Mercure en mai est un titre qui est « simplement très beau » pour Daniel Bélanger qui fait paraître ce douzième album en trente ans de carrière. Quiconque ayant vécu au Québec durant les trois dernières décennies pourra siffloter un extrait de ses chansons qui, pour certains, représentent même parfois la trame sonore d’un moment clé, une nostalgie qui reprend vie lors de chacune des écoutes. En mai ou toute l’année, il décrit les jours qui passent avec un regard peu commun, un témoin du temps qui s’écoule.

Daniel Belanger« Voici comment trouver un titre en trois étapes faciles : Mercure. Le mot m’a toujours habité, lance Daniel Bélanger. Quand j’étais petit, mon frère avait rapporté du mercure liquide de l’école et c’était très intéressant pour moi. Mercure est la planète la plus proche du Soleil et je voulais cet album lumineux. Mai est le cinquième mois de l’année je suis issu d’une famille de cinq enfants. J’ai aussi appelé un ami astrologue et je lui ai dit : Mercure en mai, ça signifie quoi? Il m’a dit : ça ne veut absolument rien dire, Daniel. J’ai dit : parfait. »

L’auteur-compositeur-interprète a avancé de front avec tous ses projets durant les deux dernières années : un livre de poésie, Poids lourd, publié cet automne aux Herbes rouges, un album instrumental, Travelling, paru au cœur de la pandémie, la musique du film Confessions de Luc Picard et finalement, Mercure en mai.

« J’avais les poèmes de Poids lourd depuis 2019. Luc Picard m’a approché pour la musique de son film alors que je travaillais sur mon album en parallèle. En pandémie, j’ai trouvé ma liberté dans chaque projet », se souvient l’artiste qui a nagé à travers les différentes disciplines.

Les mots vivent donc sans musique dans Poids lourd, le premier recueil de poésie de Bélanger. « Un texte de poésie ne pense qu’à lui-même, les paroles d’une chanson, c’est comme un couple : ils ont un projet, il faut discuter avec la musique. C’est fastidieux de mettre un poème en musique. Le poème a déjà sa musicalité à même les mots. Je pense à Sensation de Robert Charlebois, une chanson dans laquelle il reprend un poème de Rimbaud. C’est une grande réussite. Il faut penser à tout… La musique doit penser à tout. »

Dans un film, la musique pense également à l’image et lui répond tel un moule taillé sur mesure. « On m’envoie les morceaux du film par blocs de vingt minutes. Évidemment, je ne commence pas par la fin du film, mais il m’arrive de placer un arrangement à la fin de mon vingt minutes, puis je reviens au début, raconte Daniel Bélanger. C’est toujours un premier jet et des ajustements ensuite, quand j’ai la vue d’ensemble. C’est un peu comme faire une tarte et ensuite découper toute la pâte en surplus autour de l’assiette. »

Et quand il écrit une chanson à texte, l’artiste procède d’abord en composant la musique qui sert toujours de guide aux paroles et non l’inverse « Sauf pour Joie et Dormir dans l’auto, pour lesquelles j’avais déjà les textes. C’étaient des joueurs qui attendaient leur repêchage, mais ça faisait longtemps que j’avais travaillé de cette façon-là. »

Après avoir écouté les chansons composées pêle-mêle pour Mercure en mai, Bélanger a regardé le tout et s’est posé des questions. « J’avais un mois de travail et je trouvais ça très lumineux. Je me suis dit ¨maintenant, il faut essayer de ne pas tuer cette lumière¨, dit-il en riant. En même temps, mon regard sur les choses change avec les années. Peut-être que dans trois ans je dirai, ¨il était vraiment pessimiste, cet album¨. C’est sûr que j’ai été influencé par le mode de vie de pandémie. Je ne voulais pas en parler parce qu’on l’entendait déjà partout, que la vie était rude. Je me suis mis au travail dans une usine de transformation : de la difficile réalité en un tout un peu plus clair. Un travail noble, je pense, humblement. »

Il y a 30 ans, en 1992, Daniel Bélanger révélait au Québec une plume et une façon de faire qui deviendrait classique au fil des années. Son premier album, Les insomniaques s’amusent, sorti en juin de cette année-là contenait Ensorcelée, Opium, Sèche tes pleurs, des pièces qui rassemblent les gens, peu importe l’émotion dominante du groupe.

« Il ne reste rien de ma manière d’il y a trente ans, affirme Bélanger du tac au tac. D’un point de vue technique, je composais avec une guitare, un papier et un crayon. Je n’avais pas de moyens pour enregistrer à la maison. Je travaillais avec un réalisateur en studio qui avait une vision de ce que ça pouvait être. Je savais ce que je ne voulais pas, mais je ne savais pas ce que je voulais. »

Il mesure aujourd’hui la chance qu’il a eu de travailler avec Rick Haworth qui n’a rien dénaturé. « Avant d’être bon techniquement et d’avoir des moyens, j’ai été entre de bonnes mains. Dorénavant, je peux tout faire chez moi ou presque. Je ne sors que pour la batterie. »

Le produit musical final auquel il accède désormais est le résultat d’une réflexion devant l’éventail des possibilités. « Je pense beaucoup, dit-il, parce que tout se peut. Est-ce que je remplace ma basse par celle d’un autre bassiste? Qui va faire quoi pour que ce soit encore meilleur? Ce sont des questions de compositions qui vont me sortir de mon studio. » ]

L’intuition est la base de la création de Daniel Bélanger qui travaille sans modus operandi. « Souvent, c’est la première ligne d’une chanson que je vais écrire qui va me faire trouver le sujet et l’univers utilisés. Ce n’est pas nécessairement la musique qui m’inspire de la musique. » Hormis les idées qui ont été mijotées en solo, Guillaume Doiron (basse) et Robbie Kuster (batterie) ont fait quelques apparitions au studio de Daniel pour cet album-ci, puis Pierre Girard a mixé le tout.

Si les nouvelles pièces se mêlent habilement à tous les succès en spectacle, c’est par volonté de respecter le passé. « Mes plus vieilles chansons ont fait que je mène la vie que je mène. Jamais je ne mépriserai ces chansons, promet Daniel Bélanger. Je suis content de les chanter tout le temps. Comme ça fait trente ans qu’on m’entend chanter certaines, il y a toujours des gens qui pleurent sur chacune d’elles. La nostalgie, ce n’est pas long à bâtir. Tu sors ton deuxième album et les chansons du premier sont déjà dans le souvenir de quelqu’un. On écoute la musique avec ce qu’on vit. On se donne de l’air, avec la musique. Il n’en reste pas moins que chaque album est un moment présent pour moi. »

Selon lui, la chanson Soleil levant, que l’on retrouve sur Mercure en mai n’aurait jamais pu exister sur Les insomniaques s’amusent. « Ça aurait été impossible, lance l’auteur-compositeur. Il y a de la batterie électronique et j’ai composé la chanson à la basse, chose qui aurait plutôt été un choix de réalisation à l’époque. La technique me facilite les choses, elle est devenue mon langage. » Si les gestes posés en studio sont aujourd’hui chorégraphiés pour que les messages passent, Daniel Bélanger n’est pas un adepte de la musique écrite pour autant. « Je n’écris pas et je ne lis pas la musique. Je ne travaille pas avec des feuilles de papier, moi. Quand on a fait Chic de ville (2013), on est allés enregistrer des cordes à Nashville avec Carl Marsh. Michel Dagenais, qui réalisait l’album avec moi, a transmis les écrits. C’était quasiment un traducteur à ce stade-là », se souvient-il en riant.

De 1992 à 2022, les époques et les modes ont changé, les idées se sont déployées, le regard sur le monde n’est plus ce qu’il était. Les thématiques des saisons, du temps et des humains ont progressé dans l’œuvre de Daniel Bélanger qui confirme : « je serai toujours inspiré par le monde dans lequel je vis ». « La solitude est quelque chose qui va toujours m’inspirer. Ce que doit affronter une personne lorsqu’elle sort de chez elle par rapport à son statut, ce qu’elle vit en société. Ce que je trouve intéressant et qui sera toujours actuel, c’est l’effet de l’extérieur sur l’individu. »

Si Daniel Bélanger monte ses chansons tels des casse-têtes, il est le seul à savoir combien il y a de morceaux et quelle forme ça prendra à la fin. « Au bout du compte, c’est un processus assez ¨dans ma tête¨. J’ai beaucoup de difficulté à décrire mon état de seconde en seconde. La chanson Soleil levant, par exemple, je voulais que ça ait l’air d’un zapping, explique-t-il. Je me suis rendu compte que je pouvais la faire comme on zappe sur la télé et la tablette. J’ai l’impression que je zappe tout le temps d’un moment à un autre. Chaque solo pourrait durer plus longtemps, chaque instant aussi, mais on passe au suivant. C’est une métaphore à l’image de ma vie. »