Zen BambooComment Simon Larose, le leader de Zen Bamboo, occupe-t-il son confinement? À jouer de la guitare sur son balcon, comme il le faisait en cette fin d’après-midi avant qu’on lui passe un coup de fil, ou à lire la liste des livres préférés de sa copine, pendant qu’elle lit ses livres préférés à lui. « Même si on se connaît par cœur, dit-il, c’est comme une illumination. Nos livres préférés, ça en dit beaucoup sur qui on est, ça élucide beaucoup de choses sur nos mondes intérieurs respectifs. C’est une expérience enrichissante et super intime. »

Que se trouve-t-il sur la liste de Simon ? Les fous de Bassan d’Anne Hébert, Slaughterhouse Five or the Children’s Crusade de Kurt Vonnegut, Picture Post de Graham Green, Les Cerfs-volants de Romain Gary et Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez.

Que pourrait-on apprendre à son sujet en se plongeant dans sa petite bibliothèque idéale ? « On apprendrait probablement que je suis quelqu’un de dramatique, que je suis une diva », répond en riant le parolier et musicien de 25 ans, qui a complété les deux tiers d’un baccalauréat en littérature comparée à l’Université de Montréal. « On apprendrait peut-être aussi que je suis un cynique qui aime les êtres humains. Comme un de mes amis le dit : dans chaque cynique, il y a un optimiste déçu. »

Cette tension entre une sorte d’aversion plus ou moins sourde pour l’humanité et un désir brûlant de l’enlacer, on la devinait déjà à l’écoute de GLU, premier album complet de Zen Bamboo paru fin mars. C’est qu’il y a à la fois dans ce disque la soif de travailler à la suite de notre monde, mais aussi la peur que ce monde ne s’éteigne bientôt, et que nous soyons les coupables de cette extinction.

« Qu’est-ce qui restera après de nous / Qu’est-ce qui restera après / Si nos bébés à nous / On les avale, on les déjoue / Si nos bébés à nous / On les renverse sur nos joues », demande Simon Larose dans Xoxoxo, qui est à GLU ce que La Monogamie était à Trompe-l’œil de Malajube : une chanson où l’euphorie du sexe et l’angoisse de la mort dansent, dansent ensembles, toute la nuit.

« Souvent, j’écris des chansons comme on construit une bête, pour combattre ces monstres-là qui me hantent. »

« Xoxoxo, ça parle du fossé irréconciliable entre à quel point on est angoissé comme génération par le fait de faire des enfants et à quel point on vit le sexe du point de vue des loisirs, sans trop y réfléchir, et sans se protéger. Je me suis mis à penser à ça un soir – à la quantité de sexe non protégé qu’il y a entre des gens qui ne veulent pas d’enfant – et ça a commencé à me hanter, c’est devenu un monstre. Souvent, j’écris des chansons comme on construit une bête, pour combattre ces monstres-là qui me hantent. »

« Moi j’aime vivre / Et j’aime vivre / Et j’aime vivre encore / Encore plus fort », scande pourtant un Simon Larose super jovial sur J’<3 vivre. « Je veux tout de la vie / Sans le moindre compromis », ajoute-t-il sur Glu (coule sur moi). Schizophrénique, vous dites ? Pas étonnant que les premières incarnations de GLU aient été divisées en deux parties : « cinq tounes de vie – le life side – et cinq tounes de mort – le death side». Sa version définitive est néanmoins peuplée de bébés, de nourriture et de scènes de dévoration, quelque part entre pulsions vitales et pulsions délétères, si bien que Simon Larose demeure un auteur préférant poser des questions que de donner des leçons.

Autant sur le plan des textes que de la musique, il y avait donc longtemps qu’un groupe québécois n’avait pas conjugué une pareille ambition à un désir palpable de parler au plus grand nombre. Album tout en paroxysmes, GLU est ce genre de disque ayant ce qu’il faut pour vous redonner foi en l’avenir du rock. Fervents admirateurs de Malajube, les quatre membres de Zen Bamboo (le guitariste Léo Leblanc, le bassiste Xavier Touikan et le batteur Cao complètent l’alignement) ont d’ailleurs fait appel aux services du réalisateur Julien Mineau, après avoir collaboré avec l’autre tête pensante de Malajube (Thomas Augustin) sur leurs précédents EPs.

« Ironiquement, je pense que si on ne voulait pas que ça sonne trop comme un pastiche de Malajube, il fallait travailler avec Julien plus qu’avec quiconque, parce que s’il y a bien quelqu’un qui ne veut pas refaire du Malajube, c’est Julien Mineau. »

Le réalisateur, désormais installé à Saint-Ursule en Mauricie, aura apporté au groupe ce que Simon Larose appelle « des idées kamikazes. » C’est-à-dire? « Julien, c’est quelqu’un qui n’a pas peur d’essayer des trucs, sans savoir ce qu’ils vont donner. Il n’a jamais peur de tout remettre en question: mettre le début de la chanson à la fin, prendre la toune acoustique et la rendre heavy, changer la tonalité d’une toune, les accords. Une fois qu’on a décidé que tout était possible, qu’une chanson n’était pas sacrée, qu’on pouvait la tordre, c’est là que le vrai processus a commencé. »

Rien n’est sacré lorsque l’on crée, mais la musique, elle, a quelque chose de sacré pour Simon Larose qui, sur GLU, semble constamment tenter de chasser l’idée que tout ça – la vie – n’a aucun sens. « Il y a en moi un besoin de transcendance qui est souvent déçu, oui. La musique devient le véhicule par lequel j’essaie de creuser des brèches pour voir – c’est con, ça va sonner mystique – pour voir l’au-delà. »