Membres de la SOCAN ! Vous êtes-vous déjà demandé qui prend les décisions qui peuvent influencer le cours de votre carrière ? Dans cette série d’articles intitulée Décideurs, le magazine en ligne de la SOCAN vous présente des entrevues avec certains de ces décideurs afin de découvrir ce qui les fait courir et la meilleure manière de les approcher.

Marie-France LongDepuis quinze ans maintenant, Marie-France Long occupe l’un des postes en télé les plus sollicités par le milieu de la musique : superviseure musicale, un métier qui n’existait pas encore vraiment dans le petit, mais déterminant univers télévisuel québécois et dont elle n’est qu’une des rares à exercer à l’émission radio-canadienne Tout le monde en parle. Ce qui rend son influence encore plus importante.

Il ne suffit parfois que d’un extrait de cinq secondes d’une chanson diffusée sur le petit écran un dimanche soir pour donner de l’élan à la carrière d’un auteur-compositeur. « Ce n’est pas très long, un retour de pause – j’aimerais parfois que ce soit un peu plus long, que les gens puissent mieux profiter de la musique, commente Marie-France Long. Ensuite, ça me ferait vraiment plaisir si l’extrait choisi donnait vraiment un coup de pouce à la carrière d’un artiste. Mais je dois vous avouer que je ne regarde pas ça. Je ne vais pas voir si ç’aurait pu mousser la carrière d’un groupe; à partir du moment où je fais mon travail, je suis contente. »

Occasionnellement, la superviseure musicale reçoit des remerciements : tel auteur-compositeur-interprète lui avouant que l’utilisation d’une de ses compositions l’a aidé à financer la production de son nouvel album. Un autre qui s’est acheté une guitare neuve avec les recettes d’une diffusion au rendez-vous dominical d’ICI Télé. « Ce n’est pas énorme, mais pour un groupe ou un artiste qui n’a pas encore beaucoup de moyens, c’est le fun. Ça me fait plaisir. »

Lorsque Tout le monde en parle est débarquée sur les ondes radio-canadiennes, le poste qu’allait occuper Marie-France Long était encore à définir. Au début, rappelle-t-elle, le générique de l’émission indiquait qu’elle agissait comme coordonnatrice et directrice de production. « Mais moi, je considère que c’est de la supervision musicale parce que tout ce qui a à voir avec la musique doit passer par moi. Je choisis les chansons – après, c’est le « chef » qui a le dernier mot – et je m’occupe de libérer les droits pour l’utilisation. »

À chaque épisode, six extraits doivent être identifiés pour ce qu’elle désigne comme les « retours-pause »; une poignée d’autres chansons sont également sélectionnées, pour l’arrivée des invitées et pour étoffer les entrevues. « Six chansons sont diffusées pour les retours-pauses, mais Guy [A. Lepage, animateur] dispose sur son clavier de douze à quatorze chansons. C’est lui qui choisit celles qu’il a envie d’entendre, et il les choisit sur-le-champ; en répétition, il va en essayer quelques-unes en s’imaginant laquelle convient le mieux, mais c’est vraiment le jour même qu’il décide quelle chanson sera placée à tel moment de l’émission. »

« On essaie de mettre la musique des artistes qu’on entend moins sur les radios commerciale. »

Ainsi, c’est la responsabilité de Marie-France Long de soumettre une liste de chansons à l’animateur. « Ça fonctionne beaucoup par périodes, indique-t-elle. Avant le début de la saison, puis à la mi-saison, j’envoie une bonne cinquantaine chansons à Guy. C’est lui, au final, qui décide : « Ça, j’aime, ça moins… » Elle passe des journées entières en début de saison, puis plusieurs heures par semaine, pour écouter les albums (CD, fichiers, liens streaming) que les publicistes lui envoient. « J’essaie d’être actuelle dans mes choix musicaux. Je vais rarement mettre la chanson d’un album paru y’a un an et demi, disons; je cherche à rester collée sur l’actualité musicale. »

Au fil du temps, Marie-France Long a construit un profil musical propre à la personnalité de l’animateur et de son émission : « On essaie de mettre la musique des artistes qu’on entend moins sur les radios commerciales, précise-t-elle. Des œuvres généralement du Québec, ou en tous cas de la francophonie, avec un penchant pour les artistes de la « relève » – j’haïs ce mot-là! En tous cas quelque chose qui a moins de chance d’avoir déjà une vitrine. »

« À Tout le monde en parle, et particulièrement pour les retours-pauses, on veut mettre une certaine ambiance dans le studio. On veut revenir de la pause et voir les gens qui tapent des mains, il faut sentir que le public s’amuse. Ça élimine donc beaucoup de musiques: tout ce qui est planant, plus triste, plus lent, je ne vais pas là. La commande est de trouver des chansons entraînantes », poursuit la superviseure qui, dans une vie antérieure, a joué de la guitare électrique au sein du groupe rock 100% féminin Camionette, concurrent à l’édition 2007 des Francouvertes.

La collecte des chansons qui auront l’honneur d’être diffusées à Tout le monde en parle est certes l’aspect le plus visible (audible?) du travail de Marie-France Long, qui cumule aussi les tâches de diriger les arrivées des invités sur le plateau de tournage (le walk-in), des entrevues dites « formatées » (« Les entrevues à l’intérieur d’une entrevue ») et toute la musique qu’on y associe, un travail qu’elle effectue en collaboration avec l’équipe de recherche.

Son boulot comporte également une dimension plus cléricale : « Sur la cinquantaine de chansons que je collige et soumets à Guy en début de saison, lui en choisira une trentaine. Je ramène ces choix à une quinzaine, ensuite, mon travail est de libérer les droits d’utilisation de l’œuvre, autant l’autorisation d’utilisation des bandes maîtresses qu’obtenir l’autorisation de l’auteur-compositeur de l’œuvre ». Jamais en quinze ans de métier un auteur-compositeur ne lui a refusé l’utilisation d’une de ses chansons.

En terminant, la question qui tue : est-ce que Guy A. Lepage a du goût, musicalement parlant? C’est lui, après tout, qui a le dernier mot sur les chansons diffusées? « Ça m’arrive de trouver qu’il aurait dû jouer telle chanson, répond franchement Marie-France Long. Des fois, quand je révise ma sélection, je me dis : Je suis tellement déçue qu’il n’ait pas joué celle-là! Il m’arrive de revenir à la charge avec un titre. Là, il finit par me dire: OK, on la joue. Guy me fait confiance, depuis quinze ans, on a établi une belle complicité. Mais ça fait aussi partie de son trip de mettre son grain de sel dans la sélection musicale. Il est content de pousser des artistes qu’on entend moins puisqu’on a des talents exceptionnels au Québec. »