Brown FamilySi un bon père est un père admiratif, Robin Kerr a sans doute été pour ses fils un très bon père. « Je me souviens que j’avais enregistré une cassette sur une enregistreuse Fisher-Price. Pour enregistrer, c’était vraiment la grosse affaire dans le temps », raconte en riant le cadet de ces fils, Greg Beaudin, attablé chez le café et disquaire montréalais 180g afin de discuter de brown baby gone, second album de la Brown Family, trio que complète son paternel ainsi que son frangin aîné, Jam (K6A, Jam&Pdox).

« Faque c’est ça: j’avais enregistré une cassette avec toutes les tounes que j’avais écrites et j’en avais donné des copies pour Noël à mon père et à ma mère. Et mon père l’écoutait TOUS LES JOURS. Ça devait être horrible, mais pour mon père, c’était le meilleur rap au monde, juste parce que c’était moi. J’avais 9 ans et j’étais un génie. J’étais le Mozart du rap. »

Une vingtaine d’années plus tard, cette admiration du père pour ses fils, et des fils pour leur père, contribue sans doute beaucoup à la force d’évocation, à la profondeur, de leur musique, quelque part entre rap, soul et reggae. C’est que, bien que sans nécessairement célébrer la famille, leurs morceaux portent tous en leur creux l’idéal d’un réel dialogue père-fils, une précieuse et rare opportunité qui élude malheureusement à tant de pères et de fils.

« Ce projet, ça fait de nous une famille plus riche, observe Greg. Pendant une période de notre enfance, on a peu vu notre père et ça nous a beaucoup rapprochés. Ça nous a permis d’avoir de bonnes discussions en profondeur, sur plein de sujets dont on n’aurait jamais parlé avant. »

La création de ce deuxième disque aura ainsi été l’occasion de véritables débats sur la signification d’un texte, par exemple. Issu du monde du reggae, le patriarche Robin préconise généralement une écriture enracinée dans une noble simplicité, comme dans Tomorrow Night: « The sky is grey, it can be blue right now / Life is sweet, it can be sweeter somehow / The sun is shining, yes, it shines so bright / Yes I say the moon is shining, shine so bright ».

« Mon frère et moi, on aime beaucoup écrire dans l’abstraction », rappelle quant à lui Greg, mieux connu sous le pseudo Snail Kid au sein de Dead Obies. « Notre père, lui, il nomme les choses. S’il fait une chanson d’amour, il va dire huit fois à la fille qu’il l’aime. C’est très terre à terre. On s’est un peu obstiné avec lui là-dessus au départ, mais il nous a expliqué que c’était important pour lui que ce qu’on dit soit compris par les gens chez lui en Jamaïque. »

Que pense cet homme de foi des propos parfois profanes (mettons) que tiennent ses fils? Greg rigole à nouveau. « Je pense qu’il l’a dit deux ou trois fois que ça l’agaçait. Quand il y a quelque chose qui ne passe vraiment pas, on est ben ouverts à corriger le tir. C’est ce qu’il y a de bien avec ce projet: il faut qu’on se trouve tous un terrain, que tout soit cohérent. Sans travestir ce que je voudrais dire, je me rends compte parfois qu’il y a des affaires qui n’ont pas leur place avec ce projet-là. La culture plus party, plus ego trip, ça a sa place avec Dead Obies, et moins quand je suis à côté de mon père. » On ne se comporte pas de la même manière avec la famille, qu’avec ses chums.

Trucs d’écriture

Pour Greg et Jam de la Brown Family, l’important, c’est de lancer le plus d’idées possible, le plus rapidement possible. « On commence avec quelque chose de très simple, un sample mis en loop et on crache tout de suite les premières idées qui nous viennent en tête. Ce n’est pas toujours des mots, c’est souvent juste des onomatopées, juste un flow avec deux, trois idées dedans. Quand tu n’as pas de texte préalablement écrit, tu te surprends à faire des choses auxquelles t’aurais jamais pensé. Si j’écris ligne par ligne mon texte, je finis par toujours voir où mon punch line va arriver. Il faut que je joue des tours à mon cerveau. »

La Brown Family se sera par ailleurs rendue pour la première fois en Jamaïque en fin de processus de création. Un retour en terres natales pour Robin Kerr, et une première visite chez leurs aïeuls pour Greg et Jam (le réalisateur Jean-François Sauvé a d’ailleurs tiré de ce court périple un mini-documentaire et quelques clips).

« C’est difficile de nommer ce qu’il y a de Jamaïcain en moi », confie Greg, qui est né au Québec et dont la mère est une Québécoise francophone. « On avait beaucoup parlé du time frame jamaïcain avant de partir et j’ai constaté à quel point il y a là-bas un rythme beaucoup plus lent. Les gens ne se pressent pas, ils prennent le temps pour apprécier les moments. Personne ne fait de faux sourire, de small talk poche. Tout ce qui détonne chez notre père au Québec prend son sens là-bas. »