« La santé et la famille… Plus de temps avec ma famille », lance Souldia au bout du fil, quand on lui demande ce qu’on peut lui souhaiter pour l’année à venir. Par un beau hasard, c’est le jour même de notre entrevue (24 mai) que le rappeur de Québec célèbre son 39e anniversaire.

Le rappeur montréalais Lost, également au bout du fil, acquiesce : ce sont les moments avec sa famille qui lui manquent le plus dans le tourbillon de sa carrière.

Souldia, LostMême s’ils ont un horaire très chargé depuis quelques années, les deux artistes ont trouvé un moment pour unir leurs forces sur Portrait robot, un premier album surprise paru sous Disques 7ième Ciel le 3 mai dernier. L’album met en lumière la réalité brute de deux rappeurs partis d’en bas qui sont conscients de leur nouvelle réalité – cette réalité qui les rapproche constamment de leurs objectifs de carrière, mais qui, également, les éloigne de leurs proches.

« Une autre journée loin de vous, j’suis désolé / J’ai le cœur gros, j’ai le blues », confie Souldia sur Hibou, l’une des chansons les plus intimes de cet album. « Surveille ma maison en mon absence / J’connais qu’le boulot, papa n’a pas de chance », rappe à son tour Lost sur cette même chanson.

« Y’a des jours où je ne vois même pas ma famille », explique le Montréalais, père de trois enfants. « Je travaille, je fais des sessions de nuit. Je commence à 18h et je rentre chez moi vers une heure, quand tout le monde dort. »

« Mais au final, on le fait pour eux. On le fait pour notre héritage », justifie Souldia. « On finit par trouver un équilibre, par trouver des bons moments à passer avec eux. »

C’est justement ce qu’ils ont dû faire pour que ce premier album collaboratif prenne vie : trouver un moment de qualité. Aux côtés de quatre talentueux réalisateurs et compositeurs (Christophe Martin, Farfadet, Toosik et TWT), Lost et Souldia se sont réfugiés dans un spacieux chalet aux abords de Rivière-du-Loup.

Sur place, trois postes de travail : un destiné à la prise de voix au sous-sol et deux autres destinés à la création de beats au rez-de-chaussée. « Avec les trois postes, ça roulait tout le temps. Ça devenait une chaîne, une usine », explique Lost. « Si Souldia est en train d’enregistrer en bas, moi, je suis en haut en train d’écouter les instrus ou en train d’enregistrer des toplines. »

De huit heures jusqu’à quatre heures du matin, presque sans relâche, les gars triment dur pendant cinq jours. En bon lève-tôt, Souldia s’occupe de réveiller ses acolytes de la manière la plus optimale qui soit. « J’activais le kit de son Bluetooth et j’envoyais à très haut volume la chanson sur laquelle on travaillait avant de se coucher. Ça mettait tout le monde dans le bain ! » raconte-t-il, en riant.

« Y’a juste durant les repas qu’on prenait le temps de s’asseoir tous ensemble. On décompressait, on discutait. Et après, on repartait », relate Lost.

« On n’a même pas eu le temps de faire le party. On est des bons festoyeurs en plus, mais on était en mode work ! » assure Souldia.

En ressort une collection de 10 chansons très éclectique sur le plan musical. On commence le voyage avec les percutantes touches jersey drill de Hier encore et on le termine avec l’ambiance rap soul chaleureuse de Cohiba, en passant par des tons à la fois plus détendus, incisifs et mélancoliques. En fait, chaque chanson de Portrait robot est un terrain de jeu pour les deux artistes – un terrain de jeu propice à la déclinaison de flows inventifs et efficaces, en parfaite harmonie avec les trames proposées par les compositeurs. «  Il y a beaucoup moins de pression quand tu fais un album comme ça [en duo] », indique Lost. « On laisse la place à la créativité, à des choses qu’on n’a jamais faites. Je dirais pas qu’on a droit à l’erreur, mais on s’autorise à emprunter de nouvelles avenues, sans nécessairement penser aux visées commerciales. »

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C’est une rencontre musicale qui s’imposait pour les deux rappeurs. Depuis qu’ils ont fait connaissance il y a huit ans, lors du lancement de l’album Sacrifice de Souldia au Lion d’or, à Montréal, les deux acolytes ont constaté qu’ils avaient énormément de choses en commun. Et tout ça va bien au-delà de leur rôle de père. « Y’a trop de trucs qui nous rassemblent », explique Lost. « First of all, on est deux gars de la rue. On a tous les deux un [lourd] passé […] et au niveau de la musique, on a aussi la même approche. Souldia, j’aime sa plume, sa hargne. Dans le rap, y’a du monde qui préfère les paroles, le flow ou les instrus, mais pour moi, la chose la plus importante, c’est de transmettre une émotion. Quand je peux sentir l’émotion du rappeur, c’est ça qui vient me chercher. Et je retrouve ça dans la musique de Souldia. »

Les deux rappeurs ont en commun un autre dilemme : celui de rester fidèle à leurs racines, à leur entourage et à qui ils sont, tout en s’assurant d’évoluer à la fois comme artiste et comme humain. « Oui j’ai changé / Juste un p’tit peu / Pour le meilleur et pour le mieux », proclame Souldia dans Sur parole, laissant sous-entendre que c’est dans la transformation qu’on peut se réaliser. Des propos qui rejoignent la pensée de Lost : « Le plus important par-dessus tout, c’est d’évoluer. C’est d’admettre que t’es rendu à un autre point, beaucoup mieux que celui où tu étais avant. Y’a rien de plus real que dire ‘’j’ai changé’’. »

Et pour changer, ça prend une bonne dose d’humilité ainsi qu’un redoutable pouvoir d’analyse, qui permet de regarder avec recul les bons et mauvais coups du passé. « J’en veux au monde, donc c’est normal que j’prenne tout personnel / J’me suis mis dans la merde tout seul pour aller m’plaindre que personne m’aide », révèle Lost sur DCD.

Pour le rappeur, la musique reste le moyen le plus efficace pour analyser sa vie. « La musique permet de voyager dans le temps. Je peux être là en 2024 et écrire une chanson qui retrace mon parcours d’il y a 10 ans. J’ai le luxe de revisiter mon passé. Et en plus, je peux me projeter dans le futur. C’est là où tout ça devient un art. »

« La musique te permet de manier le temps à ta guise », résume Souldia. « C’est ce qui me permet de savoir  où je m’en vais. »