Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, deux personnages qu’à première vue tout éloigne : Yves Lambert et Josh Dolgin, alias Socalled. Quand deux électrons libres de la musique font se heurter leurs passions respectives pour la tradition, le résultat vole en éclats!

Une première dans cette série sur les duos auteurs-compositeurs : les deux entrevues sont menées séparément. Lambert, phare de la tradition musicale québécoise, est comme à son habitude : bouillant, passionné, et à l’heure pour ce rendez-vous donné dans un café du Mile-End.

Où est Socalled? Perdu dans la ville, on imagine. La tête en studio, à trimer sur le premier album de l’auteure-compositrice Sarah Toussaint-Léveillée, on espère. En lendemain de veille de Hanoucca, la fête des Lumières juive, qui bat son plein douze jours durant en ce clément mois de décembre? « C’t’une estie de bébitte, Socalled. Pis moi, j’aime ça les bébittes », lance Yves Lambert, sourire en coin et pas vraiment étonné que son ami ait oublié notre rendez-vous.

Notre énergumène absent a lancé plus tôt cette année l’épatant People Watching, melting pot musical où pop, funk, rap, reggae et musique traditionnelle juive festoient ensemble. Un album sur lequel apparaît Lambert, en duo avec le légendaire chanteur reggae/dancehall Josey Wales, pour la chanson Bootycaller.

Quant à Yves Lambert, il a tout récemment lancé Lambert dans ses bottines, album soulignant quarante années de carrières, arrangé, enregistré et réalisé par Socalled. « Nous autres, on a des caractères compatibles », dit Lambert, en expliquant sa relation avec Dolgin. « On ne vient pas de la même place, mais il a aussi une passion pour la tradition. Il la porte bien, il est respectueux de ça, c’est ce qu’on a en commun. » « Aussi, on est deux accordéonistes! », souligne de son côté Socalled, joint plus tard par téléphone.

« J’avais des cassettes de la Bottine, j’étais un fan. Ce mélange entre la tradition et le jazz, par exemple, c’était incroyable pour moi. », Socalled

Yves Lambert ne connaissait pas le travail de Socalled lorsqu’ils se sont croisés une première fois, il y a moins de dix ans, à l’occasion d’un concert pour l’organisme Jeunes musiciens du monde. Socalled, lui, était familier avec l’œuvre de la Bottine Souriante : « J’avais des cassettes de la Bottine, j’étais un fan. C’était la seule musique québécoise vraiment novatrice que j’ai entendue – ce mélange entre la tradition et le jazz, par exemple, c’était incroyable pour moi. Il y a beaucoup en commun avec la musique traditionnelle québécoise et juive : ce sont deux répertoires festifs, beaucoup de musique de mariages et d’événements, et il y a dans ces chansons le même désir d’échapper au quotidien », note Socalled. Sentiment partagé par Yves Lambert.
Yves Lambert, Socalled
Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. C’est arrivé à Copenhague, en 2009, dans le cadre du festival WOMEX, une vitrine pour les musiques du monde. Coup de foudre musical partagé par l’un et l’autre. Des numéros de téléphone se sont échangés. Yves, qui avait vécu des moments « énergisants » sur scène auprès de Socalled, a songé à lui pour la réalisation de Lambert dans ses bottines.

« On s’est vus une couple de fois durant l’été [2015], dans son capharnaüm en arrière de la bibliothèque Mordecai-Richler, raconte Yves Lambert. Nous étions tous deux dans notre buzz de l’été, des projets par-dessus la tête, faisait chaud, mais ‘fallait le faire. La commande était là : revisiter mon vieux matériel. Après, on travaillera sur du matériel original. »

Dans le cas précis de Lambert dans ses bottines, le travail de composition s’applique essentiellement aux orchestrations, puisque, hormis quelques vieilles compositions de Lambert ou de la Bottine, toutes les chansons sont tirées du répertoire traditionnel québécois. La collaboration entre Socalled et Lambert n’en fut pas moins riche, suffit d’écouter ce que sont devenus le « petit porte-clés tout rouillé » ou « la cuisinière » une fois passés par le capharnaüm de Dolgin.

« Il faut bien connaître l’histoire de ce répertoire avant de s’accorder le droit de mettre le bordel dedans, insiste Socalled. Yves est un expert de ce répertoire traditionnel. Tout ce temps qu’on a passé ensemble durant l’été a servi à discuter, à écouter les chansons, pour arriver à mettre le doigt sur ce qui faisait le caractère de cette musique, et ce qu’on allait en tirer. Revenir au groove, aux harmonies, aux mélodies, à l’essentiel de cette musique, et construire à partir de ça. On ne peut pas simplement mettre un rythme house par-dessus une chanson pour en faire quelque chose de nouveau… »

Certaines directions musicales avaient déjà été tracées, soit par la Bottine Souriante, soit par Yves Lambert et son Bébert Orchestra. « D’un bon matin, par exemple, avait déjà un feel reggae, dit Lambert. Avec Socalled, on est seulement allé jusqu’au bout de cette idée, avec un vrai band reggae ». D’autres ont été prises de concert, à force d’échanger des idées.

« Nos rencontres ressemblaient à ça : j’arrivais avec mon ordinateur, je faisais écouter à Josh des versions – pas trop longtemps, pas au complet, pour ne pas qu’il ne s’imprègne trop des versions originales. Pis on en parlait ». Les premières sessions d’enregistrement avec Yves et son trio ont eu lieu au début de l’automne, avec déjà les directions musicales établies.

« On a toute sorti ce qu’on avait à sortir de nos tounes, et ensuite, ce sont les collaborateurs de Socalled qui ont commencé à travailler avec ça ». Comme le tromboniste américain Fred Wesley, qui a écrit les arrangements de cuivres. « Fred Wesley su’ mon disque, l’arrangeur de James Brown, t’imagines? », s’emballe Lambert.

« Pour le disque de Yves, il fallait faire en sorte que la fusion fonctionne, abonde Socalled. Faire une vraie rencontre de la musique traditionnelle québécoise avec la musique klezmer, ou le funk de Wesley, ou en ajoutant des échantillons. C’est une opération délicate, il faut que chaque élément soit bien dosé. Le rigodon, la turlute, le tapage de pied, la mandoline, je me suis fait une liste mentale de ce qui caractérise la musique québécoise traditionnelle, et j’ai tenté de conserver ces éléments en proposant de nouvelles sonorités à marier. »

Cette collaboration musicale entre nos deux amoureux du folklore pave la voie à de prochains projets, qui mettra de l’avant des chansons originales et, à nouveau, la rencontre d’univers musicaux distincts. Lambert assure : ce n’est qu’un début. À suivre, notamment, un projet de comédie musicale, ancrée dans un chapitre riche, mais oublié de l’histoire montréalaise, signé Lambert et Dolgin!