C’est dans un parc à chien du quartier Saint-Henri, à Montréal, que David Campana nous donne rendez-vous. En surveillant d’un œil attentif son Ti-Loup, particulièrement agité avec ses collègues canins en ce vendredi après-midi ensoleillé, le chanteur et rappeur nous jase avec passion de son quartier d’adoption, rendu iconique grâce à plume de l’autrice Gabrielle Roy il y a 75 ans.
« Les maisons en brique rouge que tu vois derrière (le parc), ce sont des anciennes maisons d’ouvrier francophones. Les gars de Westmount les avaient engagés, car ils cherchaient la main-d’œuvre la plus cheap. Pendant longtemps, les anglos et les francos se sont détestés, mais maintenant, ils se parlent. »
Particulièrement en vogue dans les commerces du centre-ville, le controversé « Bonjour, Hi » a fait son bout de chemin jusque dans le sud-ouest de l’île. À un point où Campana, un Québécois de souche franco-haïtienne de 29 ans, en a fait son expression fétiche ainsi que le titre de son premier album solo.
« Je suis serveur dans un resto du quartier. Chaque fois que je dis ça ou presque, j’ai des réactions bizarres : les francophones me ramènent à l’ordre et les anglophones m’imitent. J’aime ce côté un peu provocateur qui vient avec l’expression. Quand je me présente à une table, ça montre à la fois mon avis politique et le fait que je suis fluent dans les deux langues. C’est symbolique. »
Le « Bonjour, Hi » renvoie aussi aux influences musicales bilingues de l’artiste. Après avoir passé son enfance à écouter du Michael Jackson avec sa mère et à chanter dans les chorales d’église, Campana a coupé le cordon de l’héritage culturel familial à son entrée dans un programme de cinéma à Québec, en 2009. « J’aimais le cinéma d’auteur et son regard sur la société, ce qui m’a tranquillement amené vers le rap conscient français. D’un seul coup, j’étais contre la pop américaine. Je n’écoutais que du rap pur à message comme Kery James, IAM, Médine, Soprano… »
Une rencontre avec le rappeur Doni Na Ma viendra changer le cours des choses pour le jeune rappeur et réalisateur de clips. « Il m’a montré que je n’étais pas toujours obligé d’être politique et que le rap pouvait aussi être mélodieux. Il m’a appris à construire mes harmonies avant d’écrire mes textes. Ça m’a vraiment aidé à trouver mon style », relate-t-il, citant aussi comme influences les albums 808s and Heartbreak de Kanye West, Take Care de Drake et la trilogie de mixtapes de The Weeknd.
Aux côtés du producteur LTK, David Campana emprunte alors le pseudonyme de HDC, une contraction entre «HD» (pour évoquer sa passion de la caméra) et «DC» (ses initiales). La relation entre les deux artistes est de courte durée, mais la pièce Never Satisfyd jette les bases de son style en 2015. « J’ai écrit ça après avoir entendu le verse de Loud sur XOXO. Sa façon qu’il avait de chantonner en même temps que de rapper en franglais, je savais que ça allait être le futur du Québec. Mais, même en sachant ça, j’ai mis du temps avant de m’assumer dans ce genre-là. »
Après une parenthèse en anglais sur MYNB, un journal intime en deux volumes qui lui a permis de « travailler la musicalité » de son flow, l’auteur-interprète a renoué avec son bon ami Shotto Guapo sur le mini-album trap soul CE7TE LIFE. « Et c’est là, après autant de détours, que j’en suis venu à assumer mon vrai nom… Esti que ça me fait rire ! »
Épaulé par le DJ et producteur Major, les deux artistes montréalais ont fait bonne figure aux Francouvertes 2019 avec ce projet. « Quand on est montés sur scène lors des préliminaires, y’a quelque chose de malade qui s’est passé. J’ai compris qu’un projet comme le nôtre pouvait avoir sa place au Québec. »
Lancé le 1er mai dernier, Bonjour, Hi est la suite logique de ce projet en duo qui, à défaut de se ranger dans une case précise, effleure plusieurs genres. « J’aime l’ambiguïté de ne pas être tout à fait un chanteur ni tout à fait un rappeur. À l’avenir, je veux aller encore plus deep dans les gros sons trap et encore plus deep dans les trucs pop. Je sens que j’ai un potentiel, mais que j’ai encore plus à offrir », admet-il, à propos de cet album produit par le trio franco-québécois Novengitum.
Mais est-ce que le Québec est prêt à accueillir ce genre urbain hybride, qui fait les choux gras de la pop française et américaine depuis quelques années ? « Si on embrasse le hip-hop comme on l’embrasse maintenant, on doit aussi s’ouvrir aux genres connexes que sont le soul et le R&B. Dans Toutes les femmes savent danser (NDLR : succès radio de Loud), y’a quand même une petite vibe R&B, donc la porte est ouverte », répond-il, optimiste, croyant tout particulièrement au potentiel de sa bombe pop Rapide et amoureux. « Je vois pas pourquoi les radios s’empêcheraient de la jouer. La vibe est bonne et le sujet est universel. »
Reflétant la tendance marquée de son auteur à déclarer son amour trop rapidement à ses flammes, le texte apparait comme un témoignage assez franc de son intensité émotionnelle. « J’avais jamais pu écrire sur l’amour avant de rencontrer ma blonde actuelle. Le fait de tomber amoureux pour vrai m’a amené à m’assumer, à comprendre qui j’étais. »
Intense dans tous les pans de sa vie, Campana a également un recul honnête sur son parcours musical. « Quand j’ai entendu Kery James pour la première fois, j’en pleurais. C’est ça que je voulais faire de ma vie. Même chose quand je suis tombé sur The Weeknd : c’est fou, c’est ça que je veux faire ! Je me suis toujours emballé comme ça… Je suis quelqu’un de très sensible. »
Une sensibilité maintenant atténuée par sa persévérance, son ambition et sa résilience, trois thèmes majeurs de son album. « J’ai tranquillement construit mon style, en gardant le positif de chacune de mes expériences. Mon parcours est une suite de petites victoires. »