Comme dit le vieil adage : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Il y a deux ans, l’auteur-compositeur-interprète montréalais Just Woân fondait son label Productions Miss Meuré parce que « je trouvais qu’au Québec il n’y avait pas assez de maisons de disques intéressées à prendre des risques artistiques. Ils aiment bien rester dans leurs zones de confort et produire les mêmes choses, alors que moi, j’avais envie de lancer des projets comme Bantü Salsa, faire des trucs fous, mélanger des trucs qui n’ont rien à voir! »

Comme provoquer la rencontre entre la kora et la salsa, par exemple. Sur papier, on cherche le lien. La kora, instrument classique joué par les griots d’Afrique depuis sept ou huit cents ans ; la salsa, énergique style musical né dans les clubs de New York dans les années ‘60 mariant la fluidité du jazz aux rythmes afro-cubains. D’accord, l’Afrique est le dénominateur commun, mais comme dit Just Woân, sur le plan musical, ça n’a rien à voir.

Jusqu’à ce qu’on écoute Kessaï, le premier album de l’orchestre paru le 11 mars 2020. Lumineux! Les sonorités de la kora qui dansent avec les ponctions de cuivres et les percussions, ça fonctionne, pardi! « La kora dans la salsa, je trouvais ça complètement fou et, juste pour ça, j’avais envie de le faire ».

Une intuition fertile qui permet à Just Woân de sortir lui-même de sa zone de confort. Pour une énième fois : originaire du Cameroun, il aiguille sa carrière sur les scènes et dans les studios depuis une douzaine d’années, trouvant sa vocation (et son nom de scène) grâce à sa participation à une « émission de révélation » locale – pensez à La Voix et consorts.

« Le Cameroun est le seul pays bilingue anglais/français au monde avec le Canada, rappelle Justin Itoko. La télévision nationale diffuse simultanément en anglais et en français. J’étais passé à cette émission produite par un anglophone et, au début, j’écrivais mon nom Just-1, sauf qu’il l’a lu à l’antenne « Just One ». Après, tout le monde dans la rue m’appelait comme ça… »

Bantu SalsaJust Woân a débuté sa carrière discographique en 2011 et, suite à une invitation aux Francofolies, a choisi de faire de Montréal son port d’attache, enfilant trois autres riches albums mettant en valeur sa culture bafia, du nom d’une importante ville du centre du pays, et de chanter sa langue bantoue en explorant les rythmiques d’Afrique et d’Amérique.

« Je suis multi-instrumentiste, je suis aussi autodidacte – je n’ai jamais suivi un cours de musique de ma vie, or je joue de la musique à l’oreille, explique Just Woân. Bantü Salsa, c’est mon trip de musicien : j’ai toujours aimé la musique latine, surtout au piano, car je joue beaucoup de piano », en plus de la basse, instrument auquel on l’associe plus souvent. « J’ai toujours aimé jouer les octaves avec la main droite et plaquer des contrepoints avec la gauche, et y’a beaucoup de musiciens jazz qui ont investi la salsa, deux genres harmoniquement cousins ».

C’est tout naturellement, estime Just Woân, que le groove bantou d’Afrique centrale s’est inséré dans la salsa new-yorkaise. « Il y a aussi un côté narratif, celui qu’amènent les griots dans leur démarche, dans la musique de Bantü Salsa. Je pense que même dans la culture afro-cubaine il y a cette trame narrative, c’est ainsi que beaucoup d’histoire et de traditions se transmettent. »

Il s’est d’abord monté un répertoire, composant seul les chansons de ce premier album. Les textes, les mélodies, les orchestrations de cuivres, les lignes de basses, les percussions : « C’est un projet où la fusion est d’abord rythmique, c’est-à-dire que ce que j’ai voulu montrer, c’est la similitude entre les rythmes d’Afrique et les rythmes latins. La musique des esclaves noirs partis d’Afrique pour rejoindre l’Amérique, leurs rythmes se mélangeant aux traditions harmoniques des colons espagnols et portugais. »

« Ce que je voulais démontrer, sur disque et en spectacle, c’est cette parenté, et c’est à ce niveau-là que tous ces talentueux musiciens qui m’entourent m’ont aidé, d’abord en adhérant tout de suite au projet. »

Sur scène, ils seraient neuf formidables instrumentistes… n’eût été la COVID-19 qui, dès la sortie de l’album Kessaï, a embrouillé les plans de Bantü Salsa, qui se produira quand même le 22 octobre prochain, depuis le Balattou, à l’affiche (virtuelle) du Festival international des Nuits d’Afrique.