplie les possibilités » explique le percussionniste et chanteur.

« Je suis incroyablement privilégié d’avoir la chance de vivre de la musique et de rencontrer des gens magnifiques comme Élage. La musique est un médium puissant, une plateforme incroyable pour parler d’amour et des choses positives du monde qui nous entoure. Je suis vraiment un homme privilégié d’avoir la vie que j’ai », renchérit le sympathique chanteur, père de quatre enfants.

L’aventure se poursuit pour les deux amis : Johnny Reid prépare une grande tournée canadienne d’une cinquantaine de dates durant l’hiver 2016. Il a invité Élage Diouf à joindre son groupe, lui permettant de faire rayonner son talent devant un nouveau public. Un très beau geste de cet homme authentique qui n’en est pas à son premier élan de générosité : en août dernier, comme le rapporte le site CBC News, il laissait tomber une partie de son cachet pour permettre aux organisateurs de Kuujjuaq de prévoir un concert dans le Grand Nord. L’expérience fut magique, autant pour ses fans que pour l’artiste. Comme quoi, il n’y a pas que l’argent dans la vie.

Johnny Reid lance un nouvel album le 13 novembre ayant pour titre What Love Is All About. On y sent plus que jamais les valeurs humanistes et l’amour (dans un couple, ou celui d’un ami, d’un parent, d’un enfant…) que l’auteur-compositeur-interprète porte en lui.

Une fois la tournée avec Reid terminée, Élage Diouf se replongera dans ses projets : il a en tête de monter une œuvre pour orchestre qui regrouperait plusieurs instruments qu’on entend rarement ensemble. « Il faut oser, innover, essayer de faire ce que personne n’a fait ». Élage doit également apprendre à gérer la récente célébrité qu’il connaît au Sénégal. « Les gens me reconnaissent dans la rue et m’interpellent par mon nom… C’est étrange, il faut que je m’habitue » dit-il, un grand sourire dans la voix.

L’avenir promet, pour ces deux hommes qui misent sur le positivisme et les valeurs humaines.

 

 



Bien avant l’avènement des mash-ups, les rockeurs canadiens The Kings ont connu le succès en combinant deux chansons différentes pour créer une pièce mémorable. Initialement, Elektra, leur label, a tenté de lancer « Switchin » to Glide » toute seule. Toutefois, le groupe avait toujours considéré cette pièce comme un enchaînement obligatoire après la pièce « This Beat Goes On », et ce n’est qu’après que les radios aient reçu les deux chansons enchaînées comme une seule pièce qu’elle a connu un immense succès commercial, passant plus de 20 semaines sur les palmarès Billboard. Le guitariste et cofondateur du groupe, John Picard – dont le nom de scène était Mister Zero – s’est remémoré le bon vieux temps et nous explique pourquoi, selon lui, être un « one hit wonder » est une source de fierté.

The Kings est sans aucun doute le seul groupe à pouvoir affirmer être originaire d’Oakville et de Vancouver. Comment vous êtes-vous rencontrés?
Je suis parolier et j’ai d’abord fait la connaissance de Sonny (Keyes, le claviériste) à Vancouver. C’est un pianiste remarquable qui écrit des chansons comme le font Elton John et Bernie Taupin, le genre de chanson où les mots viennent en premier. Nous avons commencé à collaborer et avons rapidement décidé que nous avions besoin d’un groupe. J’ai pensé à David [Diamond, basse et voix] avec qui j’allais au secondaire à Oakville. Je savais qu’il était dans un groupe hommage qui faisait la tournée des bars à temps plein. Sonny et moi lui avons présenté un démo et nous avons découvert que Dave était comme Sonny, un parolier hors pair. Il est donc devenu notre chanteur et avec l’arrivée de Max [Styles, batterie], nous sommes devenus WhistleKing, nom que nous avons plus tard changé pour The Kings.

Comment vous partagiez-vous la création des pièces?
Nous mettions tous l’épaule à la roue. Soit on a des idées ou on n’en a pas. Impossible de faire semblant. Heureusement pour nous, tous les membres du groupe étaient créatifs. Sonny et moi étions les principaux créateurs, mais on donnait une chance à toutes les idées de tous les membres. Nous faisons suffisamment confiance aux autres membres du groupe pour ça.

« Nous ne sommes jamais devenus millionnaires, mais nous avons une chanson que les gens adorent et qui a survécu aux époques. » – John Picard, The Kings

Comment était la scène musicale de l’époque? Comment vous sentez-vous, en tant qu’auteur-compositeur, lorsque vous interprétez les chansons des autres?
On se servait de ça pour jouer plus souvent, tu vois? On jouait du Cheap Trick, The Cars, des chansons d’Elvis Costello. On a aussi compris que lorsque tu crées un personnage, que tu donnes un bon « show », les propriétaires de bar aiment ça. Alors même si à la base on était un groupe « prog » un peu hippie, on était en mesure de donner des « shows » énergiques de chansons originales. On n’était pas un de ces groupes qui font des « covers » et qui poussent une de leurs chansons en plein milieu de leur « set ». On modifiait les chansons qu’on interprétait à notre sauce. Je n’ai jamais appris comment jouer le solo de guitare de quelqu’un d’autre. Je m’appropriais les chansons qu’on jouait. Comme nous adaptions nos « covers » à notre goût, la transition entre ces chansons et les nôtres était impeccable.

Vous dites que vous vous considériez comme un groupe « prog », mais pour bien des gens, The Kings était un groupe New Wave. Qu’en pensez-vous?
Le New Wave n’était qu’une étiquette de marketing, une mode passagère. Un peu comme dans les années 90 où tous les gens d’A&R se rendaient à Seattle pour trouver un groupe portant des chemises carreautées. Même chose avec le New Wave, mais c’étaient des cravates qu’on portait. On a commencé par jouer du bon vieux rock n’ roll, mais de fil en aiguille, on s’est mis à jouer des pièces plus « prog rock », des pièces plus longues. Puis, à un moment donné, on s’est dit « peut-être qu’on devrait essayer de composer des hits ».

Déjà, votre plus grand succès n’est pas une pièce pop typique de 3 minutes 30. Comment est-ce arrivé?
C’est bien vrai? « This Beat » et « Switchin » » n’étaient pas des pièces complètes en soi et on a pensé que ce serait chouette si on les joignait.

Quel a été l’apport de Bob Ezrin dans cette expérience?
Bob nous a tout appris sur l’art de l’enregistrement. On l’a rencontré au studio Nimbus 9, à Toronto, et il a emmené nos bandes avec lui chez Elektra Records à L.A. La petite histoire veut que lorsque les patrons du label l’ont écoutée, il y avait des jeunes juste à l’extérieur de leur bureau et ils se sont mis à danser. Et comme Bob venait tout juste de travailler sur l’album numéro 1 partout dans le monde – The Wall de Pink Floyd –, ils se sont dit « donnons-lui un budget pour enregistrer ces illustres inconnus ». Nous avions donc un budget.

Vous avez récemment lancé un DVD intitulé Anatomy of a One-Hit Wonder. Vous êtes en paix avec cette expression?
C’est plutôt une frappe préventive. [Rires] Nous voyons cela plutôt comme un honneur d’avoir connu un tel succès. Nous ne sommes jamais devenus millionnaires, mais nous avons une chanson que les gens adorent et qui a survécu aux époques. Quand on lit les commentaires des gens sous notre chanson sur YouTube, on constate bien que les gens ne nous ont pas oubliés, et juste pour ça, le jeu en a valu la chandelle. C’est quand même pas mal pour quelques gars de Toronto.



À priori, rien ne destinait Rafael Perez à devenir gérant d’artiste, propriétaire de label et encore moins éditeur. Ce natif de Québec est un peu venu à l’édition par hasard, fruit de rencontres déterminantes qui l’ont mené là où il est aujourd’hui, c’est-à-dire à la tête de Coyote Records, un des labels les plus intéressants au Québec grâce à un flair judicieux et à un catalogue diversifié.

Vous voulez des noms? Karim Ouellet pour commencer, celui par qui tout s’est mis en place, puis Klô Pelgag, Alfa Rococo, Antoine Corriveau, Claude Bégin, Julie Blanche, Félix Dyotte, Millimetrik, Ludo Pin, Peter Henry Phillips, Webster, Francis Faubert et plusieurs autres ont trouvé une niche à leur image chez Coyote Records, autrefois baptisé Abuzive Muzik.

Fort de plusieurs récompenses éloquentes, Coyote Records compte désormais parmi les acteurs les plus influents de la scène culturelle québécoise. « J’ai travaillé principalement dans le hip-hop jusqu’en 2010, au moment où j’ai signé Karim Ouellet et renommé ma boîte Coyote Records, qui était le nom de mon chien », précise Rafael Perez qui a d’abord commencé comme gérant du duo hip-hop Sagacité en 2006 avant de créer l’entité Abuzive Muzik et de devenir la référence hip-hop dans la Vieille Capitale où ce polyvalent touche-à-tout est encore basé aujourd’hui.

Coyote Records Logo« Karim Ouellet correspond au début de Coyote Records tel qu’on la connait aujourd’hui, c’est-à-dire une maison de disque plus généraliste, ouverte à différents styles musicaux bien que le hip-hop y ait toujours sa place. On fait de tout: un peu d’électronique, du reggae, du rock, de la pop, du folk », détaille Rafael Perez. «On s’est monté une écurie qui est assez diversifiée; on édite ainsi toutes sortes d’œuvres dans toutes sortes de réseaux aujourd’hui. On défend des styles qui sont plus populaires sur des réseaux commerciaux, mais on est aussi très présent dans les milieux alternatifs ».

Total néophyte à ses débuts, celui qui se dirigeait d’abord vers la restauration est aujourd’hui devenu un joueur clé de l’industrie du disque, un homme respecté par ses pairs et passionné par son métier, un métier qu’il a appris sur le tas, animé par une détermination sans borne et une passion indéfectible pour la musique en tous genres.

« Au départ, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’édition musicale. De fil en aiguille, j’ai commencé à m’y intéresser, de même qu’à la gérance et à la production de spectacles. J’ai suivi des formations à l’ADISQ, je me suis acheté plusieurs livres sur le sujet et c’est tranquillement devenu une passion. C’est à partir de là que je suis entré dans le fabuleux monde de la musique, de la production et de l’édition au Québec. Mais franchement, au début, j’arpentais un territoire complètement inconnu; je n’avais aucune idée de ce qu’était la SOCAN, SODRAC, SOPROQ, Musication, SODEC, Fonds RadioStar… Il y en avait tellement que ça en devenait étourdissant! ».

Humble, Rafael Perez admet qu’il a encore beaucoup à apprendre, mais sa perspicacité lui a jusqu’à présent permis de manœuvrer avec tact et stratégie à une époque où les changements sont rapides et où les acquis d’hier ne cadrent plus nécessairement avec ceux d’aujourd’hui.

« C’est certain qu’il va y avoir une période de chamboulements, mais avec le temps, avec une législation adéquate, on devrait revoir de beaux jours en musique. »

« La principale activité au sein de Coyote Records, c’est l’édition. Vendre des disques c’est de plus en plus compliqué et ça ne va certainement pas s’améliorer avec le temps. Nous, ce n’est pas notre force. Par contre, niveau édition, on se débrouille plutôt bien. Donc on est un éditeur avec une valeur ajoutée et non l’inverse comme c’est le cas dans d’autres maisons de disques ».

Réaliste et pragmatique, le patron de Coyote Records a une vision éclairée sur le métier et les défis qui l’attendent tout en demeurant bien conscient que la tâche ne sera pas toujours facile.

«Il y a beaucoup de défis auxquels l’industrie va devoir faire face. Les médias traditionnels, qui sont une source de revenus importante pour les créateurs et les éditeurs, sont en pleine mutation. Comme pour le disque, que les gens ont de plus en plus délaissé pour se tourner vers l’achat numérique et maintenant glisser vers le streaming, je pense que les auditeurs vont abandonner la radio classique pour peu à peu se tourner vers les radios internet ou satellites. Je crois que toute cette transition-là ne sera pas sans répercussions sur les revenus des créateurs. C’est la même histoire pour la télé.

« Donc la façon de rémunérer les gens change progressivement même si elle n’est pas toujours aussi équitable qu’elle devrait l’être. C’est certain qu’il va y avoir une période de chamboulements, mais avec le temps, avec une législation adéquate, on devrait revoir de beaux jours en musique. À moyen terme ça risque d’être difficile pour les créateurs et éditeurs, mais à long terme je suis confiant. »