Viviane Audet

La séparation de ses parents combinée à un deuil familial ; les périodes éprouvantes peuvent déclencher la nostalgie. Viviane Audet s’est donc enfermée durant le mois de mai 2021 pour composer quinze pièces instrumentales au ton calme et posé qui dépassent à peine trois minutes chacune, sur un vieux piano blanc de la sacristie de l’Église de Richelieu, qu’elle a débusqué et restauré.

« Je passais environ 45 minutes par jour sur mes compositions, seule, à m’enregistrer avec (le logiciel) Cubase et, parallèlement, j’écrivais les accords sur un cahier. En rétrospective, je me prêtais à cet exercice de création pour ne pas mourir, j’étais déprimée. Il y avait une question de survie là-dedans ».

La maman de deux garçons, avec son amoureux, le comédien et musicien Robin-Jöel Cool a aussi publié trois albums de chansons ses dernières années, le plus récent étant le fastueux Les nuits avancent comme des camions blindés sur les filles (2023). Comédienne au théâtre et au cinéma, compositrice de musique à l’image (on pense à Camion (2013), Prix Jutra, meilleure musique de film, mais aussi Les Rois mongols, Lafortune en papier et le documentaire Polytechnique: ce qu’il reste du 6 décembre), ses talents d’interprétation sont également réclamés au petit écran avec notamment les séries Temps de Chien, Grande Ourse et Le monde de Gabrielle Roy.

Le piano et le torrent, son deuxième album de musique instrumentale sortie le 31 janvier 2025, projet personnel et intime, atteint la félicité totale. « Je suis surprise qu’il figure toujours au sommet du palmarès iTunes classique au Canada. Mais le néo-classique a la cote en ce moment et des musiciennes comme Alexandra Stréliski, de par son talent et son accessibilité, font rayonner ce genre musical ».

L’exilée depuis vingt ans du petit village côtier de Maria, en Gaspésie, où elle a vécu toute son enfance, avait ce besoin viscéral de faire remonter à la surface des souvenirs, des émotions, des odeurs, des lieux. On reçoit la proposition comme un disque fébrile et émouvant – « c’est un album d’ancrage et de liberté ». Maria lui inspire les titres Les galeries, Le jour craque, La mer est folle, Balle au Mur, Plus le silence est grand, plus je t’aime, Le Goéland, « tous les titres des quinze morceaux ont été choisis quatre ans après les avoir composés ! »

Viviane Audet, Les Galeries, video

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C’est soigné, méticuleux, souvent minimaliste. La pianiste au toucher délicat nous fait le coup du jazz modal de Bill Evans et de la rêverie d’Érik Satie : « on l’entend dans ce que je fais, pour moi il demeure une référence dans la façon qu’il détaille ses pièces de nuances. J’ai d’ailleurs retranscrit mes propres partitions à sa manière ». Elle endosse également la maîtrise des silences d’un Keith Jarrett ou de la Polonaise Hania Rani, son coup de cœur, pour les couleurs harmoniques et le clair-obscur de circonstance. Le piano et le torrent est réalisé par l’incontournable savant de la console, Ghyslain-Luc Lavigne, grâce à lui, le son s’est enrichi, s’est fait plus ample tout en restant simple et efficace.

Tellement fière du résultat qu’elle a fait parvenir une copie physique de Le piano et le Torrent au président américain Donald Trump ! « J’ai eu une bulle au cerveau ou une épiphanie, c’est selon. Quand il a commencé à parler du 51e état, je me suis réveillée beaucoup trop tôt un matin et je me suis dit : je lui envoie !  Avec la note suivante : Bonjour M. Trump, ce disque pourrait vous calmer un peu. Je me permets d’ajouter un barlicoco qui est un petit coquillage que l’on retrouve dans mon village de Maria. Simplement pour vous rappeler que chaque pays est souverain de ses coquillages ».

À l’écoute de son album, on essaiera d’espérer que le monde n’est pas totalement foutu…

En folkeuse gracile, elle se joindra cet automne aux pérégrinations traditionnelles des terreux de Mentana, le quatuor folk dont elle fait partie. D’ici là, on pourra la voir défendre son Torrent sur scène, accompagnée d’une harpiste.