Elle a cette propension naturelle pour les victoires, à la télé canadienne comme au centre de la pastille à La Voix. C’est comme si, devant elle, les portes se déverrouillent comme une série de dominos. Douée et ambitieuse, l’autrice-compositrice-interprète tire le meilleur du web pour se propulser à son plein potentiel. Briller comme elle semble s’être toujours destinée à le faire.

Alicia MoffetAlicia Moffet est un cas à part, l’authentique égérie des gens de son âge, de sa génération. Sauf qu’au contraire d’une Britney Spears ou même d’une Gabrielle Destroismaisons, la musicienne aux 21 printemps a été choisie et portée aux nues par ses semblables. Les chiffres ne mentent pas : 390 000 abonnés sur Instagram, 217 000 sur sa chaîne YouTube, 5500 billets vendus pour son spectacle de lancement virtuel en pleine pandémie. Rares sont les vocalistes québécois qui peuvent se vanter de drainer autant de monde sur la toile, de rassembler comme elle le fait et sans l’aval des bonzes de l’industrie.

Courtisée par moult maisons de disques, la chanteuse à la portée enviable aura finalement décidé de se lancer sans filet ni producteurs à ses trousses. Elle n’a aujourd’hui de comptes à rendre à personne. La patronne, pour paraphraser Céline Dion, c’est elle. Un choix dont elle se félicite spécialement en ce moment tandis qu’une vague de dénonciations d’agressions et de harcèlement sexuel déferle sur la scène musicale canadienne. Des prises de paroles nécessaires qui ternissent l’image de certaines entreprises musicales jusque dans leurs moindres racoins, des compagnies avec lesquelles Alicia se réjouit de n’avoir rien signé.

« Je regarde tout ce qui se passe et je me dis que je suis encore plus contente d’être toute seule avec ma petite équipe. Mon cauchemar, ce serait de dépendre de quelqu’un qui profite de moi ou qui prend avantage de moi. Je ne sais pas comment je pourrais gérer ça, honnêtement. »

« Ce n’est pas les offres [des maisons de disques] qui manquent, mais ça ne m’intéresse pas en ce moment parce que j’attends d’en avoir une qui concorde avec mes objectifs. […] Ça me donne aussi une liberté créative. Moi, j’ai fait des concours et tout ça, mon image a souvent été contrôlée et je n’ai pas aimé vivre ça dans le passé. Je pense que c’est en partie pour ça que je reste indépendante. »

Au-delà de sa fougue admirable, Alicia Moffet sait chanter – et c’est réellement un euphémisme de l’écrire ainsi. Sans apparemment savoir à qui il avait affaire, puisqu’elle avait remporté The Next Star deux ans auparavant dans la Ville-Reine, Pierre Lapointe s’était avoué franchement impressionné par son audition à l’aveugle en 2015 à La Voix. Par cette fois où la jeune Alicia, encore adolescente, avait mis At Last de la grande Etta James à sa main. Une partition ardue pour n’importe quelle interprète.

« Si t’es comme ça à 16 ans et que tu vis une expérience comme La Voix, les chanteuses vont avoir de la compétition dans quelques années. »  Autant écrire que Le Monarque des Indes, le coach et créateur de Deux par deux rassemblés, avait eu accès à une boule de cristal. La demi-décennie qui s’est écoulée a ultimement donné raison au flair du bon Pierre.

« J’avais hâte de montrer aux gens ce sur quoi je travaillais, hâte de montrer que je travaillais fort en tabarouette, que c’était de la qualité, confie Alicia. Je voulais que les gens se rappellent que je suis d’abord une chanteuse. Oui, je suis sur les réseaux sociaux et je suis une maman avant tout, mais j’avais hâte qu’on se souvienne de qui je suis au-delà de la Youtubeuse. »

Ce qui tranche chez elle, d’ailleurs, c’est ce contraste entre sa voix parlée et chantée – ce que ses fans lui font remarquer souvent avec une coquette sélection d’emojis. Il y a également tout un monde entre la Alicia des vlogs ou des entrevues, son aplomb jamais insolent, et la vulnérabilité dont elle fait preuve en interprétant ses propres mots. Ses balades puisées à même ses romances déçues ne cadrent pas spécialement avec les clichés et les petits mots qu’elle poste sur son compte Instagram, avec cette petite famille en apparence presque parfaite qu’elle forme avec son amoureux Alex Mentink (son plus grand admirateur) et leur petite chouette encore aux couches. Comme tant d’autres, l’autrice-compositrice-interprète croit que c’est dans le chagrin que naissent les plus belles chansons.

« Honnêtement ne faut pas se fier à tout ce que l’on voit sur les réseaux sociaux. Je continue d’avoir mes struggles même si je sais les gens qui me suivent voient et pensent que ça va bien. J’ai pour mon dire que tu ne peux pas vraiment apprécier ton bonheur si tu n’as pas de la peine. La vie, c’est plein de up and down. Je vis des moments plus tristes chaque semaine, j’ai des déceptions souvent et c’est correct parce que ça m’inspire. J’ai encore des problèmes et des trucs qui me tracassent comme tout le monde. »

C’est flanquée de coauteurs de tous les horizons, de Jonathan Roy à Camille et Laurence de Milk & Bone, que la musicienne aux visées internationales a pondu son premier long-jeu intitulé Billie Aveen hommage à sa fille. Bynon, Richard de son petit nom, signe les arrangements et instrumentations à ses côtés. « Je pense que je l’appelle deux fois par jour juste pour lui dire que je l’aime et qu’on travaille bien ensemble ! […] C’est Olivier Primeau qui me l’a présenté pendant ma passe Beach Club que je vivais au courant de 2018, raconte-t-elle dans un éclat de rire. C’est un bon ami de Sean Paul et, finalement, c’est devenu mon music dad. »

Avec ses accents R&B, une rareté dans la Belle Province depuis les belles années de Corneille, les chansons d’Alicia ne cadrent pas spécifiquement dans le format radiophonique local. « C’est toujours un immense plaisir d’entendre ma chanson On Your Mind jouer à CKOI, c’est comme réaliser un petit rêve de jeunesse. Ceci dit, je ne vais jamais composer une chanson dans le but de jouer à la radio, de faire un hit. Ça vient du cœur avant tout et je ne suis pas très business. […] Je ne crois pas avoir un son québécois et c’est ce que je me fais beaucoup dire aussi. Je pense que ça n’a rien de négatif ou de positif. Mes influences ont toujours été issues dans la pop anglophone. J’adore Christina Aguilera, par exemple. Ce n’était même pas par choix, c’était juste ce que j’aimais et j’écoutais. Quand j’ai commencé à écrire de la musique, ces sons-là ont déteint sur moi. »

Même si elle en a déjà plein les bras, occupée par son rôle de maman encore frais de même que par les rénovations qui ont cours chez elle cet été, Alicia Moffet vise à sortir du confinement armée d’un nouvel EP de pièces originales. Ce après quoi elle pourra attaquer la scène avec un répertoire élargi. « J’aimerais faire la première partie d’un artiste international en tournée. Je ne sais pas encore qui ni comment, mais c’est le plan de match. »

Comme le dit l’adage dans la langue de The Weeknd et Carly Rae Jepsen : dreams don’t work unless you do, les rêves ne se réalisent pas tant que tu n’y travailles pas. Et ce ne sera, apparemment, pas du tout un enjeu pour Alicia.