Durant sa jeunesse à White Rock, en Colombie-Britannique, Evan White était passionné de musique : il écrivait des chansons au piano, jouait des percussions dans quelques orchestres à l’école, il a appris par lui-même comment jouer une guitare pour droitier en tant que gaucher et il a appris à mixer et à « scratcher » avec un système de son qu’il a lui-même construit avec des vieux haut-parleurs et amplificateurs. Et malgré tout ça, il a toujours pensé qu’il ne réussirait pas s’il faisait carrière comme musicien. C’est comme ça qu’en 2013, il s’est retrouvé au Luxembourg afin d’y ouvrir un bureau pour une société de gestion d’actifs basée aux Bermudes cinq ans après avoir obtenu un diplôme en finance et en droit des affaires. « J’aimais mon travail, mais j’ai rapidement réalisé que je n’avais pas d’amis et beaucoup de temps libre. J’ai donc dû recommencer à pratiquer mes passe-temps préférés. »
Inspiré par la musique qui jouait dans les discothèques de son pays d’adoption – même si la scène électronique y avait, de son propre aveu, cinq ou dix ans de retard sur le reste de l’Europe –, il a commencé à enregistrer ses propres morceaux à l’aide d’une appli de « looping » très simple sur son téléphone. Après avoir effectué le saut vers le logiciel de création audionumérique Ableton Live, il a envoyé ses MP3 à des blogues qui étaient agrégés par l’influent site web Hype Machine. En 2015, son remix fortement axé sur les synthés de la chanson « Big Poppa » de Notorious B.I.G. a brièvement été en tête de son classement du vote populaire. « C’était très excitant », avoue-t-il. « Quand tu te rendais au numéro 1 sur Hype Machine, ça t’apportait 30 à 40 000 écoutes par jour sur ta page SoundCloud, ce qui était immense pour quelqu’un comme moi qui avait genre 20 abonnés et trois écoutes par jour. »
White a continué de produire ses créations sous le nom de Vandelux, un condensé des trois villes où il a vécu : Vancouver Deland (en Floride, où il allait à l’université) et Luxembourg. Mais pendant ce temps, il continuait également de grimper les échelons du monde de la finance. En 2016, il a déménagé à San Francisco pour être conseiller en investissement tout en lançant ses premiers titres entièrement originaux portés par des breakbeats et des échantillons parlés plutôt menaçants. En 2018, il est devenu directeur des opérations pour un fonds spéculatif propulsé par l’IA et a lancé l’album collaboratif Futureproof en compagnie de MC Marc 7 du légendaire groupe hip-hop Jurassic 5. En 2021, il est devenu chef de l’exploitation d’un fonds spéculatif qu’il a fondé avec un ami – et il s’est joint au label Th3rd Brain pour sortir son deuxième EP, Dream State qui, comme son prédécesseur, Lost in Common (2019), met en vedette sa propre voix fortement manipulée. Nous voici en septembre 2023 : c’est à ce moment qu’il lance son premier album complet, When the Light Breaks, et qu’il s’embarque dans une carrière musicale à plein temps.
« Le monde de la finance, c’était un vrai boulot ; avec la musique, j’ai l’impression de méditer »
Jusqu’alors, avoue White, « la finance c’était un vrai boulot ; avec la musique j’avais l’impression de méditer. Pour moi, c’était une façon de me ressourcer, de relaxer et de me sentir revigoré. » Malgré cela, il avoue lui-même que « c’était parfois un défi de taille de me forcer à être créatif après le travail », et les longues heures dédiées à ces deux pôles d’activité ont fini par avoir un effet délétère sur son mariage. C’est quand il a vu les salles combles durant sa première tournée au Canada et aux États-Unis en tant que tête d’affiche, en 2023, qu’il a trouvé le courage de se lancer en musique à plein temps, sans parler de son auditoire de plus en plus imposant qui lui a permis de cumuler plus de 80 millions d’écoutes à ce jour, toutes plateformes confondues.
Le premier véritable « hit » de Vandelux a été « Matter of Time » qui est grimpée jusqu’en 31e position du palmarès Hot Dance/Electronic Songs de Billboard en juillet 2021. On y entend la voix de White, engloutie dans la résignation, sur un rythme house nonchalant et le saxophone enivrant du polyinstrumentiste Alex Maher que White a invité après l’avoir entendu jouer dans un bar miteux à Whistler. La chanson est un véritable microcosme de ce qu’est l’album tout au long de ses 14 pistes où introspection et euphorie ne sont jamais très loin l’une de l’autre.
« Je suis attiré par les contrastes », confie l’artiste. « Les maisons de disques raffolent des données. Elles vont toujours avoir envie de vous demander de multiples versions de trucs qui ont fonctionné dans le passé. Y a une limite au nombre de fois que tu peux refaire la même chanson que ton dernier “hit”, et de toute façon, ça ne marche pas, en général. Moi je me concentre à faire des trucs dont je suis fier et la plupart du temps, ça implique de changer de son et d’évoluer constamment. »
Pour l’instant, les productions de Vandelux ont deux caractéristiques particulières. La première est un certain sens de la retenue : même lorsqu’une pièce exprime une émotion très puissante comme sur l’euphorique Right Now, White n’y va jamais à coups de massue. « Je pense que c’est un piège dans lequel tous les producteurs tombent », dit-il. « Quand tu crées un morceau, t’as souvent l’impression qu’il manque toujours un petit quelque chose de plus. T’as toujours envie d’en rajouter une couche. J’apprends encore comment arriver à en mettre moins, à donner à la pièce une section où elle peut reprendre son souffle et laisser le “groove” prendre sa place plutôt que de juste mettre la table pour le prochain “drop”. »
L’autre caractéristique, c’est son traitement des voix. White est arrivé à cette caractéristique presque par accident dans la mesure où il s’en servait pour masquer les défauts de ses premières tentatives de chant. Souvent, les outils numériques qu’il utilise servent à rendre sa voix plus menaçante ou alors à mettre en valeur les qualités émotives de sa voix. Or, il se sent un peu déchiré par le succès que connaît son approche. « C’est pratiquement devenu une marque de commerce », avoue-t-il. « Je veux préserver ça, mais je m’efforce d’être plus à l’aise avec ma voix dans le matériel que je crée en ce moment, j’utilise moins d’effets pour avoir un son plus naturel. »
Maintenant qu’il a laissé le monde de la finance derrière lui, il est d’autant plus en mesure de se plonger entièrement dans son art, mais la transition n’a pas toujours été facile. Il se rappelle une conversation qu’il a eue avec le chanteur, collaborateur et compagnon de tournée Tyler Mann. « Je lui ai dit “Man, ça fait deux mois que j’ai quitté mon emploi et que je m’assois pour écrire des chansons jour après jour, mais ça ne vient juste pas”. Il m’a dit “ne lâche pas et continue à chercher ton inspiration”. »
« Ça m’a pris un bout de temps avant de comprendre ce qu’il voulait dire. Maintenant, le matin, j’écoute de la musique différente de ce que je fais ou je vais prendre une marche à la plage, juste dans le but de trouver et de m’accrocher à toutes les sources d’inspiration possibles. Quand t’as du succès, la musique te sort par les pores de la peau. Ça n’a rien à voir avec un job. En ce moment, je suis incroyablement excité par la musique que j’écris. »