Claire Lynch a orienté sa boussole personnelle et artistique vers le nord, et le résultat en est bénéfique pour plusieurs membres de la SOCAN.

L’acclamée auteure-compositrice-interprète américaine blugrass/roots vient d’être mise en nomination aux Grammys 2017 dans la catégorie Album bluegrass de l’année pour son dixième et plus récent album, North by South. Lynch a été mise en nomination dans cette même catégorie à deux reprises auparavant, en 1996 et 1998, et elle a été couronnée Meilleure chanteuse à trois reprises par l’International Bluegrass Music Association.

Comme son titre le laisse deviner, North by South est une compilation de ses reprises de pièces écrites par des membres de la SOCAN qui a été accueillie avec enthousiasme, comme en témoigne sa nomination aux Grammys.

Parmi les membres de la SOCAN dont une œuvre a été reprise sur North by South, on retrouve notamment Gordon Lightfoot, David Francey, Ron Sexsmith, Bruce Cockburn, le regretté Willie P. Bennett, Cris Cuddy, Old Man Luedecke, Lynn Miles, et J.P. Cormier.

Comme elle l’explique, le concept de l’album prend ses racines dans un espace très personnel. « Je suis tombée amoureuse d’un Canadien il y a six ans et nous nous sommes mariés il y a deux ans. C’est un avide mélomane et il collectionne les instruments de musique et, au fil du temps, il m’a fait découvrir le monde de la musique canadienne. Je me suis particulièrement intéressé à l’écriture, puisque je suis moi-même auteure, et plus ça allait, plus je me disais “Wow, quelles magnifiques chansons”. J’ai vite découvert à quel point les Américains ignorent tout sur ce qui se passe ici, sur le plan artistique. »

« Après avoir été exposée à la musique canadienne, j’ai réalisé que c’était une véritable mine d’or et que ce serait vraiment cool de la partager avec le peuple américain. »

« Après avoir été exposée à la musique canadienne, j’ai réalisé que c’était une véritable mine d’or et que ce serait vraiment cool de la partager avec les gens que je côtoie dans les communautés bluegrass et Americana aux États-Unis. C’est pour cette raison que j’ai créé North by South. »

L’album a été réalisé par Alison Brown et met en vedette des musiciens américains émérites tels que Bela Fleck, Stuart Duncan et Jerry Douglas. Le fait d’entendre leurs chansons interprétées par des musiciens d’un tel calibre et chantées par une voix aussi unique a ravi les auteurs-compositeurs canadiens qui ont vu une de leurs chansons ainsi reprises.

« J’ai toujours dit que quand je serais grande, je serais une chanteuse bluegrass, mais ça, c’est encore mieux ! » a lancé Lynn Miles. « J’ai pleuré lorsque j’ai entendu la version de Claire de ma chanson ‘‘Black Flowers.’’ Je l’adore. Il va y avoir une vidéo participative pour cette chanson, j’ai vraiment très hâte de voir le résultat. »

Même son de cloche du côté de Ron Sexsmith qui a adoré la version de sa chanson « Cold Hearted Wind » proposée par Lynch. « J’ai adoré ! » dit-il. « J’étais d’abord surpris qu’elle choisisse celle-là. C’est une chanson très personnelle, je ne pensais jamais que quiconque la reprendrait. J’étais vraiment honoré d’être inclus. »

Claire Lynch

Brad Machry et le gestionnaire des redevances et des licences chez True North Records, le label et la maison d’édition (par le biais de Mummy Dust Music) de Lynn Miles et Old Man Luedecke. Comme il nous l’explique, « Chris [Old Man] Luedecke était particulièrement ravi de savoir qu’un artiste qu’il vénère depuis toujours, Bela Fleck, allait jouer le banjo sur sa chanson ‘‘Kingdom Come’’. »

Dès qu’il a eu vent du projet, Machry a compris les bénéfices potentiels pour les artistes de son écurie. « Nous sommes membres de la Canadian Musical Reproduction Rights Agency (CMRRA) et de la Harry Fox Agency (HFA), aux États-Unis, pour les droits de reproduction mécaniques, il aurait donc été facile de ne pas trop nous en soucier. Mais j’ai communiqué avec LeAnn Bennett, c’est Compass Records (l’étiquette de Lynch), et nous avons plutôt décidé de procéder par licence directe et de collaborer sur les placements à la télé et au cinéma. »

« Claire nous a rendu un fier service en couvrant non seulement nos œuvres publiées par Lynn et Chris, mais également nos amis Ron Sexsmith, Gordon Lightfoot, David Francey et Bruce Cockburn. Si ce projet ouvre l’esprit de nos voisins du sud et leur donne envie d’explorer ce que le Canada a à offrir, tout le monde en ressort gagnant. Elle a su réunir certains des meilleurs conteurs au pays d’une manière très canadienne, humble et sans prétention, afin de mettre les auteurs-compositeurs en valeur. »

Lynch explique, quant à elle, que l’issue positive de cet album mettant en vedette des auteurs-compositeurs canadiens « était son intention. Je dis aux communautés dont je fais partie, “Écoutez ces artistes. Je me porte garante d’eux.” J’ai reçu des textos d’amis qui me disaient “j’ai été sur le site Web de Old Man Luedecke pour commander son album”. »

Lynch n’est pourtant pas paresseuse au chapitre de la création de chansons, dont certaines ont été reprises par des artistes tels que Patty Loveless, Kathy Mattea et The Whites. « Je n’ai jamais eu de gros succès, mais bon nombre d’artistes de la scène bluegrass ont repris mes chansons », explique-t-elle. « La majorité de mon catalogue, c’est moi qui l’ai interprété. »

Lynch et son mari partagent leur temps entre peurs résidences de Toronto et de Nashville et Lynch a fait une demande pour le statut de résidante permanente au Canada. Il a désormais un agent de tournée canadien, Bob Jensen, de l’Île-du-Prince Édouard, et les 200 spectacles qu’elle a donnés en 2016 incluaient 2 tournées canadiennes. « J’en ai deux autres prévues cette année, une dans l’ouest et l’autre en Onatrio et au Québec en novembre », confie-t-elle.

Lynch a également exploré les scènes acoustiques de Toronto et de Guelph, en plus de participer à des « jam-sessions » et des cercles de création. « Tout le monde et si gentil avec moi, et j’ai déjà tissé de nouvelles amitiés », lance-t-elle, ravie.



Alejandra Ribera« Je veux que ma musique défie les modes et les époques. » Louable mission, que s’est donnée l’auteure, compositrice et chanteuse Alejandra Ribera lorsqu’est venu le temps de concevoir son troisième album. This Island est le grand voyage intérieur que s’est offert la Torontoise de souche et Montréalaise d’adoption, née d’un père argentin et d’une mère écossaise.

« J’aime explorer les profondeurs du cœur humain et en extraire une poésie optimiste. J’ai été porté par un discours de l’actrice Tilda Swinton sur le sujet et par une étude sur le mouvement ; il existe un potentiel infini entre la suspension et la libération », explique-t-elle.

Si tout cela semble un peu abstrait, pour Ribera, tout est limpide. Ses dix nouvelles chansons constituent un recueil conséquent à celles de La boca, réalisé par Jean Massicotte (Leloup, Arthur H) en 2014, et sur lequel elle signe I Want, qui lui a permises de remporter le SOCAN Songwriting Prize en 2014. Le premier EP, Navigator, Navigather paru en 2011, creusait déjà ce sillon d’humanité qui impose un constat : les mailles de son imaginaire fertile sont solidement tissées.

« J’ai passé trois semaines à Paris en janvier 2015 pour me ressourcer. J’habitais dans le onzième. Je ne comprenais pas ce que les gens disaient autour de moi et j’ai vite eu le mal du pays, confie-t-elle dans un français plus qu’acceptable. Je me sentais toute seule sur mon île, d’où le titre de l’album. Et pour me réconforter, je me suis mise à écrire (les textes de l’album) en imaginant des univers parallèles où les gens viendraient me parler. Puis l’attentat de Charlie Hebdo s’est produit : pendant trois jours, j’entendais le bruit assourdissant des sirènes des véhicules qui passaient près de ma fenêtre… »

Inspirée par le titre du roman (Orlando, 1928) de l’écrivaine Virginia Woolf, elle baptise la dixième et dernière chanson de l’album, Orlando. Sur cette pièce, Ribera puise dans les hauts registres, son tissu vocal nous agrippe l’âme et nous transperce l’épiderme.

« Je l’ai chantée pour la première fois à mes musiciens lors d’une balance de son lorsque nous étions en tournée canadienne avec Ron Sexsmith. On l’a fignolé en 45 minutes et joué le soir même devant public. Ironie du sort, c’est lors du mix final de l’enregistrement de la chanson en juin 2016 que la fusillade d’Orlando s’est produite. C’est un truc mystérieux et bizarre ! »

Il y a un beau trésor enfoui sur This Island. Le butin est fabuleux. On savoure le grain de voix de la chanteuse sur Undeclared War et l’on jurerait entendre la Britannique Beth Orton, tout en douceur et en sensualité. Led Me To You baigne dans une oasis americana qui plairait à Sexsmith. Will Not Drown est saupoudré de trompette, de passages chantés en espagnol et de clappes des mains. C’est ingénieux et plein d’astuces : le folk, la ballade langoureuse, les airs lumineux, tout s’imbrique en un seul univers unique, singulier et brillamment réalisé. Ça s’écoute de bout en bout avec cette nette impression, comme le voulait la principale intéressée, que This Island est intemporel.

« Je voulais éviter les méthodes d’enregistrement actuelles, admet-elle. Et surtout, je me suis vite aperçue que jouer les chansons du disque précédent dans un cadre plus intimiste soir après soir apportait un élément qui manquait : l’osmose entre les musiciens, jouer en temps réel. Il était alors clair dans ma tête que mon prochain disque allait être enregistré en studio comme si nous faisions un spectacle. »

Sept musiciens y ont participé dans une maison de la campagne ontarienne. « On est allé à l’essentiel, je voulais qu’on se donne beaucoup d’espace. On a passé quelques semaines dans cette maison à créer, en formation réduite, les ébauches musicales. Ensuite, nous avons envoyé cette matière brute à Bryden Baird (Feist) qui a rajouté des couleurs sonores ponctuées d’instruments joués avec parcimonie comme la trompette et la percussion.

Jean-Sébastien Williams et son comparse montréalais Cédric Dind-Lavoie, ses deux fidèles compagnons de route, ont peaufiné les arrangements, et Trina Shoemaker (Sheryl Crow) s’est chargée, quant à elle, du mix final.

Le très beau vidéo du « making of » de This Island apparaît sur la page d’accueil de son site alejandraribera.com. On est tout de suite situé, le cadre rural, la maison, on a envie d’être là. Belle entrée en matière pour savourer la suite.



Vox Sambou

Photo : Benoit Rousseau, Francofolies 2016

Une fois n’est pas coutume, il sera moins question de musique que de nous, citoyens, voisins, amis, dans cette entrevue avec Vox Sambou. Auteur, compositeur, interprète et responsable de la Maison des jeunes de Côte-des-Neiges, né en Haïti, chez lui peu importe où il pose le pied, du moment « que j’aie quelqu’un à côté de moi avec qui je puisse partager » le moment présent. Qu’il parle de chanson ou de la société, le musicien exprime toujours un même sentiment : l’optimisme.

« Voyager, c’est un privilège », affirme Robints Paul, alias Vox Sambou, attrapé à son retour de New York, où il participait à une vitrine organisée sous la bannière du festival Mundial Montréal. « Ce privilège, c’est de pouvoir rencontrer des gens de partout. On veut tous les mêmes choses : connecter avec les gens, apprendre leur histoire. Et lorsqu’on creuse un peu, on réalise qu’y’a pas beaucoup de différence entre nous. » Humano Universal, tiens, comme le titre d’une chanson de son deuxième album, Dyasporafriken, paru en 2013. Lorsqu’il retourne dans son village natal où résident toujours ses parents, Limbé, tout au nord du pays, près du Cap-Haïtien, il se sent chez lui, dans son histoire, « dans le berceau de la Révolution. Mais lorsque je reviens et débarque à l’aéroport de Montréal, je me dis : ah !, qu’est-ce que je me sens bien chez moi ! ».

De Limbé à Montréal, en passant par Winnipeg et Ottawa, Vox Sambou a suivi sa passion pour la musique et les gens jusqu’à devenir un acteur important de la vie musicale montréalaise – et  de la vie communautaire de son quartier –,   autant en tant que membre du collectif hip-hop/funk/soul/reggae Nomadic Massive qu’avec son projet solo… dans lequel il n’est pas vraiment seul, d’ailleurs. Son orchestre est constitué de huit personnes, de milieux et d’origines différentes. Le style musical qu’il défend est aussi une macédoine sonore où kompa, rap, reggae, funk et chanson se mêlent et se répandent sur scène avec l’énergie et l’enthousiasme qui ont fait sa réputation.

Il retournera donc répandre ses bonnes vibrations aux États-Unis dans les prochaines semaines, invité au fameux festival South by South West à Austin, au Texas. Lui, l’homme qui semble prendre racine dans tout pays qu’il visite, qui fait fi des frontières, au pays de Donald Trump, ça a valeur de symbole.

Le matin de notre entrevue, justement, le New York Times publiait un reportage depuis Tijuana, au nord-ouest du Mexique, où sont entassés depuis des mois des centaines de réfugiés haïtiens espérant passer la frontière. « Je comprends qu’avec tout ce qui se passe ces temps-ci, c’est difficile, mais il faut garder espoir. La plupart de ces Haïtiens sont sortis du Brésil », dans ce pays où le musicien a enregistré son superbe dernier album The Brasil Sessions, paru l’an dernier. « On leur promettait de meilleures conditions de vie que dans leur pays d’origine, explique Vox Sambou. Ce n’était pas le cas ; ils ont pris la route en direction des États-Unis, certains ont même perdu la vie pour s’y rendre… »

« Le moment que l’on vit aujourd’hui est important : c’est le moment de se réveiller et de se mettre ensemble, construire des ponts, se reconnecter, c’est la seule manière d’y arriver, de résister, poursuit le musicien, positivement inébranlable. Aussi, il ne faut pas avoir peur de parler haut et fort, de dénoncer. On ne peut pas seulement se dire que ça se passe ailleurs, aux États-Unis, dans une société qui n’est pas la nôtre. Car en y voyant clair, les décisions d’une seule personne ont aussi un impact sur nos vies. Or, ensuite, j’observe autour de moi : la grande marche des femmes [dans les capitales américaines], les manifestations, tout ça me rend optimiste parce que c’est la preuve que les gens font attention à ce qui se passe, ils sont éveillés. »

S’il y a de l’espoir, c’est dans la force du nombre, dans l’unité, assure le musicien. « On voit ce que font les gouvernements, ce que fait le Président des États-Unis, tous ces gestes qui visent à diviser… Mais les gens refusent d’être divisés, les Noirs d’un côté, les Blancs de l’autre. Les gens veulent juste vivre en paix, c’est tout. Ça m’inspire, c’est ce qui me pousse à écrire, à faire de la musique : connecter avec le plus de gens possible. »