Originaire d’Oakville, en Ontario, Allie Hughes a généré un « buzz » considérable au début de sa carrière à Toronto, où on la décrivait comme un spectacle à ne pas manquer où se côtoyaient art performance, théâtralité et mélodies pop irrésistibles.

Ce n’est toutefois que lorsqu’elle est partie pour Los Angeles et qu’elle est devenue Allie X que sa carrière a réellement pris son envol. Ainsi, depuis 2014, elle a lancé son EP intitulé CollXtion 1 dont on se souvient principalement pour la chanson « Catch » et son vidéoclip très stylisé et les somptueuses louanges reçues de la part de Katy Perry. Son nouvel album, CollXtion II, est une envoûtante proposition de synth-pop qui est aussi près de la perfection qu’elle pourrait l’être, à moins de s’appeler Ellie Goulding.

Elle génère autant de « buzz » qu’avant, à la seule différence que ce « buzz » est désormais planétaire. « Ça ne fonctionnait pas vraiment à Toronto, en partie parce que je n’avais pas encore trouvé mon son », dit-elle en dévorant son petit déjeuner d’œufs brouillés et d’épaisses tranches d’avocat au Royal York Hotel de Toronto, sa chevelure brune qui lui descend à la taille enveloppant ses épaules.

« J’étais amie avec plein de musiciens indie et rock/électronique expérimental, de gens très talentueux, et ils m’inspiraient énormément. Ce que je n’ai pas réalisé, c’est que moi je faisais de la pop. Je me disais “voilà ma bande d’amis cool”, et je tentais de faire des trucs très niche. J’écoutais les trucs dont on parlait sur Pitchfork. Parmi mes amis, je comptais Born Ruffians, Tokyo Police Club, Broken Social Scene. Mais il ne se passait rien avec ma musique. Puis, après un certain temps, j’ai réalisé que je faisais de la pop et je me suis dit : “allez, fonce !” »

Allie X A fait partie de la première cohorte du Slaight Family Music Centre à compléter une résidence au Canadian Film Centre, en 2012, et elle s’est servie des contacts qu’elle s’est faits durant ce séjour pour financer l’achat d’un billet d’avion pour Los Angeles. Après avoir rencontré plusieurs maestros des bandes originales comme Mychael Danna et « un tas de ses amis qui sont tous des compositeurs accomplis », Allie X a obtenu la permission d’allonger son séjour d’une semaine et a immédiatement entrepris de rencontrer le plus de gens possible. En fin de compte, elle a signé une entente d’édition avec Prescription Songs, une boîte qui est sous la supervision du producteur, auteur-compositeur professionnel et membre SOCAN nommé aux Grammys et gagnants de prix JUNOs Henry « Cirkut » Walter, qui est notamment coauteur et coproducteur de huit des chansons sur l’album Starboy de The Weeknd et qui a travaillé avec Britney Spears, Rihanna, Katy Perry, Nicki Minaj, One Direction, Kesha et Miley Cyrus, entre autres.

« Quand j’étais là-bas, les choses se sont toutes mises en place », se souvient Allie X, dont on pourra entendre une chanson dans le film Sierra Burgess is A Loser qui doit paraître en mars 2018. « Soudainement, je me trouvais dans des salles de réunion avec les bonnes personnes pour le genre de musique que j’écris. »

« La musique est ce qui m’a permis d’avoir une voix… J’ignore où je serais sans musique. »

Que signifie le « X » dans Allie X ?
« X représente l’infinité des possibilités. Il représente également l’anonymat. Pour moi, adopter ce “X” dans mon nom signifiait la possibilité de recommencer à zéro et de définir ma propre réalité. Le X permet de vous recentrer et de prendre le temps de comprendre les choses. »

Allie Hughes a également signé une entente avec Twin Music, le label de l’ex-dirigeant de Sony, Nick Gatfield, juste à temps pour CollXtion II, mais tout juste avant de compléter cet album, elle a collaboré la vedette YouTube Troye Sivan sur son premier album, Blue Neighbourhood, où elle a coécrit cinq des chansons, incluant son « hit » du Top 30 de Billboard, « Youth », qui, à ce jour, cumule plus de 75 millions de visionnements sur YouTube.

« Ce fut vraiment positif ; j’ai fait un peu d’argent », rigole-t-elle. « Troy est un mec vraiment cool. De tous les artistes avec qui j’ai travaillé à L.A., c’est celui qui est le plus artistique. Il sait très exactement ce qu’il veut. Nous n’allions pas travailler en nous disant que nous voulions un “hit” radio. Nous nous disions simplement “passons du temps ensemble pour écrire au sujet de nos vies et de comment nous les voyons.” C’était très positif et ça a super bien fonctionné. On travaille de nouveau ensemble sur du matériel pour lui. »

Allie X aimerait répéter le succès qu’elle a connu avec Sivan sur son propre album, a fortiori depuis qu’elle a choisi un son mettant l’accent sur les synthés. Enfant, elle a d’abord joué du piano. « Mes grands-parents nous ont offert un piano et il n’en fallait pas plus pour que ma mère me dise “tu vas prendre des cours de piano” », raconte mademoiselle X, dont les mains sont sans surprise longues et fines. Elle a d’abord protesté, car elle n’était intéressée que par le chant. « J’ai moi-même été très surprise à quel point j’ai aimé le piano ; j’étais une enfant obstinée qui voulait toujours avoir raison. J’ai donc persévéré et suivi des cours de ma 4e année à la fin du secondaire. »

« C’est mon instrument, maintenant, celui que je connais le mieux », poursuit-elle. « Dans ma vingtaine, je me suis intéressée à la synthèse et j’ai commencé à m’amuser avec des synthés comme le Juno et le Prophet, j’ai appris plein de trucs sur les fréquences et tous les effets. Je suis devenue passionnée par ce monde, et c’est là que j’ai commencé à trouver mon son. Cela a également correspondu à l’époque où j’ai commencé à apprendre à me servir d’Ableton (un logiciel de production musicale) et que j’ai appris à produire mes propres pièces. C’est à ce moment que ce que nous appelons le son Allie X a commencé à prendre forme. »

Les 10 chansons de CollXtion II sont toutes des collaborations, Allie s’étant allié les services de Brett McLaughlin, alias Leland (Capital Cities, Hilary Duff), Mathieu Jomphe Lépine, alias Billboard, et d’autres encore. Les chansons qu’on y retrouve — « Paper Love » et son irrésistible mélodie sifflée, « That’s So Us » et sa ligne de basse qui prend les tripes, et les airs reggae de « Lifted », parmi celles-ci — font preuve d’une architecture sonore qui se révèle au fil de nombreuses écoutes.

Cette signature sonore a permis à Allie X de récolter plus de 12 millions d’écoutes pour huit de ses chansons uniquement sur Spotify. Elle avoue que les mélodies lui viennent facilement, mais que les paroles sont plus laborieuses. « Je suis une parolière qui a besoin de beaucoup de temps », dit-elle. « Lorsque j’écris seule, c’est très abstrait. Je trouve des mots qui sonnent bien, puis j’essaie de leur trouver un sens commun ! »

Conseil de carrière d’Allie X
« Persévérance. N’abandonnez jamais. Il faut prendre le temps de relier tous les points. Je savais que je pouvais arriver là où j’en suis il y a 10 ans, même si personne d’autre ne le savait. Je n’avais aucune idée comment j’y arriverais, mais je savais que j’en étais capable, et je l’ai fait. Je n’avais pas les compétences, pas de son, pas de look — et j’ai encore tant de chemin à parcourir —, mais je savais que j’avais ce qu’il fallait et j’étais convaincue que je pourrais y arriver. »

Formée classiquement à la voix, Allie X croit que les gens devraient aborder ses chansons comme un voyage personnel vers la découverte de son identité.

« Je suis une personne fragmentée », avoue-t-elle. « Je suis confuse par rapport à qui je suis vraiment, de mon degré de pureté… Quelle partie de qui je suis maintenant existait déjà quand j’étais petite et quelle partie de moi a été informée par l’expérience et la douleur. De toute évidence, je ne suis pas la seule personne qui a connu la souffrance ; ça arrive à tout le monde. Ce qui crée de la confusion pour moi c’est quelle partie de qui je suis aujourd’hui a toujours été là. Je ne l’ai pas encore totalement compris. »

« C’est toujours grâce à la musique que je me suis faite des amis. C’est la chose qui m’a donné une voix, au sens propre comme au sens figuré. Elle m’a permis d’exprimer mes sentiments les plus sombres. J’ignore où je serais sans la musique. »

 



Le trio de Montréal (via l’Outaouais) Planet Giza fait lentement, mais sûrement sa transition du statut de producers vers celui d’artistes à part entière. Avec la parution du single Find My Way 2 Love en mai dernier, ils prétendent au trône de PartyNextDoor, version montréalaise, et, disons-le, version un peu plus chouette.

« J’ai trouvé le sample de The Jaspects », explique Rami à propos du processus créatif du simple. « Je l’ai chop et on s’est dit qu’avoir Tony dessus serait une bonne chose, ça complèterait la chanson vu qu’il manquait quelque chose. Il nous a envoyé ses pistes et on a sorti ça la semaine d’après ! »

Formé du MC Tony $tone, et des des beatmakers Dumix et Rami B, Planet Giza s’est formé en 2012, alors que $tone et Dumix formaient ensemble The North Virus. À la lumière des prestations enlevantes qu’ils ont offertes récemment et de l’engouement que leurs mixtapes peuvent susciter sur SoundCloud, Planet Giza risque de faire sa marque au cours des prochains mois sur les dancefloor de même que dans les chaumières. Misant sur un mélange incendiaire d’échantillonnages, de rythmes modernes et de mises en abyme utilisant des rythmes caribéens, leur musique s’inscrit dans l’air du temps, tout en portant une signature bien personnelle.

Considérant les amitiés développées via SoundCloud et dans l’industrie – Lou Phelps, le frangin de Kaytranada, Kaytra lui-même, et pratiquement tout le Montréal faiseur de beats, entre autres – et compte tenu de l’impact de ses récentes performances notamment lors du Artgang All Star et de la première partie du spectacle de Kaytranada au Métropolis à l’automne dernier – il est clair que Planet Giza (prononcé avec le G dur, Gu-i-za, en référence à la pyramide de Gizeh, qui s’épèle Giza en anglais) risque de faire parler d’eux amplement d’ici la fin 2017, alors que tous les astres de l’industrie commencent à converger vers la planète Giza.



Décollage réussi : Bob Bouchard et Lou Bélanger sont en orbite. Six mois après la sortie du premier album dancehall fusion de leur projet Di Astronauts, ces deux prolifiques producteurs de la Capitale tracent leur trajectoire en rêvant que leurs chansons fassent le tour de la planète. Hier les FrancoFolies, aujourd’hui le Festival d’été de Québec, demain… l’univers entier !

Mais au fait, c’est qui au juste, Di Astronauts ? Penchés sur le téléphone-haut-parleur depuis leur chambre d’hôtel de Saskatoon où ils se sont rendus accompagner la chanteuse Marième, trois musiciens parlent en même temps : Bouchard, Bélanger – deux vétérans de la scène rap/groove de Québec, membres du collectif Movèzerbe et CEA – et l’ami Papa T, le Jamaïcain le plus en vue de la ville de Québec.

Di Astronauts

Les chanteuses Di Astronauts au FEQ 2017. De gauche à droite: Dah Yana, Marième, Sabrina Sabotage (Photo : Marième)

« Un collectif à dimension variable ? Ouais, ça ressemble pas mal à ça », répond Bouchard, rappelant que sur ce tout premier album, Lova Notes & Outta Space Poems (paru chez Coyote Records), on peut également entendre les voix de King Abid, Sabrina Sabotage et Marième. La tribu, quoi.

Bélanger s’explique : « Di Astronauts, c’est notre laboratoire. Une excuse pour faire ce qu’on avait envie de faire depuis longtemps », soit un mélange assez habile de pop chantée en français, en anglais, en patois ou en arabe (merci King Abid !) infusée dans le dancehall et new roots jamaïcain et la musique électronique grand public. Un goûteux melting pot, brassé à plusieurs mains, cohérent malgré l’éventail d’ingrédients musicaux utilisés.

« On aime l’idée du projet collectif, poursuit le beatmaker, à la façon de Major Lazer, par exemple, ou encore Bran Van 3000 – si tu savais combien on est des fans de Bran Van, t’as même pas idée ! C’est ça le concept : avoir un noyau de producteurs-maison, qui se donnent la liberté d’inviter n’importe qui à chanter. C’est un processus qui nous parle, cette idée de donner une direction musicale globale à un projet, mais en incorporant le talent d’autres artistes, qui apportent leurs propres saveurs aux chansons. »

L’entreprise a beau avoir été calquée sur le modèle à l’efficacité démontrée de Major Lazer, elle ne manque pas d’audace dans le contexte québécois. Car ici, le reggae et le dancehall n’ont pas spécialement la cote, sinon lorsqu’un artiste pop l’aborde de manière touristique, pour ainsi dire. Consacrer quasiment tout un disque à cette musique – par ailleurs fort accrocheuse – semble ainsi être une véritable œuvre de passion.

« Un peu comme tout le monde, on aimait ça, le reggae, à travers les albums de Bob Marley, Peter Tosh, Gainsbourg aussi, explique Bob Bouchard. Marième, par contre est une grosse fan de reggae, elle nous y a intéressés davantage. Nous, nous étions plus dans la mouvance hip-hop, près des gars d’Alaclair, Movèzerbe, etc. Or, à mesure que la scène rap devenait de plus en plus blanche, de plus en plus nihiliste, on a réalisé qu’on se retrouvait mieux dans le reggae, dans l’idée de pouvoir changer le monde ensemble avec un message positif… ce qu’on appréciait du rap à la base, finalement.

Di Astronauts

Les chanteurs Di Astronauts au Francofolies 2017. De gauche à droite: King Abid, Papa T. (Photo : Mathieu)

Mais rendons à César : le « Capitaine du reggae » à Québec, c’est King Abid. Lui, quand il est arrivé, il a voulu fonder une scène reggae ici » et il y est parvenu : les radios alternatives et universitaires pullulent d’émissions dancehall-reggae et plusieurs soirées consacrées au genre sont organisées. Comme le dit Bob, « y’a pas énormément de monde qui soutiennent la scène reggae à Québec, mais ceux qui aiment ça, y’aiment ça en tabarnak ! »

« Nous, on l’aime, le reggae, et on le fait de façon très actuelle, pense Bouchard, en évitant de le faire en nostalgie, ou de manière « touristique ». Aussi puisque la musique se consomme sur des plates-formes de streaming, notre stratégie est de faire de la musique qui puisse voyager et faire des gestes en conséquence, comme d’aller en Jamaïque avec Papa T pour tourner un clip et faire des contacts avec des chanteurs de là-bas. »

L’astuce de Di Astronauts est d’attaquer sur tous les fronts : les radios avec une ritournelle pop électronique intitulée Feelin’ Better et chantée par Sabrina Sabotage, les plates-formes et YouTube avec des grooves dancehall ensoleillés. À chaque fois, les deux rats de studio accouchent d’une bonne rythmique, puis approchent différents chanteurs pour leur donner vie.

« C’est un projet qu’on aborde à long terme, assure Lou. Ça nous permet de sortir des singles quand on veut, des EP, un clip, toujours dans cette idée de collaborations. Par exemple, on pense à faire un projet avec juste des femmes – ça s’appellerait Di Astronettess. Un autre juste en français, parce qu’on est sur Coyote Records. On pense qu’avec Di Astronauts, on a jeté les bases d’une idée qui peut perdurer sur les cinq, dix prochaines années. Ça peut être très pop, mais c’est aussi cohérent, pointu, niché. C’est ça la liberté que nous procure un projet comme celui-ci. »