Amylie

Alitée dans un grand hôpital montréalais, Amylie n’arrivait plus à faire le moindre geste. Entourée d’êtres chers dépêchés à son chevet, elle n’avait « plus rien à offrir ». Sourire lui était impossible. Foudroyée par la maladie de Lyme, l’auteure-compositrice-interprète n’avait plus la force. Exposé fièrement sur la pochette de son nouveau disque, Les Éclats, son corps n’était alors qu’une épave.

« Je ne pouvais même pas dire une phrase complète. Je venais de passer des semaines à chercher ce qui m’arrivait. J’étais toujours fatiguée, incapable de suivre mes amis le soir. On pensait d’abord que j’avais un cancer, puis le VIH », se souvient la musicienne qui a mis un an et demi avant de reprendre le dessus. « Une fois rendue à l’hôpital, entourée de gens que j’aime, j’ai compris quelque chose. Il y a eu un déclic dans ma tête. J’avais toujours pensé que pour être aimé de ses proches, il fallait leur offrir quelque chose. Là, je n’étais plus rien, mais ils étaient quand même à mes côtés. Je venais de réaliser ce qu’être aimé inconditionnellement voulait dire. »

Certains mettent des années de psychanalyse pour arriver à telle réflexion. Amylie aura eu besoin de se faire piquer par une tique porteuse de la maladie de Lyme. Une piqure survenue lors d’une promenade en plein air à Bromont, où elle suivait un stage de perfectionnement de voix. La micro morsure l’a éloignée de la scène pendant des mois, bonjour l’ironie.

Or, l’histoire prend une tout autre dimension avec la parution de Les Éclats, un troisième disque magnifique, apaisant et en lien direct avec l’épreuve vécue par la musicienne. Contrastant avec l’ambiance fleur bleue orchestrale du disque précédent, Le Royaume et sa chanson locomotive Les filles, la nouvelle offrande est plus brute et minimaliste. Les instruments respirent. Parfois renforcées d’une légère saturation juste assez mordante, les guitares électriques d’Amylie, Gabriel Gratton et Olivier Langevin nous bercent avec grâce et subtilité. Le son et l’ambiance rappellent le fameux The Reminder de Feist, une référence que ne réfute pas Amylie.

« J’ai commencé la préproduction de l’album seule en studio. Je jouais de la guitare, de la basse, de la batterie et du Pro Tools! Je voulais garder ça simple, être intègre avec ce que je suis capable de jouer et ce que j’ai envie de dire. Ça m’a donné de l’assurance. Je me suis mis à assumer ce côté plus dépouillé. Je voulais mettre l’accent sur les mots. » Exit les arrangements de cordes et les programmations électros du Royaume. « Je voulais un disque qui se reproduirait facilement sur scène sans avoir besoin d’un paquet de musiciens. »

« La job, les shows, les disques, c’est cool. Mais ça passe. Ce qui reste, c’est ta famille et tes amis proches. »

Les textes témoignent de cette même sagesse. « Ne me regardez pas comme ça / Vous avez tout déjà / Je suis là / Mais je ne vous appartiens pas » chante-t-elle sur Tout.

« Debout sur la branche d’un chêne / Imposante comme la plaine / Je me fous d’être à la hauteur » poursuit-elle sur La Hauteur avant d’enfoncer le clou avec Mille fois : «En chemin rager contre moi-même… / Je devais être folle pour m’éprendre de mes chaines ».

Ce sentiment de liberté et cette envie de lâcher prise face aux attentes des autres sont omniprésents sur Les Éclats. La famille devient un refuge sur Grand-maman et Système solaire. « À cause de la maladie, je ne pouvais plus suivre le monde en général. Je voyais sur les réseaux sociaux mes amis qui sortaient le soir alors que j’étais épuisée, déjà en pyjama. C’est comme si je devais faire un deuil. Un deuil général d’une vie en connexion constante avec la société. Ça prend beaucoup de lâcher-prise. Les réseaux sociaux nous incitent à nous nourrir vers l’extérieur en regardant ce que les autres font. Ça devient une sorte de pression. Me retrouver à l’hôpital entourée de gens que j’aime m’a fait comprendre que l’essentiel se trouvait juste à côté de moi. La job, les shows, les disques, c’est cool. Mais ça passe. Ce qui reste, c’est ta famille et tes amis proches.»

Certains parleront d’un retour aux sources, d’autres d’une maturité renouvelée. Appelons ça simplement la vie.