En 1970, c’est le deuil: les Beatles deviennent le premier groupe de la jeune histoire du rock’n’roll à officiellement annoncer sa séparation. Mais en 1970, c’est également la manne : chacun des membres du quatuor lance des albums solos géniaux, innovateurs, ambitieux et/ou attendrissants (McCartney de Paul McCartney, John Lennon/Plastic Ono Band de John Lennon, All Things Must Pass de George Harrison et Sentimental Journey de Ringo Starr, et) ayant tous en commun cette même palpable ivresse propre à la liberté, lorsqu’on en a longtemps été privé. Les Beatles s’affranchissent des attentes et de leur passé.

Lumiere

Photo: Guillaume Plourde

« Il y a quelque chose que je trouve fort par rapport à cette émancipation-là et au droit qu’ils se donnaient de faire quelque chose par eux-mêmes », observe Étienne Côté, alias LUMIÈRE, qui se donnait lui aussi récemment le droit de faire quelque chose par lui-même: un album intitulé A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R.

Né à Sainte-Antoine-de-Tilly, sur la rive sud de Québec, Étienne Côté s’initie à la musique en passant des heures en tête-à-tête avec le piano de sa grand-mère, à qui il rend visite la fin de semaine. Il tient à dix-huit ans le rôle du batteur dans un groupe hommage à Jimi Hendrix, puis amorce plus tard à l’Université de Montréal des études en percussions classiques. Des études qu’il ne terminera pas. Pourquoi?

Parce qu’en 2014, son compatriote antonien Antoine Tardif l’invite à monter à bord de la tintamarresque caravane Canailles (dont on apprenait récemment la fin). L’auteur de ces lignes évoque au passage son affection pour le trio de power pop oblique Polipe, dont était jadis membre Antoine. Étienne s’emballe « Polipe a eu une grande importance pour moi ! Ç’a été des influences majeures. Quand j’avais seize ans, eux, ils avaient dix-huit, dix-neuf, et quand ils revenaient à Saint-Antoine-de-Tilly, ils nous invitaient à aller les voir jammer. »

Malgré ses expériences multiples et les nombreux instruments qu’il maîtrise, Étienne Côté mettra beaucoup de temps à s’autoriser à écrire ses propres chansons. « J’me fais pas assez confiance / La beauté est partout / J’me compare trop / Tout le monde est meilleur que moi / À mes yeux / Tout le monde est meilleur que moi », confie-t-il sur FREUD.EST. MORT, chaloupante séance d’autoflagellation portée par une partition de sitar très George Harrison (A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R fait autant écho aux foisonnements orchestraux d’All Things Must Pass qu’à la beauté bricolée de Ram de Paul McCartney).

« C’est tout moi, ça », confie Étienne au sujet de sa pernicieuse propension à se comparer aux autres. « C’est certain que c’est parce que j’avais peur que j’ai attendu aussi longtemps pour écrire ma première chanson [en 2016]. J’avais peur que ce ne soit pas assez bon. J’étais super exigeant. J’ai toujours eu cette envie-là, mais on dirait que je n’étais jamais rendu au bon moment. Je voulais que ma première toune, je la trouve bonne. »

Des bonnes tounes, A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R en contient plusieurs, pour le dire le moins. Album concept se déroulant en 1971, cette épopée lysergico-naïve, arpentant la frontière entre amour et amitié, met en scène un certain LUMIÈRE et sa compagne CRISTALE (Naomie de Lorimier, aussi connue sous le nom N NAO). Leur rencontre avec Briquette (Daphnée Brissette, avec qui Étienne jouait dans Canailles et joue toujours dans Bon Enfant), qui leur glissera sur la langue des friandises injectées de LSD, bouleversera leur cœur et leur imaginaire, pour le meilleur et pour le pire.

Fier nostalgique des années 1970, une époque qu’il n’a bien sûr pas connue, Étienne Côté emprunte au début de cette décennie charnière des sonorités, mais aussi un certain idéal, en témoigne ce mot à la fois chargé et évanescent dont il a affublé son projet. « Je trouve que lumière ça fitte quand même bien avec ce que j’essaie de transmettre dans mes chansons. C’est quelque chose que j’ai du mal à rejoindre dans ma vie. Au quotidien, ce n’est pas facile d’être quelqu’un de lumineux. C’est comme un idéal que j’ai, d’avoir une joie de vivre, une bonne humeur, une transparence, d’être capable d’être honnête. Pour moi, c’est ça, la lumière. »

A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R devient par ailleurs le troisième (magnifique) album de 2021 à porter la signature du réalisateur Alexandre Martel, après Sweet Montérégie d’Alex Burger et Cantalou de Thierry Larose. C’est lors d’un spectacle d’Anatole (projet glam rock de Martel) qu’Étienne Còté fait sa connaissance… et lui vole une carte de tarot. « Alex vendait à sa table de merch des super beaux jeux de tarot sérigraphiés. Je savais pas c’était quoi à ce moment-là, je pensais que c’était des cartes promotionnelles. J’en ai pris une. »

Il comprend plus tard qu’il a dépareillé un jeu. « Je me suis rendu compte que j’étais parti avec la carte du pendu, qui est maintenant ma carte préférée, parce qu’il y a une ambigüité dans cette carte-là. Le point de vue du pendu lui permet de voir le monde à l’envers », un peu à la manière d’un artiste. Étienne Côté attendra la fin de l’enregistrement d’A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R pour avouer son ancien larcin à son comparse, de crainte de saboter leur relation. Un souvenir qui le fait rigoler. « Je sais pas trop pourquoi j’avais autant peur, mais ça s’est bien passé. » Un véritable ami est celui qui sait pardonner.