Quand nous nous sommes entretenus avec Said Yassin, programmateur culturel et membre fondateur de Dudebox et It’s Ok*, deux institutions torontoises spécialisées dans les événements de bienfaisance, il était un peu à bout de nerfs.
Il venait tout juste de participer à l’événement Nuit Blanche avant de nous rencontrer quelques jours plus tard avant de se rendre compte que la date limite de soumission pour une subvention avait été devancée de quelques heures. Said Yassin partage son temps entre It’s Ok* – une série de concerts intimes et multigenres – et son rôle de directeur des concerts et des projets spéciaux au sein de la division des arts du spectacle du Conservatoire royal de musique – où il coordonne les dates des concerts, les contrats et assure la liaison avec les artistes. Pour lui, « porter plusieurs chapeaux » est la réalité de sa vie quotidienne.
Créé en 2019, It’s Ok* compte sur une équipe de cinq bénévoles dévoués qui sont rémunérés pour les événements et sur une communauté de membres tout aussi dévoués et toujours prêts à aider, qu’il s’agisse de monter et de démonter des espaces événementiels ou de coller des affiches. Yassin demeure cependant le point de contact.
« Chaque instant où je ne suis pas physiquement en train de faire quelque chose, je suis en train de planifier le futur », dit-il. « Je pense à de nouveaux programmes innovants, je fais des tâches administratives. On n’a pas encore une grosse équipe, alors c’est moi qui s’occupe du plus gros de la tâche quand il est question de demandes de subventions, de gestion financière et de comptabilité. Ça n’arrête pas une seule seconde. »
« Je pense que j’en sais un peu sur un paquet de choses » rigole-t-il quand on lui demande quelles aptitudes il a eu à déployer pour réussir à porter tous ces chapeaux. « J’ai toujours été très doué pour mettre les choses à la bonne place et ne pas brouiller les pistes : si je travaille à la réparation de nos fenêtres ou à la préparation de notre système de CVC, j’ai accès à ce côté de mon cerveau. Si je suis en train de programmer, je suis là. Tout est une question de compartimentation et d’être capable de travailler sur plusieurs choses à la fois.
Said Yassin est bachelier en sciences politiques et en gouvernement de l’Université Ryerson, aujourd’hui renommée Université métropolitaine de Toronto, et il a suivi un cours de gestion des arts à but non lucratif au Humber College. Il est heureux de pouvoir dire que ces deux aspects sont utiles dans ses fonctions actuelles, en particulier lorsqu’il s’agit de se tenir au courant de ce qui se passe à Toronto, côté politique. Étonnamment, c’est son travail en restauration et les compétences qu’il y a acquises qui lui sont les plus utiles aujourd’hui.
“Tout est une question d’organisation, de systèmes et de structures”, explique-t-il. “J’ai longtemps travaillé dans la restauration comme cuisinier, et le service du souper est le service du souper que tu sois prêt ou pas, alors il faut que tu t’organises pour être prêt. Ce que je fais maintenant, c’est pas de sauter ou blanchir des légumes, mais les principes fondamentaux se recoupent. Je n’aurais jamais imaginé à quel point je puiserais dans mon expérience en cuisine.”
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La vie de planificateur culturel et communautaire lui vient naturellement. “J’ai commencé à travailler dans le secteur artistique et à but non lucratif en 2014, mais j’ai l’impression d’avoir rassemblé les gens pratiquement toute ma vie”, explique-t-il. “Il y avait tout le temps plein de gens qui venaient à la [maison] de mes parents et, pendant tout mon secondaire et à l’université, j’étais pareil.”
Son amour pour la musique, les arts et la culture, son sens aigu des changements pertinents sur le plan culturel et son aptitude à faire connaître des artistes et des événements novateurs à la population ont guidé sa carrière. Cependant, les défis et le “manque de respect” qu’il a vécus en assistant à des événements et en travaillant dans des lieux dominés par les Blancs qui ont motivé son désir de participer à la création d’espaces culturellement inclusifs.
“Je ne pense pas avoir jamais eu un bon ‘feeling’ quand je travaillais pour une salle de spectacle”, dit-il. “J’avais toujours l’impression que je devais constamment faire mes preuves, me vendre, me fendre en quatre pour rassurer le propriétaire ou le gérant de la salle… Ça m’a un peu poussé à me dire que je dois me débrouiller seul, sinon je n’y arriverai pas. Y a des limites à ce que tu peux supporter”, dit-il avec un petit rire découragé.
Said Yassin puise dans des ressources intérieures qu’il ne soupçonnait pas posséder pour son nouveau rôle de leader communautaire, mais même s’il peut compter sur un petit réseau de soutien pour trouver conseil, diriger n’importe quelle organisation implique inévitablement un certain isolement. En grande partie, je suis pas mal seul pour intérioriser et prendre les choses à bras-le-corps », dit-il. « Il faut aussi que je prenne un peu de recul pour réfléchir et reconnaître que je fais de mon mieux avec ce que j’ai. »
« Je suis essentiellement autodidacte. À l’université, j’étais dans un collectif appelé Dudebox et on organisait des gros partys dans des endroits non conventionnels et j’ai dû apprendre sur le tas quoi faire et ne pas faire. Je que j’aime dans l’espace que j’occupe maintenant, c’est de voir des gens qui me ressemblent et qui ont une idée et je suis en mesure de les soutenir et de les aider à faire passer leur carrière à l’étape suivante.
« On est une petite organisation qui est devenue une organisation gigantesque maintenant qu’on a cet espace physique. »
Évidemment, un des défis inévitables de son rôle est d’avoir à dire non. « Il y a un nombre fixe d’heures dans une journée et de journées dans une année. Plein de choses que j’aimerais soutenir passent sur mon bureau, mais quand je n’arrive pas à leur trouver un moment dans mon calendrier, je me sens vraiment mal. »
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Les prochaines étapes de It’s Ok* sont nombreuses, y compris les séries d’ateliers Learning Together et Artists in Conversation, ainsi que l’édition 2025 – la troisième – du festival It’s Ok*. Rien ne peut arrêter cette organisation passionnée.
« Depuis que j’ai mis sur pied It’s Ok*, on a toujours été de l’avant, même pendant la pandémie. On a foncé et on s’est ajustés, comme tout le monde, et on était quand même en meilleure position que l’année précédente. La responsabilité est très réelle et il faut composer avec tout ça, mais il n’y a rien d’autre que j’aurais envie de faire. »