On a naturellement tendance à penser surtout aux interprètes quand on pense au domaine de la musique, mais une part importante de la création sonore implique une équipe étendue, notamment des producteurs et des auteurs-compositeurs. Mais contrairement à ce qui se passe dans de nombreuses industries qui connaissent actuellement une croissance en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, les productrices s’identifiant en tant que femmes sont presque absentes au Canada. Éditeurs de musique au Canada (Music Publishers Canada, MPC) a reconnu cet état de fait et a décidé d’apporter un vent de changement.

Margaret McGuffin

Margaret McGuffin

« Il y a vraiment peu de productrices qui sont des femmes, des personnes au genre fluide, non binaires ou non conformes qui ont l’occasion de produire de la musique », explique Margaret McGuffin, chef de la direction de MPC. « L’étude USC Annenberg Inclusion Initiative a révélé qu’à peine 2,5 % des albums [aux États-Unis] sont produits par des femmes. Quant aux autrices-compositrices, ce nombre varie entre 12 et 15 pour cent, dépendant de l’année. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Nous pensons que ces chiffres sont encore plus bas au Canada, ce qui est un choc en soi, surtout quand on regarde à quel point les femmes ont du succès dans d’autres domaines. »

McGuffin estime que l’absence de productrices reflète sont autant d’opportunités manquées pour les créateurs de talent et, par conséquent, pour l’industrie elle-même. « De nombreuses femmes ne savent pas qu’il existe des possibilités dans ces domaines au moment d’entreprendre leur carrière ou leur éducation postsecondaire », dit-elle. « Et même une fois qu’elles ont une carrière, si elles ne voient pas de femmes dans ces rôles, elles ne peuvent pas saisir les opportunités qui existent. Ou peut-être aussi qu’elles ne se sentent pas à l’aise d’essayer d’en faire partie. »

« L’écriture de chansons, l’édition et la composition sont parmi les secrets les mieux gardés de l’industrie. Les gens connaissent les interprètes, les maisons de disques et même les agents, mais ils ne savent pas que nous avons tant d’auteurs, de compositeurs et de producteurs qui connaissent un succès remarquable par tout dans le monde. Nous essayons d’éduquer la population au sujet de ce segment de l’industrie de la musique. »

Sarah MacDougall

Sarah MacDougall

Créé en 2019, le programme Women in the Studio National Accelerator est une série d’ateliers traitant de sujets comme la formation technique, la création d’une image de marque, la littératie financière et les expériences créatives et de réseautage. Le programme est dirigé par trois des plus importantes éditrices de musique du pays, soit Vivian Barclay (Warner Chappell Music), Cheryl Link (peermusic Canada) et Mishelle Pack (Sony Music Canada). Au moment d’écrire ces lignes, l’équipe A&R de la SOCAN préparait une série de camps de création virtuels pour toutes les participantes.

Il y a autant de raisons de participer à ce programme qu’il y a de participantes. « Certaines possèdent déjà une formation technique approfondie et cherchent à maîtriser de nouvelles techniques », explique McGuffin. « La plupart souhaitent faire connaissance avec le reste de la communauté et réseauter. Pour d’autres, tout est axé sur la musique qu’elles souhaitent produire dans la mesure où personne en studio n’arrive à comprendre le son qu’elles entendent dans leur imagination. »

C’est le cas de l’autrice-compositrice-interprète Sarah MacDougall qui est également productrice depuis qu’elle a acheté un premier appareil quatre pistes quand elle avait 13 ans. Si les collaborations d’écriture l’ont aidée à grandir en tant qu’artiste, sa passion pour la production l’anime tout autant.

« J’ai étudié la production et la composition à l’université et au Banff Centre et j’ai également travaillé comme stagiaire et aide-ingénieur dans certains studios commerciaux », explique-t-elle. « J’ai produit et été l’ingénieure de mon premier album. J’ai travaillé dans un studio qui avait une console SSL 4000G et une superbe salle d’enregistrement en direct – et je me suis enregistrée dans la salle de contrôle pendant que le groupe était dans l’autre pièce. Depuis, j’ai fait beaucoup de collaborations et de coproductions. J’ai vraiment beaucoup appris au fil des ans. »

« En même temps, j’ai toujours rêvé d’avoir mon propre studio. Ces dernières années, j’ai pu transformer le premier étage de ma maison en studio, et je me suis vraiment replongée dans la production et l’ingénierie. J’aime vraiment créer une chanson du début à la fin, et collaborer avec d’autres auteurs-compositeurs de cette manière pour pouvoir sortir mes idées rapidement. Pour moi, la production est un des outils dans ma palette créative. »

Elisa Pangsaeng

Elisa Pangsaeng

Et tout comme MacDougall, Elisa Pangsaeng, une des participantes à l’édition 2021, est passionnée de production. « Quand tu produis – et encore plus quand tu t’occupes aussi de l’ingénierie du son –, tu peux non seulement raconter une histoire, mais tu peux aussi imaginer toutes les façons de raconter cette histoire. Tu as la chance de lui donner vie avec les couleurs de tous les instruments, l’orchestration, les musiciens et leurs personnalités, l’environnement et où tu places les micros, et ensuite comment tu traites les sons. La production est un art en soi, mais c’est aussi des mathématiques, de la science, de la technologie et de la psychologie. Il n’y a rien de plus satisfaisant pour un esprit créatif que la production. »

Elle espère que le programme Women in the Studio continuera à mettre en lumière des créatrices négligées. « J’aimerais que le discours sur les statistiques dans notre secteur change », dit-elle. « J’aimerais que les gens puissent arrêter de se demander où sont toutes les productrices “X”. On est juste ici, on est partout. Si tu travailles dans cette industrie et que tu penses que tu ne connais aucune productrice, c’est parce que tu ne donnes pas le mérite ou le titre qui revient à l’une d’entre nous. J’aimerais que ceux qui sont en mesure de le faire se demandent pourquoi ils ne travaillent pas avec davantage de femmes, de personnes non binaires ou de personnes de couleur, car il n’y a certainement aucune excuse pour ne pas le faire. Je pense que ce genre de programme a le potentiel de changer cette perception. »

Quant à McGuffin, cette série d’ateliers n’est pas simplement un programme, mais une communauté. « Tu ne peux pas juste t’en aller », dit-elle. « C’est notre troisième année. Le but est de bâtir une communauté. Tisser des liens avec les vétérans. On demande souvent aux anciennes participantes de venir à la rencontre des nouvelles. On reste en contact avec tout le monde. Bâtissons quelque chose qui durera plus longtemps que le programme lui-même.

Top Dix: Les participantes de l’édition 2021

  • Ava Kay
  • DJ Killa-Jewel (alias Julie Fainer)
  • Elisa Pangsaeng
  • Lana Winterhalt
  • Mour (alias Cassandra Zingone)
  • OBUXUM (alias Muxubo Mohamed)
  • Sadé Awele (alias Folasade Akinbami)
  • Sarah MacDougall
  • Sierra Noble
  • Steph Copeland