Lendemain de première mondiale au prestigieux Toronto International Film Festival (TIFF) pour Viking, nouveau long-métrage du réalisateur, scénariste et, dans une vie parallèle, auteur-compositeur-interprète Stéphane Lafleur. Une quinzaine d’artisans de ce récit mêlant drame psychologique, comédie et science-fiction assistaient à la projection au Lightbox, « une salle hallucinante », comme la décrit Christophe Lamarche-Ledoux, qui en signe la musique avec son complice du groupe Organ Mood, Mathieu Charbonneau. « D’habitude, lors d’une première, on cherche notre musique dans le mix; hier, le son était tellement fort ! »

« Toute l’équipe était là, c’était électrique », abonde Charbonneau, réjoui de la présence du public lors de la projection : « C’était le fun de sentir les réactions des gens », qui semblent faire écho aux premières critiques, élogieuses, de Viking, lequel prendra l’affiche au Québec le 30 septembre prochain.

Coïncidemment, l’étiquette Bravo musique lancera la bande originale du film, signée Organ Mood, un assemblage d’extraits choisis qui habillent les scènes de Viking ainsi que plusieurs autres compositions restées sur le plancher de la salle de montage. Une bonne trentaine de minutes de musiques instrumentales où, cette fois, les synthétiseurs s’effacent au profit du saxophone, qui guide l’auditeur à travers les thèmes, les textures et les atmosphères crées par Lamarche-Ledoux et Charbonneau.

« Je me suis racheté un saxophone alto pour enregistrer la musique », confie Christophe, rejoint en compagnie de Mathieu dans la chambre d’un hôtel torontois, avant leur retour à Montréal. La paire n’en est pas à ses premières expériences au rayon des musiques à l’image : Mathieu a déjà presque une dizaine de productions à son actif, dont la musique de La Déesse des mouches à feu (2020) d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Une colonie (2018) de Geneviève Dulude-De Celles. Christophe a récemment composé la musique du long-métrage d’animation Archipel (2021), signé Félix Dufour-Laperrière, et celle du sulfureux Saint-Narcisse (2020) de Bruce LaBruce.

Ils sont tous deux aussi membres d’Avec pas d’casque, groupe folk-rock au sein duquel Stéphane Lafleur compose, chante et joue de la guitare. C’est, pour ainsi dire, en toute complicité que le réalisateur a fait appel à ses amis pour imaginer le décor sonore de son étrange long-métrage.

« Stéphane a réfléchi à la musique en travaillant sur le film, explique Christophe. Il n’avait pas envie d’une musique de film de l’espace orchestrale, avec plein de synthés. Avant même qu’on se penche sur le mandat, il avait fait sa recherche; en fait, il concevait la musique plus jazz, et c’est la piste sur laquelle il nous a lancé, avant même qu’on voie des images, seulement en lisant le scénario, tout au début du processus. »

Viking

Photo : Caroline Désilets

Jazz? Comme du Sun Ra, le maître du jazz cosmique, pionnier du concept d’afrofuturisme, qui a prétendu avoir été téléporté sur Saturne? Ils en ont discuté, de Miles Davis aussi, « et de la musique ambient », comme celle que Christophe et Lafleur créent dans leur projet nommé feu doux (en minuscules). « Évidemment, il savait qu’il engageait Organ Mood, alors, il recherchait ce son, mais aussi quelque chose de différent », dit Mathieu, qui travaille aussi dans un projet ambient/avant-gardiste avec le compositeur et cornettiste Pietro Amato.

Or, Lafleur et Organ Mood ont expérimenté une nouvelle manière – pour eux trois – de travailler la musique de Viking, explique Mathieu : « La plupart du temps, on compose la musique après le montage final d’un film, parce qu’on connaît exactement la durée des scènes. Cette fois, on a eu beaucoup de temps avant le tournage, puis pendant le tournage, avec l’aide de quelques images, pour créer beaucoup de musiques » en même temps que se tournait le film. Grâce à ça, « on a réussi à vraiment cerner l’ambiance du film. Je ne me doutais pas que ça pourrait fonctionner à ce point-là, et pour Stéphane, c’était intéressant parce que c’était la première fois qu’il travaillait avec des compositeurs qui créaient en même temps que lui. Et d’avoir déjà commencé avant le tournage à enregistrer des pièces, lui pouvait rapidement commencer à monter certaines scènes avec la musique. »

« Et puis, Stéphane, c’est tellement un ami proche, qu’il y a tellement d’informel en jeu dans le processus, abonde Christophe. On allait souper chez lui, on jasait d’autre chose que du travail ou du film, pour finir par y venir. Y’a tellement d’informel et d’amitié dans ce processus que je pense que le contexte était idéal pour essayer de travailler de manière aussi organique. D’habitude, avec les réalisateurs, tu envoies tes propositions, t’attends le courriel de réponse; cette fois, dans les moments critiques de finalisation du film, on s’appelait tous les jours. La communication était très facile, et pour les compositeurs de musique à l’image, le retour immédiat, c’est la clé. On peut ajuster tout de suite la musique en lien avec la scène. »

Les saxophones suggèrent un thème musical qui revient, sous une forme ou une autre, dans le film. « On a essayé de donner un ton à ce film, précise Christophe. Le film est souvent drôle, il y a de la comédie, mais avec la musique, on a appuyé le drame plutôt que d’alléger ou souligner la blague. Ainsi, à plusieurs moments, ça questionne le spectateur, lorsqu’une série de blagues suit une musique plus sérieuse. ».