Dominique Fils-Aimé devait être en tournée, mais elle s’est plutôt retrouvée alitée de force. L’auteure-compositrice-interprète montréalaise s’est blessée et a dû annuler ses spectacles. Pendant qu’elle se concentrait sur sa convalescence et qu’elle ressentait « de la reconnaissance même à travers la douleur », quelque chose a commencé à poindre en elle : un quatrième album intitulé Our Roots Run Deep.

« J’ai tout écrit d’une traite, en une semaine », explique-t-elle alors que nous sommes au Dark Horse Espresso Bar durant un récent passage de l’artiste à Toronto. « Et ç’a été écrit dans l’ordre qu’on entend sur l’album, parce que l’histoire était entièrement formée dans ma tête, des racines jusqu’à l’idée que les humains font partie du monde des plantes, puis jusqu’à moi qui existe en tant que plante baignée par le soleil. » Dominique lève son regard vers le ciel et sourit. « Je m’imaginais les jeunes feuilles au sommet des arbres qui absorbent toute cette lumière. C’est comme ça que j’ai su que c’était un esprit qui me transcende. »

Dominique Fils-Aime, Our Roots Run Deep

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Our Roots Run Deep marque donc le début d’une nouvelle trilogie qui, cette fois-ci, sera articulée autour de son lien profond avec Mère Nature en tant que force de guérison, d’inspiration et d’amour, ainsi que du chakra du cœur. La philosophie des chakras a propulsé le travail de Fils-Aimé depuis le tout début et elle y fait souvent référence dans les premières étapes de création afin d’établir le thème, le message et l’énergie d’un album. Sa première trilogie a commencé avec Nameless (2018), inspiré par le bleu et le blues, suivi de Stay Tuned! (2019), un album rouge vif axé sur le jazz qui a reçu un JUNO, puis de Three Little Words (2021), dont le thème jaune soleil célèbre la soul, le disco et la liberté. Nous voilà rendus au vert bourgeonnant et au cœur.

« Dans le passé, je puisais tout ce que je pouvais dans les états émotionnels », explique l’artiste. « La résilience était une grande source d’inspiration pour moi. C’était une réflexion sur le fait que nos racines [celles de la diaspora africaine] sont beaucoup plus profondes que les 200 ans de traumatismes que nous avons traversés. Il y a bien plus de richesses intergénérationnelles que de traumatismes, et c’est ça qu’on utilise pour guérir et réussir à faire cohabiter le traumatisme et la joie. »

« Il y a eu beaucoup moins de travail intellectuel », poursuit-elle. « Moins de réflexion, plus d’émotions et d’amour. Tout tourne autour du cœur. Je pense que pour la première fois, j’ai été véritablement ouverte et vulnérable comme jamais avant. J’étais peut-être à 75 ou 80 pour cent, avant, là je m’approche du 95 %. C’est ça, le véritable périple. »

Dominique Fils-Aimé a bâti sa réputation en partie grâce à ses superpositions de voix qui ressemblent à autant de pétales, et chacun de ces pétales est sa propre voix, même lorsqu’on croirait entendre celle d’un homme. Elle travaille toujours avec Jacques Roy, celui qui l’aide à traduire ses émotions en orchestrations. « C’est mon chef d’orchestre depuis le début, alors il me connaît bien », confie-t-elle. « C’est aussi lui qui joue la contrebasse sur l’album. Il joue un peu le rôle de traducteur-interprète pour les autres musiciens. Je n’écris pas la musique, alors je vais dire “je veux ressentir ça” et il sait comment expliquer aux musiciens ce que je veux. »

Quels sont les défis particuliers pour une artiste québécoise qui veut percer au Canada anglais et ailleurs dans le monde?

« À dire vrai, je ne me suis jamais sentie confrontée par ces défis, mais c’est probablement parce que mon gérant les affrontait pour moi pendant que je me concentrais sur la musique. J’en suis incroyablement reconnaissante. Je pense quand même qu’en commençant au niveau local et en grandissant aussi naturellement que possible, la musique va finir par se propager d’elle-même le temps venu. Ça vaut la peine de prendre le temps de permettre à ton équipe d’évoluer au même rythme que la communauté de fans qui sont réellement touchés par ton art. Tu as besoin de ces deux bases pour tisser de nouveaux liens solides et durables dans de nouveaux territoires. »

Elle mentionne également deux nouveaux collaborateurs importants sur Our Roots Run Deep, le percussionniste Elli Miller Maboungou et le trompettiste Hichem Khalfa. « Je tenais à ce qu’il y ait des percussions sur cet album pour illustrer le retour aux racines », dit-elle. « Quant à la trompette, c’est comme une autre voix pour qu’on n’oublie pas qu’il y a une infinité de voix différentes. »

Dominique Fils-Aimé a lancé son premier EP indépendant en 2015 après avoir échoué à se trouver un contrat auprès d’une maison de disques. Tout a changé quand elle a fait la connaissance de Kevin Annocque, confondateur du label EnSoul Records avec qui elle a signé un contrat de disques et de gérance en 2016. Aujourd’hui son répertoire de chansons est perçu pas ses fans comme un baume apaisant dans notre monde éprouvant. « Quand je croise des gens qui me disent “Je me sentais comme ça” ou “J’avais besoin d’un remontant et j’ai écouté ta chanson », confie-t-elle dans un soupir, « ça me permet de pleurer, ça me rassure que je ne suis pas folle, que c’est pas juste dans ma tête et que la musique a vraiment ce pouvoir, et je vais continuer à l’utiliser, parce que quand tu le fais à bon escient, ç’a des répercussions profondes. C’est vraiment une sensation extraordinaire. »

C’est précisément ça que Dominique Fils-Aimé souhaite inspirer chez les autres : le pouvoir de guérison de l’art, de la chanson et de la musique. « Il y a cette histoire à propos d’un colibri qui regarde la forêt brûler », raconte-t-elle, tissant un parallèle entre son propre travail et cette parabole, « et le colibri va chercher une toute petite goutte d’eau, mais les autres oiseaux se moquent de lui et lancent « mais qu’est-ce que tu fais? » Le colibri leur répond ‘j’apporte ma goutte d’eau ; si chacun de nous apporte la sienne, peut-être qu’on arrivera à éteindre l’incendie » », dit-elle en souriant en guise de conclusion. « Chaque petite goutte compte. »