Le rappeur Connaisseur Ticaso a fait paraître un premier album, Normal de l’Est, sur le coup de minuit, le soir du jour de l’An, une série de 15 pièces  produites entre autres avec Ruffsound. La légende montréalaise du gangster rap montrait ainsi une première œuvre officielle après avoir offert de manière non officielle son talent brut au milieu du rap québécois durant plus de vingt ans. Steve Casimir connaît depuis moins d’un mois un vif succès commercial et d’estime, se hissant même en pôle position du palmarès des ventes au Québec. Il redonne vie à sa propre légende avec une seule arme : la vérité.

Connaisseur Ticaso« Je ne m’attendais pas à autant de ventes, mais je savais que j’avais créé un fan base loyal. Il m’a toujours suivi au fil des années, même si je ne sortais pas un album officiel, on me demandait des copies physiques du matériel que je sortais. Mes fans sont plus vieux, ils ont pris cette habitude de posséder la musique. Si je sors une nouvelle toune, ils veulent savoir qu’ils l’ont », raconte Connaisseur Ticaso.

Au-delà des ventes lucratives du dernier mois, le streaming de Connaisseur Ticaso se porte très bien et l’album Normal de l’Est accumule les écoutes à la tonne. Et c’est l’authenticité qui est la seule raison d’être du style selon le principal intéressé. « Quand on vient de la rue, notre musique n’est pas lourde. Dans notre mode de vie, c’est normal qu’il y ait des épreuves et si on peut en parler, de notre histoire, c’est qu’on y a survécu. Y’a pas le côté victimisation et douleur dans nos textes. »

La musique a donné vie aux histoires de la rue et la rue a donné un souffle à la musique. Tout s’est emboîté, au début des années 2000, jusqu’à ce que Steve Casimir se retrouve en prison en 2007 alors que son premier album devait voir le jour en 2008.

« Je ne pense pas que j’aurais fait de la musique si je n’avais pas vécu la violence et la criminalité. Je n’aurais pas eu le but. Quand je suis allé en dedans, ce n’était pas terrible. Je suis rentré là à cause de mes choix, lance le rappeur. C’était de ma faute. Si j’étais allé en prison pour du crack dans mes poches qui n’était pas à moi, ça, ça aurait été grave. Donc dans ma musique, je m’assure de ne jamais sonner comme un chialeux. Quand je te raconte que j’ai failli me faire tuer, je te le raconte avec l’intensité d’un autre rappeur qui te dit qu’il a croisé son ex au magasin et que c’était terrible. »

Puis la musique a repris sa place comme une nécessité de rendre hommage et de dire la vérité. « Dans le rap, les gens aimeraient ça toujours parler de la rue, mais moi j’ai vraiment vécu ça pour de vrai. Je peux dire tout ce que j’ai de vrai et ça ne sera jamais les clichés sans détails, lance-t-il. Quelqu’un qui m’écoute et qui veut savoir c’est quoi qui se passe dans ta vie quand t’es criminel, moi, je peux te le raconter. Dans le rap populaire, peu de gens peuvent en dire autant. »

Connaisseur Ticaso avoue donc sans broncher qu’il ne « tripe pas » du tout sur le nouveau rap gentil. Si à une certaine époque, le style servait à mettre de l’avant la culture et les modes de vie qu’on cherchait à taire, il croit aujourd’hui qu’on a perdu cette essence si on croit que c’est vraiment ça, le rap. « Certains vont faire des beaux jeux de mots, mais quand je les écoute, je ne peux pas m’empêcher de dire que ces gars-là ne me disent rien de vrai. On dirait que les rappeurs aujourd’hui ont tous vu le même film et ils le racontent. », reproche-t-il.

Et cette vérité, elle se sent du début à la fin de Normal de l’Est: autant sur les deux pièces en collaboration avec le rappeur Kasheem, tué par balle en décembre dernier, que sur le morceau STL Vice, racontant l’opération Colisée de 2006, une saisie historique dans laquelle des proches de Connaisseur Ticaso ont été impliqués.

« Les bad boys de bonne famille qui rappent avec des guitares peuvent aller se rhabiller »

Si la rue trône au centre du portrait que Steve Casimir dessine autour, on ne perd jamais de vue la plume qui, conformément au style aussi, doit s’avérer évocatrice et marquante. « Je sais qu’il y a de la poésie dans le rap et je trouve que, oui, ça peut cohabiter avec la violence et le crime. C’est un état d’esprit, décrit le rappeur. Quand j’écris, faut que je sois tout seul et l’instrumental n’est jamais en train de jouer. La télé va être ouverte avec le son fermé et je vais me promener dans la maison. Je prends mon inspiration dans le beat que je viens d’écouter. Pour moi, un beat a autant de puissance émotionnelle qu’une pièce classique peut en avoir pour quelqu’un qui tripe sur ce genre de musique. »

Dans ses textes, il aborde de surcroît, des sujets près de lui et de son expérience, mais aussi des états sociétaux préoccupant depuis plusieurs années comme le profilage racial. « Avant, c’était un automatisme : aussitôt que je me promenais, je me faisais coller par la police. J’étais criminel pour vrai donc ça ne me gossait pas autant, admet-il en riant. Ce qui m’enrageait, c’est quand la police venait gosser ma mère. » Or, aujourd’hui, le seul sujet qui mérite qu’on s’y attarde, selon lui, ce sont les droits humains. « Je pense qu’on a assez entendu parler de racisme. Ceux qui ne t’aiment pas parce que tu es noir, ils t’aiment pas plus aujourd’hui. Je ne vais pas me sentir plus Noir parce que je vois plus de Noirs à Radio-Can. C’est un débat fini pour moi. »

Le succès de son album dépasse aujourd’hui ses attentes et il se réjouit chaque fois qu’il voit des fans se prendre en photo, dans leurs confinements respectifs, en train de l’écouter. Il rêve désormais à la scène. Celle qui sera bordée par des milliers d’admirateurs conquis près à vivre ces moments avec lui et devant lui. « J’aimerais aussi aller en France avec cet album-là pour dire: voici Montréal, voici la rue de Montréal. Si je m’y rends, ça voudra dire qu’on aura réussi. »

Il faudra donc tourner notre attention vers la rue qu’il a envie de nous raconter. Il y a des choses à apprendre, et le rap gentil a vécu ses heures, déjà, selon lui. « Ces gars-là peuvent maintenant devenir ingénieurs ou s’ouvrir des friteries. C’est l’heure de la vague du rap de rue et tu dois avoir ce edge maintenant, dit-il. Les bad boys de bonne famille qui rappent avec des guitares peuvent aller se rhabiller. »