Alors que les amateurs de musique attendaient la courte liste des finalistes du Prix de musique Polaris 2021, la directrice générale de l’organisation, Claire Dagenais, a passé sa dernière semaine à l’homologuer. Quelques semaines auparavant, le 28 juin 2021, l’organisation a annoncé que Mme Dagenais quitterait l’organisation après 11 ans, un an seulement après son entrée en fonction comme directrice générale – après que le fondateur de l’organisation, Steve Jordan, a rejoint CBC Music en tant que directeur principal. Mais si certains ont trouvé cette déclaration surprenante, Mme Dagenais affirme que la pandémie de COVID-19 a été la plus grande surprise, celle qui a changé la trajectoire de son mandat à la tête du Polaris.

« La COVID-19 a frappé précisément la semaine où j’ai été officiellement nommée directrice générale du Polaris », explique-t-elle. « Nous étions censés publier le communiqué de presse le 12 mars [2020], mais ce jour-là, les JUNO ont annoncé qu’ils annulaient, alors nous avons reporté l’annonce au 16 mars. La pandémie a tout chamboulé, incluant d’apprendre à être le visage, la voix et l’autorité d’une organisation alors que l’organisation devait tout jeter par la fenêtre – on ne pouvait pas s’appuyer sur ce qu’on avait fait dans pareille situation auparavant.

“Mais c’est pas seulement la COVID. Des questions de justice sociale prenaient également l’avant-plan : racisme anti-noirs et anti-asiatiques, impact du colonialisme sur les autochtones, mouvement #MeToo… Ça nous a touchés comme ç’a touché tout le monde et on voulait s’assurer qu’on participait à la conversation de manière adéquate. On s’est assurés que même si on était occupés, on n’ignorait pas la réalité autour de nous et tout ce qui se passait en temps réel. Je suis très fière de ce qu’on a accompli.”

Naviguant au cours d’une année sans précédent avec une équipe de créatifs réduite, mais dévouée, le Polaris a pu maintenir la trajectoire avant-gardiste pour laquelle l’organisation est connue – 2020 a vu le prix de 50 000 $ remis au rappeur montréalais Backxwash, le premier gagnant transgenre. [Note de la rédaction : l’auteure de cet article, Chaka V. Grier, faisait partie du Grand Jury du Polaris 2020 composé de 11 membres.]  Ce n’était que le plus récent prix dans une cohorte célébrant la diversité des nouvelles voix qui inclut également Lido Pimienta, Kaytranada et Haviah Mighty. En 2020, le prix Polaris a été décerné dans le cadre d’une cérémonie de remise des prix virtuelle, au lieu de son habituel gala en personne, qui présentait des vidéoclips dynamiques créés par chaque candidat et des cinéastes de la relève. Claire Dagenais affirme que sans son équipe, en interne comme en externe, le festival n’aurait pas pu se dérouler aussi bien.

“Même si notre équipe de salariés est petite, il y a des gens, nos sous-traitants, des rédacteurs de subventions avec lesquels nous avons travaillé et que nous sollicitons régulièrement, qui sont tous des personnes de très haut niveau”, dit-elle. “Je pense que trop souvent, ces personnes ne reçoivent pas leur part de gloire ou la juste appréciation de l’effort qu’elles ont réellement fourni. Et ils le font parce qu’ils aiment ça, pas nécessairement parce que ça leur permettra de se payer un yacht un jour. Ça prend des gens qui croient en vous et qui travaillent avec vous pour que de grandes choses se produisent. Nous leur devons d’essayer d’exceller, d’être transparents et de faire de notre mieux, même si la situation n’est pas idéale. Il faut être présent.”

Leçons apprises
Une fondation solide permet à une organisation d’aller de l’avant même durant une période de changements inattendus. Voici trois leçons que Claire Dagenais a apprises de son mandat comme directrice d’une équipe en pleine pandémie.
A : « Être capable de traverser une crise est autant une fonction de ce que vous faisiez avant cette crise que comment vous réagissez pendant celle-ci. Le fait d’être préparé, organisé et d’avoir une excellente équipe qui est dévouée, passionnée et autonomisée signifie que vous pouvez déléguer, et les meilleures solutions sont souvent un travail d’équipe. »
B: “Avoir des systèmes et des procédures en place signifie que tu disposes d’une carte routière lorsque la pluie commence à tomber vraiment fort. Et le fait d’avoir des principes directeurs et des mandats permet de demeurer intègre et de préserver la continuité quand tu navigues en terrain inconnu.”
C: « Troisièmement, demande de l’aide et soit transparent. Discute de tes idées avec tes partenaires, tes collègues et avec tous ceux qui comprennent ton organisation et qui sont capables de penser hors des sentiers battus. »

Alors que Mme Dagenais profite de cette pause de l’industrie musicale pour se concentrer sur sa jeune famille, la première employée du Polaris – « Techniquement, Steve [Jordan] a été le premier employé, mais en termes de réels employés, j’ai été la première », corrige-t-elle en rigolant – se souvient de l’époque où la stagiaire estivale qu’elle était accueillait certains des plus grands noms de la musique canadienne au gala. Lorsqu’on lui demande quel a été, selon elle, le plus grand impact de Polaris sur la musique jusqu’à présent, elle répond que le premier est la manière dont il a fait tomber les barrières entre les artistes et leurs fans.

« Il n’y avait rien de plus excitant que de libérer quelques billets pour le grand public », raconte Dagenais. « Les premières années où j’y ai travaillé, il n’y avait que des artistes et des représentants des médias et de l’industrie. Quand on a transporté le gala au Carlu, on a été en mesure d’ouvrir les billets au balcon au grand public et c’est devenu très intéressant quand les artistes eux-mêmes ont commencé à nous demander “je suis assis à une table, mais mon ami est ici en admission générale – où est-ce qu’on peut se rencontrer ? Et je leur répondais simplement ‘où tu veux ! Il n’y a aucune barrière entre les artistes et le public, ici.’

Quant à elle personnellement, c’est la longue liste qui a changé la donne.

‘Ce que j’aime de la longue liste et du prix Polaris en général, c’est que nous présentons tout sur un pied d’égalité’, dit-elle. ‘En ignorant l’aspect genre, les gens ne peuvent pas avoir de préjugés ou de préférés. Avoir des catégories par genre n’est pas une mauvaise chose, mais quand tu regardes la longue liste, t’es obligé d’avoir l’esprit ouvert. Il y a des types de musique que j’ai peut-être eu plus de mal à essayer parce que je me disais : ‘Oh, je ne suis pas à fond dans ce genre de musique, alors je ne sais pas si je vais aimer ça’. Mais quand on te les propose dans une liste sans aucune frontière ou limite, tu te dis, ‘bon, je vais essayer ça’. Ça m’est arrivé tellement de fois.’

‘Parfois, les gens s’inventent des règles autour de ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, et je pense que la Polaris leur donne la permission d’aller au-delà de ces règles. On vous donne la permission de ne pas aimer quelque chose tout en l’appréciant. Un style musical peut ne pas être pour toi, mais tu peux quand même apprécier le fait qu’il a une valeur pour quelqu’un d’autre.’

Le lauréat du prix Polaris 2021, choisi parmi la courte liste de cette année, sera annoncé le 27 septembre.