Arielle Soucy présente les multiples versions d’elle-même sur son premier album complet Il n’y a rien que je ne suis pas. Après deux EP en anglais, Shame and Waterway (2020) et Unresolved Collection (2021), son album dévoile sa plume en français, des mots empreints d’une mélancolie apaisante qui distille la tristesse dans des réflexions profondes, prêchées tels des mantras.

L’idée précise du titre de l’album a émergé dans la tête d’Arielle Soucy lorsqu’elle a vu un dessin de l’artiste américain Sister Cody sur Instagram : « Il prône cette multitude, cette façon d’être plusieurs choses, se souvient-elle. Il a fait un dessin avec deux personnages qui se parlent. L’un dit Who do you think you are ? et l’autre lui répond Who do you think you are not ? Je me suis dit que c’était rempli de vérité. Si tu te permets de juger les autres à propos de quelque chose, c’est probablement parce que tu n’acceptes pas que tu portes aussi cela en toi », explique-t-elle.

La musique est intervenue dans sa vie dès l’école primaire et secondaire où elle a découvert la scène par la comédie musicale et les instruments par l’orchestre dans lequel elle jouait de la flûte traversière. Puis, à l’Université Concordia, en chant classique, elle a peaufiné les facettes de sa voix pour la comprendre et la décliner de toutes les manières. « J’étais quand même une tannante, rigole-t-elle. J’ai suivi des cours de chant jazz à côté. Je voulais connaître la technique classique, mais ça m’a mélangée. C’est en finissant l’école et en prenant une pause que tout s’est aligné. » Une fois dotée des outils incontournables, la chanteuse a pu modeler sa propre voix : « ça m’a pris du temps, mais tout a été pensé », exprime celle dont la voix se distingue sincèrement de ce qu’on a l’habitude d’entendre.

Dans ses textes, l’auteure-compositrice-interprète évoque les questions les plus immenses: « Est-ce que je suis vivante ? Est-ce que j’aurai assez de temps ? », sur Pardonne-moi, « Papa, sais-tu que c’est moi qui, après ta mort, a gardé ton chat ? Est-ce que je dois croire en Dieu, croire en Dieu, pour que tu sois toujours avec moi ? » sur Élégie. Au-delà des questions, il y a aussi toutes les affirmations qui résonnent tels d’immenses doutes qui s’imprègnent en nous et nous restent en tête grâce aux répétitions : « I might be loving you – I can’t be sure, If it’s a game i don’t think I will win » sur Talk To Me, « Je me promène un peu délavée, un peu perdue dans ma chronologie. Je pense que j’vais jamais être à tes côtés » sur Ottawa, « Enfermez-moi dans une bouteille pour prendre une chose à la fois, arrondir la vie de léger et oublier mon nom », sur Une chose à la fois.

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube de la chanson Il n'y a rien que je ne suis pas de Arielle Soucy

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube de la chanson Il n’y a rien que je ne suis pas de Arielle Soucy

En plus de mêler le français et l’anglais parmi les chansons de l’album, Arielle jongle avec les deux langues à même les chansons. C’est le cas, notamment sur la chanson-titre de l’album qui commence en anglais et se poursuit en français. « C’est casse-cou, mais je l’avais commencée en anglais et je trouvais que la phrase There is nothing I am not était aussi belle dans les deux langues. Je n’ai pas voulu choisir. » Même si elle n’avait pas publié de chanson francophone avant celles de cet album, les gens qui l’avaient déjà entendue chanter en français l’ont poussé à le faire encore. « Pour moi, c’était un défi, mais je me suis dit que pour chaque chanson en anglais, j’en écrirais une en français », raconte-t-elle.

Portée par la nécessité de canaliser des émotions parfois encore vives, elle reconnaît que la construction de son album a été une histoire de laisser-aller. Co-réalisées avec Alexandre Larin (Larynx), les pièces avaient toutes été bâties en solo par Arielle Soucy à la guitare. « C’était difficile de laisser quelqu’un entrer, souffle celle qui avait autoréalisé ses deux EP a priori. Alexandre m’a aidé à pousser mes chansons un peu plus loin. J’avais besoin d’une autre bibitte comme moi qui fait tout en même temps. »

Si certains composent d’abord la musique et d’autres écrivent les textes en premier, Arielle Soucy, pour sa part, s’intéresse au sentiment en premier. C’est ainsi une impression, une émotion, une sensation qui devient le noyau de ce qui sera bâti ensuite. « J’aime écrire des mots, mais c’est plus difficile que la musique pour moi, dit-elle. Les mots complètent le sentiment qui est presque toujours un genre de nostalgie triste-contente. » L’écriture automatique est à l’origine de plusieurs titres de son album, mais une intense réflexion s’est aussi installée alors qu’elle a opté pour la machine à écrire. « Tu tapes des mots et tu ne peux pas les enlever, lance-t-elle. Il y a quelque chose avec la machine qui clarifie ton intention. » Parmi toutes les chansons de son répertoire, Pardonne-moi est la première qu’elle nomme quand on lui demande ce qu’elle a écrit de plus important. « J’en reviens pas de l’avoir écrite, déclare-t-elle. Ça parle des pensées qui nous envahissent et nous empêchent d’être clairs. Tant que tu n’as pas de clarté, tu ne peux pas savoir de quoi tu as besoin. »

À l’extrémité opposée de l’autocensure, elle se met constamment au défi d’écrire, le matin et le soir, quelques mots dans un cahier, des mots qui pourraient devenir importants a posteriori. « J’ai composé beaucoup de chansons avec un looper, précise Arielle Soucy. Ça a teinté mes chansons. J’aime partir de quelque chose de court, une mélodie ou une phrase que j’aime, pour bâtir dessus ensuite. J’aime les canons, j’aime les harmonies et les riffs de basse qui se répètent sans arrêt. » Les textes et la manière de les livrer deviennent ainsi des vases communicants, alors qu’elle vient à harmoniser sa propre voix encore et encore comme si elle chantait aux côtés de nombreuses choristes. De la même manière, les mots et les phrases reviennent comme s’ils contenaient un message caché qu’on finira par comprendre en y pensant à nouveau. Et c’est ainsi que, sans que ce soit prémédité, les chansons d’Arielle Soucy trouvent leur maison ; elles nous habitent.