Cargo Culte, c’est d’abord une rencontre. Celle entre le rapper/parolier Éric Brousseau (anciennement Séba au sein de la formation Gatineau) et le bassiste Jean-François Lemieux (Daniel Bélanger, Jean Leloup) dans un club vidéo. « J’étais commis et J-F venait me voir, lance Brousseau. On parlait musique et on partageait notre vision des choses, comment devait sonner un groupe de rap. Puis, c’est resté de même. Après six mois, je l’ai recontacté. Il m’a dit de venir chez lui et on a commencé à monter des chansons, mais on cherchait un autre musicien. Peu de temps après, j’ai reçu un appel d’Alex McMahon (Plaster). Il me racontait qu’il aimerait faire un album de rap avec moi et voulait jouer de la batterie et du clavier. Quelques jours plus tard, on s’est réunis tous les trois, on a produit une petite maquette et on connait la suite. »

Débarqué le printemps dernier, l’album Les temps modernes renoue avec l’énergie brute des premiers balbutiements de Gatineau et révèle un groupe allumé, en pleine possession de ses moyens. En farfouillant les dix titres du compact, on découvre une poignée d’influences résolument old school. Comme ces sonorités lourdes, musclées, coulées dans le béton à la Beastie Boys, période Check Your Head. Puis, il y a quelque chose de Zack de la Rocha (Rage Against The Machine) dans la livraison mordante, urgente de Brousseau. « Je voulais faire quelque chose de vraiment heavy. J’écoute beaucoup de musique punk, du Nirvana. J’avais trouvé le dernier disque de Gatineau (Karaoke King) vraiment mou. Je ne m’étais pas retrouvé là-dedans. Le public non plus. En show, c’était pénible. Je suis une bête de scène et en spectacle, je ne pouvais pas exploser comme avant. Je voulais arriver avec un produit dur, comme si Gros Mené avait produit un album de rap, » révèle Brousseau.

«J’attends l’arrivée d’un autre Kurt Cobain pour changer la donne. On est mûr pour une nouvelle révolution musicale. »

Alors qu’il ne se gênait aucunement pour donner de nombreuses directives aux membres de Gatineau, Éric a voulu procurer davantage de liberté à ses complices de Cargo Culte. « Au début du projet, je souhaitais que la batterie et la basse sonnent précisément comme ce que j’avais en tête, puis je n’ai plus rien dit. J’ai laissé les musiciens aller. En studio, on a décidé de tout enregistrer, du matin au soir, et tout a pas mal été improvisé. Je suis arrivé avec des bouts de textes et les gars se sont mis à jammer. Le soir, on bounçait une toune et c’est ce qui se retrouvait sur le disque. » McMahon renchérit : « J-F et moi avions aussi des beats dans nos tiroirs. Des vieux trucs qu’on avait faits sur nos laptops au fil des ans. On s’est aussi servi de ça. »

Livrés avec aplomb dans la langue de Félix Leclerc, les textes parfois acides, toujours rentre-dedans de Brousseau peuvent parfois évoquer ceux d’un certain Biz (Loco Locass). Largement inspiré par Dharma Punx, un bouquin de Noah Levine, Éric estime retrouver un aspect profondément spirituel sur l’album du trio. « Les gens vont rapprocher notre son à celui des Beastie Boys ou d’autres groupes, mais c’est vraiment plus profond que ça. J’observe beaucoup autour de moi. J’aime écrire sur les relations amoureuses et sexuelles. “Le chien de madame” et “Champs de bataille” sont des chansons inspirées de relations très heavy que j’ai eu à vivre. Ce que je raconte est souvent personnel, mais il y a des pièces comme “L’enfer, c’est les autres” qui parlent… des autres! Je me suis souvent retrouvé seul pour les textes. Personne n’avait osé me critiquer. Pour ce projet, Alex m’a donné énormément d’input. Il m’a beaucoup aidé en ce qui concerne la direction qu’ils devaient prendre, » soutient-il.

Évoluant au sein de la sphère musicale depuis de nombreuses années, tous les membres de Cargo Culte gagnent leur vie grâce à leurs talents respectifs. DJ deux soirs par semaine, Éric enseigne aussi le rap dans un centre jeunesse et passe du temps à la maison à créer des rythmes. Les deux autres membres allient leurs fonctions de musicien et de réalisateur et collaborent avec une multitude d’artistes. Selon Lemieux, la clé pour survivre est de multiplier les projets. « Tout de même, ça me fait peur parce que je n’ai fait que de la musique dans ma vie. Ça va bientôt faire 30 ans. Je regarde comment va l’industrie et il y a quelque chose d’angoissant là-dedans. Beaucoup de bonnes choses se font, mais il n’y a plus de place pour tout le monde. Puis, le budget pour produire des albums diminue. Je travaille encore beaucoup, mais je fais moins d’argent qu’avant. Ce qui me stimule est de faire des projets personnels comme Cargo Culte. »

Prochainement, la bande souhaite présenter un spectacle différent par mois en résidence dans une salle montréalaise (inconnue pour l’instant). Puis, c’est le retour en studio avec des invités pour le prochain album de Cargo Culte que les comparses souhaitent « plus ouvert. » Brousseau explique : « J’aimerais que ça ressemble à la gang de Bran Van 3000. Quelque chose que je vais avoir envie d’écouter encore et encore. Aujourd’hui, les seuls disques que je réécoute, ce sont les vieux Sonic Youth, A Tribe Called Quest. On dirait que tout est formaté de nos jours. Tout le monde sonne pareil et est interchangeable. J’attends l’arrivée d’un autre Kurt Cobain pour changer la donne mais on dirait que ce n’est pas prêt de revenir. On est mûr pour une nouvelle révolution musicale. » Et si cette révolution se nommait Cargo Culte?