Avec Spectrum, son premier EP solo, Zach Zoya joue d’audace en se lançant l’objectif de « revoir cette idée qu’un album doit se limiter à une ambiance unique ».

Zach ZoyaDétrompez-vous : le défi du chanteur et rappeur montréalais d’origine rouynorandienne n’a rien de présomptueux. Au contraire, il a le mérite d’être honnête, voire humble.

« Je voulais établir qu’à la base, les gens doivent me connaître comme quelqu’un qui fait plusieurs choses. Comme quelqu’un d’aussi à l’aise dans le rap que le R&B plus sentimental. Je veux pas avoir à reconvaincre tout le monde sur un prochain album. Je veux éviter qu’il y ait une brisure. »

Avec la polyvalence comme « première valeur musicale », l’artiste de 22 ans fait écho au bagage musical de sa famille, qui prend à la fois racine en Amérique du Nord et en Afrique du Sud, pays d’origine de son père.

« Mes grandes sœurs écoutaient du Beyoncé, du Drake et un peu de R&B des années 1990 comme Usher. Je pense que sa manière très rythmée de chanter, parfaitement superposée aux drums, m’a vraiment influencé. Mes parents, eux, c’était du Elvis et de la musique africaine. Inconsciemment, les harmonies africaines vraiment riches et texturées m’ont probablement inspiré aussi. »

Et Zoya ne s’en cache pas : la musique québécoise n’a que très peu de place dans tout son panorama musical. Sans ordinateur et sans télévision pendant une bonne partie de son enfance, le jeune homme a eu un contact très limité avec la musique francophone – de là son choix d’évoluer en anglais, même s’il a été élevé en français.

« J’avais seulement la radio, donc des fois, je tombais sur du Marc Dupré, du Marie-Mai… Shout out à eux, mais c’était pas vraiment mon vibe », lance-t-il, poliment. « À un moment où tout le monde regardait les WordUp! Battles, moi, je découvrais Kendrick Lamar – son album Section.80. Je connaissais les paroles par cœur et je les chantais avec mes amis, juste pour le fun. Puis, vers l’âge de 15 ans, j’ai commencé à faire ça dans les partys, et les réactions des gens m’ont vraiment donné confiance en moi. C’est là que je me suis dit : ‘’I’m doing this for real!’’ »

L’année suivante, Zoya débarque sur la Rive-Nord de Montréal pour y terminer son secondaire. Miraculeusement, son meilleur ami a un contact au sein de sa famille pour un ingénieur de son et un studio. En découle une première mixtape, qu’un certain Steve Jolin découvre sur Souncloud en 2017.  Le directeur de Disques 7ième Ciel, étiquette hip-hop basée à Rouyn-Noranda, y voit là une alliance naturelle, presque prédestinée. Et ça tombe bien, car Zoya aussi.

Aux côtés du renommé producteur lavallois High Klassified, la jeune sensation offre Misstape, une première parution officielle sous 7ième Ciel, en 2018. Plusieurs labels d’envergure internationale y flairent la bonne affaire, notamment Universal Music Canada par l’entremise de l’un de ses plus célèbres A&R : le rappeur torontois Kardinal Offishall. « On a envoyé des démos à tout plein de labels et c’est vraiment Kardi qui nous a le plus témoigné d’enthousiasme. Tout s’est fait très organiquement avec lui. »

Ces démos font partie d’une banque de 200 chansons créées en trois ans aux côtés du producteur parisien Bougo (son «go-to-guy») et de quelques autres talentueux compositeurs comme Ruffsound, NeoMaestro, Gary Wide et High Klassified. Uniquement composé de six chansons, Spectrum a donc été précédé d’un travail parcimonieux d’écoute et de tri.

« Au lieu de chercher à réunir un style de beats semblables, j’ai choisi d’y aller vers un fil conducteur vocal. Oui, il y’a des vibes différents, mais fallait pas non plus que ça sonne comme s’il y avait deux gars différents, un qui chante et l’autre qui rappe. Fallait qu’on ressente que c’est le même gars, mais avec des émotions différentes. »

En ouverture, Le Cap met judicieusement la table avec son vigoureux trap, terrain de jeu optimal pour le flow percussif de Zoya. Une convaincante démonstration de force, qui n’a d’égal que la lourde et épique conclusion Slurpee, percutant premier extrait lancé cet été et bonifié par un clip remarquablement déjanté.

Entre les deux pièces, l’artiste se fait plus près de ses émotions, comme c’est le cas sur Pillz, sa chanson préférée du EP. « J’ai pris des moments précis de mes peines d’amour des cinq dernières années et je les ai rassemblés dans un même texte. Je voulais créer un narratif qui montre vraiment ma vulnérabilité. »

Alors qu’il proclame son indépendance sur In Da Way, écorchant au passage toutes ces relations d’amitié superficielles qui ont entravé son parcours musical, Zoya y va d’« une déclaration d’intention » amoureuse sur Stick by You. « Il y a deux ou trois ans, j’étais dans un état d’esprit assez fermé. Je sentais que je pouvais pas m’impliquer ou m’investir dans une relation amoureuse, car ma priorité, c’est la musique. Mais les choses changent, et cette chanson-là, c’est moi qui promets à mon amour que je vais tout essayer pour elle. This is gonna be fucked up, je peux rien prévoir, mais je vais te donner le meilleur de qui je suis. »

Sur Patience, le chanteur et rappeur réfléchit à sa relation au bonheur avec un étonnant recul philosophique. « Every time I think of joy, I lose a little » (Chaque fois que je pense au bonheur, j’en perds un peu), y confie-t-il. « Chaque fois que je vis un bon moment, j’ai rarement un bon feeling. On dirait que, dès que je m’en rends compte, je commence à tout évaluer ce qui ne va pas à côté. »

Même s’il aspire à une carrière internationale, Zoya évite de pourchasser le bonheur ou le succès rapide. Pour lui, le trajet vers la gloire ou, plutôt, « l’épanouissement maximal » est plus important que la finalité en elle-même. « Quand j’allais voir ma famille en Afrique du Sud, j’avais toujours hâte à la ride d’avion. Une fois que j’arrivais sur place, l’excitation finissait par passer, et ma destination devenait ma nouvelle normalité », image-t-il.

« Je veux que ma carrière soit la ride excitante avant d’arriver quelque part. Peu importe où c’est. »