David Lafleche avait en gestation ce projet de disque americana. Du folk à saveur country, des chansons introspectives astucieusement fignolées, on pense à James Taylor ici, ou Jack Johnson là. Un projet pas pressé. Le sien. Ses neuf chansons.

L’album s’intitule Everyday Son.

« C’est un portrait de ma vie en douceur, un album sur ma famille. À l’automne dernier, j’ai décidé de prendre ma retraite du monde de la télévision. Travailler comme un forcené pour me déguiser ensuite avant de monter sur scène, ça ne me tente plus. C’est ben beau travailler au (studio) MELS seize heures par jour pour quelque chose qui n’existe plus le lendemain, après toutes ces années, j’ai cette impression d’avoir fait le tour ».

Chef musical au Gala de l’ADISQ, directeur musical pendant plusieurs années à La Voix, Bons baisers de France, signataire de la trame sonore du film Starbuck, la vie trépidante à haute visibilité de David Lafleche, qui partage sa vie avec Marie-Mai, était devenue essoufflante.

« Mon job à la télévision c’était beaucoup de choses, pas juste directeur musical ou chef d’orchestre. À 49 ans, je sentais le besoin de me mettre en danger, de plonger dans le vide. Mais j’accepterai de temps à autre des contrats de télé pour des événements ponctuels ».

« Ce qui a été difficile, confie-t-il, c’est de me prioriser. De penser à moi. Pas juste une journée, confie le papa d’une fillette de quatre ans. Quelqu’un qui n’a pas le muscle de l’auteur-compositeur en place comme moi, je ne me dis pas go! j’écris une toune. C’est quoi ma voix, mon style, qu’est-ce que je veux dire ? Ç’a été long et même difficile de me donner l’espace pour le faire ».

Coréalisé avec Connor Seidel qu’on a pu voir aux côtés de Matt Holubowski, Everyday Son prend naissance à Nashville. Lafleche avait fait quelques pèlerinages dans la Music City auparavant, mais cette fois, il renoue avec son vieil ami du Berklee College of Music alors qu’il avait dix-huit ans, le batteur Fred Eltringham.

« Je l’ai retrouvé par pur hasard, vingt-cinq ans plus tard, sur le plateau de La Voix ! Il accompagnait Sheryl Crow. C’est comme si j’avais retrouvé mon meilleur ami. Il y a deux ans, on le couronnait meilleur drummer à Nashville ! »

Banjo, violon, contrebasse, pedal steel guitar, Lafleche est encerclé de bardes aguerris, des sommités de leurs instruments. « J’ai enregistré mon disque avec des inconnus qui ont un track record qui n’ont aucun sens. J’avais tellement de respect et d’admiration que je les laissais aller. Moi, j’étais au milieu et je jouais mes tounes ».

Une seule guitare fut utilisée pour tout l’album, sa chère Martin 00-18 édition 1946. « Si je trippais tant que ça à jouer de l’électrique dans mon studio, ça n’aurait pas donné cet album-là. L’amour que j’ai pour la musique, c’est d’abord un instrument qui vibre ! Je faisais du finger picking et les idées surgissaient ».

« J’enregistre tout le temps des petites idées de mélodies ou des flashs de 20 secondes sur mon téléphone. Par exemple, en étant assis sur le perron en train de regarder un huard, ça me donne une émotion, que je traduis en musique et je mets ça en banque. Et j’ai puisé dedans lors de mon séjour de cinq semaines à Nashville.

Fallait qu’on livre et dans ces situations je suis bon, c’est ce qui fait ma force à la télé. Quand je suis rentré à Montréal, toutes les trames instrumentales étaient enregistrées. Il restait les voix à faire et c’est à ce moment que Connor (Seidel) est arrivé ».

Écoutez Training Wheels, la résonance de cette guitare qui ronronne. Encore et toujours la douceur. Ou Counting Lights (David nous parle des allers-retours sur la 15), caressé par la pedal steel guitar de Russ Pahl. Ça touche là où ça fait du bien. We Collided en balade à la Jack Johnson n’est certes pas dépareillée dans ce bouquet americana.

« Mon partenaire Charles-Émile Beaudin qui a fait la prise de son de ces sessions a eu juste à lever les faders, il n’y a jamais rien dans le chemin de rien, c’est comme ça que je travaille », explique-t-il à propos de la clarté sonore de Everyday Son. Joe Costa a quant à lui mis toute sa compétence au mix final de l’album.

Marie-Mai a coécrit huit des neuf chansons en triumvirat et appose sa voix sur l’une d’entre elles, donnant la part belle des vocalises à Julie Da Silva, l’inséparable choriste de La Voix du guitariste. Sur Better Run, notre diva fait tandem avec son amoureux. « Mon défi en ce moment c’est de me souvenir de mes paroles. Marie-Mai, elle écoute une chanson une fois et elle va te la chanter au complet ! ».

Mais le réel béguin pour ce disque abouti de David Lafleche, au-delà de ces chansons brillamment construites et concoctées avec amour, c’est sa voix. D’une hallucinante efficacité, posée, jamais usurpée. Une voix en cuir véritable. On ne l’entend pas, on la sent.

 

 



S’il n’y a qu’une seule chose que vous devez savoir, à propos du producteur audionumérique Mohkom Singh Bhangal, alias Money Musik, elle se résume à ceci : Bhangal calcule qu’en 2020 uniquement, il a composé plus de 1000 « beats ».

« Cette année, je suis rendu à environ 460 », explique le « beat box » humain depuis la résidence de Los Angeles de Navraj Singh Goraya, mieux connu sous le nom de Nav, où Bhangal habite pour le moment. « Je fais un “beat” en à peu près 30 minutes. »

Actuellement, l’artiste qui entend la plupart de ses créations en premier est Nav, qui a vendu 15,3 millions de disques en tant qu’artiste et 3,7 millions en tant que producteur. Ses deux premiers albums à s’inscrire au sommet des palmarès Billboard ont été réalisés avec Money Musik aux commandes : Bad Habits en 2019 et Good Intentions en 2020.

« Bad Habits a été un moment génial », se souvient-il. « C’est le premier album majeur auquel j’ai participé. J’ai travaillé sur 14 des chansons et l’album s’est rendu au Numéro 1 – ça donne un sacré coup de pouce à la confiance en soi ! »

C’est aussi une sorte d’histoire de Cendrillon, car lorsque Bhangal était un adolescent de 15 ans, et que son intérêt pour la production et la réalisation de « beats » en était à ses balbutiements, à qui a-t-il demandé conseil ? Nav.

« À l’époque, il avait 500 abonnés et il publiait des vidéos de ses “beats” », se souvient Bhangal. « Et je me suis dit : “Je veux apprendre à faire ça”. » Il a donc envoyé un message à Nav et s’est renseigné sur ce qu’il devait faire pour s’établir en tant que producteur audionumérique. « Nav m’a dit FL Studio, Logic Pro, des haut-parleurs. La base, quoi. »

« Le lendemain de cette conversation, je suis allé avec ma mère chez Long & McQuade et – parce que je travaillais déjà le jour – j’ai acheté pour 2000 $ de matériel : un ordinateur, des haut-parleurs, un clavier MIDI, des trucs comme ça. Et depuis, je produis sans arrêt. »

C’est le seul contact qu’il a eu avec Nav, et au cours des trois années suivantes, Money Musik a travaillé avec des artistes locaux de Toronto comme K. Money, Pressa, WhyG, Casper TNG et LB Spiffy, ce qui lui a permis de se bâtir une réputation. Quelque temps avant de travailler sur le titre « I’m Fresh » de 88Glam en compagnie de Nav, les deux musiciens ont repris contact, et Bhangal a fini par travailler secrètement sur Bad Habits. « Je n’ai rien publié à ce sujet, donc personne ne le savait », admet-il.

Aujourd’hui, les deux hommes sont de grands amis et Money Musik insiste sur le fait que c’est la raison principale pour laquelle leur partenariat fonctionne si bien. « Je vis chez lui en ce moment », dit Bhangal, qui a également travaillé avec KILLY et a récemment produit l’intégralité de l’album Not By Chance de AP Dhillon et Gurinder Gill. « Au fil des ans, nous avons établi une connexion en collaborant dans le studio », dit-il. « Nous avons juste construit l’équipe, en la faisant ressembler à une famille, et pas seulement à un travail. »

Fidèle à son habitude, Money Musik remplit actuellement la maison de Nav avec les sons des « beats ». « Je crée continuellement de nouveaux “beats” », dit-il. « Je crée des “beats” tous les jours, alors ils s’empilent. Soit je vais au studio et je joue quelques rythmes, et s’il les aime, il peut dire à l’ingénieur de le télécharger et Nav y “drop” [ses lignes voix]. »

« Il fait aussi des “beats” – des fois il va jouer des mélodies et je vais créer les percussions. Normalement, quand on est en studio, on part de zéro. Mais il est arrivé que je joue un rythme et qu’il s’y mette directement, en fonction de l’ambiance. » Si Nav rejette un « beat », Bhangal le propose à d’autres artistes.

Bhangal, qui utilise toujours FL Studio 11, dit que le plus grand défi pour lui est l’arrangement de ses créations : « Il ne faut pas qu’il y ait trop de choses qui se passent dans le “beat” pour que l’artiste ait l’espace nécessaire pour rapper », dit-il. « Il ne faut pas que ce soit trop encombré. »

Banghal se concentre également sur l’expansion de sa palette sonore. « J’ai envie d’explorer les trucs plus sombres et épiques », explique-t-il. « J’aimerais faire de la musique classique et sombre, avec des cordes, des pianos, des flûtes, en utilisant de vrais instruments, bien sûr. Il faut qu’on ressente les émotions. En fin de compte, tout est une question d’émotions et de ce que tu ressens. Si ça m’apporte une émotion et que je la ressens, alors c’est sûr que j’aime ça. »

Pour l’instant, Money Musik travaille sur sa propre liste de lecture Spotify, et dit qu’il attend avec impatience le jour où il obtiendra enfin une chanson dans le Top 10 du Billboard Hot 100. Il n’est pas pressé. « Tout cela vient avec le temps, et quand cela viendra, ce sera une bénédiction », dit-il. « J’y vais étape par étape. »



Darren Fung, originaire d’Edmonton, n’a pas eu besoin de remporter le Prix Écran canadien 2021 pour lequel il était finaliste (dans la catégorie Meilleure musique – non-fiction) pour se sentir comme un gagnant.

Il en avait déjà deux, pour The Great Human Odyssey en 2016 et Equus : Story of the Horse en 2019. Cette nouvelle mise en nomination était pour A Bee’s Diary, et toutes trois étaient des coproductions de la CBC.

« Cela semble tellement cliché », dit-il, « mais c’est vraiment un tel honneur d’être mis en nomination ; dans mon esprit, la nomination signifie plus que le prix lui-même. La nomination est le fait d’un jury composé de vos pairs ; ils ont pris le temps de regarder le film et de dire “Hé, son travail se démarque du lot”. On peut toujours discuter de la politique derrière les votes et tout ça, mais pour moi, la nomination est vraiment ce qui compte. J’en suis évidemment très fier, très humble. » Les prix seront remis le 20 mai 2021.

Diplômé de l’Université McGill, Fung compte à son actif plus d’une centaine de compositions pour la télévision et le cinéma, dont sa réinterprétation du célèbre « Hockey Theme » pour CTV et TSN. Si les trois documentaires susmentionnés étaient axés sur la nature, Fung applique les mêmes critères rigoureux pour son travail sur des commandes plus conventionnelles.

« Pour moi c’est la même chose », dit-il au téléphone depuis sa maison de Los Angeles. « En fin de compte, tu racontes une histoire ; il s’agit de raconter une histoire à travers la musique. Les outils sont les mêmes, qu’il s’agisse d’un film de fiction, d’un documentaire ou, franchement, d’une publicité. Vous faites appel à cette même palette… J’ai toujours dit que je ne traite pas un genre de film différemment d’un autre. Tout est une question de comment raconter l’histoire, et comment ma musique peut la compléter. »

Écrire de la musique sur commande pour le projet de quelqu’un d’autre est très différent d’écrire pour soi-même. « Le travail du compositeur à l’image n’est pas d’écrire la musique qu’il veut pour le film, mais d’écrire la musique qui convient au film et qui correspond à ce que veulent les réalisateurs », dit Fung.

« C’est l’un des grands défis des jeunes compositeurs à l’image. Tout le monde a une sorte de vision romantique de ce qu’est un compositeur pour l’écran, mais la réalité est que vous devez accepter le fait que quelqu’un d’autre mène la barque. Beaucoup de gens se lancent dans cette profession sans s’en rendre compte, et ils finissent par déchanter. Ils ne peuvent pas composer ce qu’ils ont envie. Tu peux écrire la meilleure composition du monde, mais si elle ne cadre pas, ça peut devenir décourageant. »

D’un autre côté, si vous visez dans le mille, vous pourriez repartir avec un prix pour votre travail.

Diffusion en continu : la position des compositeurs

(30 mai 2019), Fung a fait publier une colonne d’opinion dans le Toronto Star plaidant pour davantage de discussions entre diverses organisations commerciales et le gouvernement sur la réglementation « brutalement injustes » des services numériques par abonnement. « À notre époque où les services de diffusion en continu et les fournisseurs d’accès à Internet enregistrent des bénéfices records, nous voyons les riches s’enrichir et la classe moyenne créative mourir à petit feu. » A-t-il constaté des progrès ? « Je pense qu’en ce moment, il y a des gens qui sont sur le coup pour mettre de la pression sur les bonnes personnes avec les nouvelles modifications à la loi sur la radiodiffusion », dit-il. Je pense que la SOCAN, de concert avec toutes les organisations commerciales comme la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image, la SPACQ, l’Association des auteurs-compositeurs canadiens, ont bien joué leurs cartes en plaidant auprès des bonnes personnes à Ottawa, et en disant : « Hé, pour soutenir l’industrie de cette façon, nous devons la réinventer ». La bataille est longue, non ? C’est l’une des frustrations de beaucoup de créateurs de musique. Nous avons tellement l’habitude de travailler dans des délais rapides et d’aller d’un concert à l’autre qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble avec le temps, l’énergie et les efforts que nous y consacrons. C’est frustrant que les choses ne bougent pas plus vite. Mais c’est comme ça qu’Ottawa et les changements de politique à ce niveau fonctionnent. Y a-t-il du changement dans l’air ? Oui. Est-ce que ces changements se sont déjà produits ? Pas encore tout à fait. »