Valerie Carpentier a connu le tsunami La Voix en 2013, alors qu’elle remportait les grands honneurs de la première saison de l’édition québécoise de télé-crochet. S’en sont suivi un premier album complet (L’Été des orages, certifié or), de même qu’une tournée dans plus d’une cinquantaine de villes aux quatre coins de la province. Après un silence mérité, la voici qui rebondit avec une fougue de guerrière, et un gravé, Pour Rosie (Productions J, 2016), dont elle signe onze des treize titres. Rencontre avec une auteure-compositrice en plein carpe diem.

« J’ai toujours adoré écrire, depuis que je suis enfant, lance d’emblée la jeune femme. Pour écrire des chansons, ça prend une connexion à soi-même […] je me suis laissée aller aux plaisirs de la vie, j’ai vécu l’amour et la déchirure, et j’ai découvert des côtés inconnus de moi-même. » De toute évidence, Carpentier n’use ni de retenue ni de gants trop blancs pour décrire son processus de création. Elle poursuit : « C’est dans l’épreuve qu’on apprend à se connaître et grandir. » Une quête flagrante d’authenticité qui éclipse un tant soit peu l’aspect parfois cliché d’affirmations aussi convenues, appuyée par une candeur qui désamorce à peu près toute réaction blasée ou morose qui pourrait surgir. « Je suis très optimiste, c’est archi important pour moi ! » Va sans dire.

« Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. »

Valérie CarpentierInspirée des récents aléas d’une carrière qui a fait un bond sur les chapeaux de roues, d’une rupture amoureuse particulièrement houleuse, et des voyages qui ont jalonné son parcours, Carpentier est dans une forme stellaire : « Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. Avant, j’avais plusieurs grandes insécurités : dans ma féminité, ma musique, etc. On dirait que je faisais beaucoup de choses pour aller chercher une validation du public et je ne sens plus le besoin d’aller chercher tout ça… ça me permet vraiment de renouer avec quelque chose de plus vrai, de plus authentique. »

Un opus soutenu par une constante très claire, aux yeux de la principale intéressée : « Il y a aussi un concept tout au long de l’album. Rosie, c’est quelqu’un qui cherche l’amour à la mauvaise place. C’est un peu mon alter ego, elle est extrême et perdue tout à la fois. Plus l’album avance, plus c’est moi qui parle. Au final, je me retrouve seule, ça revient à trouver l’amour en soi. »

Musicalement, l’artiste se vautre dans une série d’arrangements soyeux et finement texturés, sous la touche de Jean Massicotte (Pierre Lapointe, Lhasa, Patrick Watson) : « Il est fabuleux ! Je suis un peu fuckée par moments et je décrivais mes chansons en paysages, du genre “ il fait beau, mais la fille est triste et elle regarde les bateaux sur le quai ” ou encore “ je suis en train en France dans les années soixante ”, et il comprenait exactement où je voulais aller. »

En phase avec « son cinéma », la paire a trouvé le juste point d’équilibre sur le fond : « Je voulais des ambiances, ça prenait plein de textures, des instruments coquets et Jean a respecté mes intentions à merveille. Je ne voulais pas que la voix se perde dans un mix, je voulais que ça appuie et allège le texte. C’est vraiment construit autour du texte, c’est définitivement de la chanson. » Et, bien sûr, l’instrument de prédilection de Carpentier, sa voix, prend le haut du pavé une fois de plus, rugueuse et charnelle.

Satisfait de déclarations aussi limpides, nous daignons poser la question à savoir si l’écriture d’un livre pourrait être dans l’horizon des possibles ? « Un jour je vais écrire un livre, c’est certain, mais je pense que je suis trop jeune pour le moment. Il faut avoir quelque chose à dire, et un souffle assez important pour le soutenir […] J’aime tellement la langue française que je devrai sentir que je lui fais honneur du mieux que je peux. » Avant de conclure, dans un éclair de lucidité : « Je ne pense pas que ma mission ultime soit de faire de la musique, je pense que ça devrait être plus important. »

Et toc.



Les anges gardiens prennent parfois des formes inattendues.

Pour l’auteur-compositeur-interprète calgarien JJ Shiplett, qui a passé les 12 dernières années de sa vie à traîner ses pénates dans le circuit des bars, son chérubin est arrivé en la personne de Johnny Reid, l’auteur-compositeur-interprète maintes fois certifié platine et qui joue à guichets fermés dans les arénas du pays.

Après avoir entendu Shiplett chanter les harmonies sur quelques chansons de Joni Delaurier, Reid lui a passé un coup de fil.

« Au début, j’ai été surpris par la voix de JJ », admet ce dernier. Deux jours plus tard, Shiplett était à Nashville et la paire commençait à travailler sur Something to Believe In, un album qui paraîtra en janvier 2017. Peu de temps après son enregistrement, Reid a invité Shiplett à partir en tournée avec lui afin d’assurer ses premières parties et plus de lui offrir un contrat de gérance auprès de son entreprise, Halo Entertainment. Dans la foulée de ce contrat, des ententes avec Warner Music Canada et eOne Music Publishing ont été conclues, et Paquin Entertainment est devenu son agence de spectacles.

« Je crois sincèrement que l’écriture de chansons doit unir les gens et les frapper en plein cœur. »

« J’ai encore beaucoup de chemin à parcourir, mais j’ai l’impression de rattraper le temps perdu, en ce moment, tu vois?? », nous dit-il depuis sa demeure de Calgary. « Je ne crois pas que je changerais quoi que ce soit, parce que c’est ce qui fait que je suis l’auteur-compositeur-interprète que je suis. Je n’ai aucun regret, et je suis heureux d’aller de l’avant. »

Autant Shiplett a impressionné Reid grâce à sa voix de ténor éraillée, autant l’artiste l’a éventuellement impressionné par son talent d’auteur-compositeur, grâce à des pièces telles que « Darling, Let’s Go Out Tonight » et « Something to Believe In ».

« J’ai bâti ma carrière autour de chansons qui parlent de dévouement, de dévotion, d’admiration : c’est qui je suis », affirme Reid. « Lorsque j’ai entendu “Something to Believe In”, je me suis dit que c’est ce genre de chanson dont les gens ont besoin. Elle m’a tout de suite attiré. Il m’en a fait une version acoustique, et je pouvais entendre où j’amènerais cette chanson, avec une chorale. La toute première chanson que j’ai entendue était “Darling, Let’s Go Out Tonight”. J’en suis devenu fan sur-le-champ. Il écrit dans un style que je n’ai pas, il est très abstrait, comparativement à moi. »

Mais au-delà de la progression fulgurante de sa carrière, l’écriture de Shiplett n’a pas changé. « Ce que je fais, d’habitude, c’est d’écrire une chanson jusqu’à un certain point », explique le multi-instrumentiste dont le talent musical a été encouragé par ses parents. « Ce point, c’est lorsque j’ai une bonne ébauche de sa structure et de ses arrangements. Mais pour moi, la création de chansons n’est pas une chose sacrée. J’ai quelques amis avec qui je travaille depuis des années et je leur présente cette ébauche et je leur dis “Voici un squelette, tu peux m’aider à mettre un peu de viande autour de l’os??” »

« C’est une façon de faire qui me convient, car la création musicale peut parfois être laborieuse. Je ne suis pas le genre de type qui peut pondre 10 chansons par jour. Je vais répéter les mêmes deux phrases dans mon esprit sans arrêt, pendant des mois, jusqu’à ce qu’autre chose me vienne. »

En matière d’environnement de création idéal, Shiplett avoue : « Mon environnement est très important pour moi. Je n’aime pas créer assis, je dois être debout. Si je suis chez moi, dans mon salon, je ferme tous les rideaux, j’attrape ma guitare sèche, et je commence à chanter. Je permets à mon instinct, à mes tripes, de prendre le contrôle. C’est comme ça que je tombe sur quelque chose et que je me dis “Voilà une idée sur laquelle je reviendrai”. »

Une fois cela fait, il enregistre ces idées sur un iPhone ou un iPad puis, tous les six mois, environ, il passe ces idées en revue, les combinant, au besoin, si la chanson finale le demande. « C’est à ce moment que je fais un jugement final », poursuit l’artiste. « Je me donne suffisamment de temps pour y réfléchir, pour me dire, ouaip, ça c’est une idée que je veux développer, ou abandonner. »

Shiplett préfère également écrire des chansons comme « Something to Believe In » ­ — créée il y a 5 ou six ans — pour ensuite établir une connexion.

« Ce qui compte le plus pour moi, c’est que je crois sincèrement que l’écriture de chansons doit unir les gens et les frapper en plein cœur », dit-il. « Je veux que les gens se souviennent de moi comme un auteur-compositeur qui frappe les gens en plein cœur assez solidement, avec honnêteté et vérité. C’est vraiment très important pour moi — je veux que les gens ressentent quelque chose. »



Alex nevsky

Photo: John Londono

En vedette sur toutes les tribunes possibles et imaginables depuis plusieurs mois, Alex Nevsky le dit sans prétention : il profite d’une conjoncture parfaite pour la sortie de Nos Eldorados, un album qui va au-delà du compromis pop auquel il était pourtant destiné.

Fort de son imposante récolte au Gala de l’ADISQ 2014, de ses nombreux succès radios, Prix No. 1 SOCAN et d’un bassin de deux millions de téléspectateurs qui le regardent chaque semaine à La Voix Junior, Alex Nevsky a vu sa vie changer du tout au tout depuis la parution d’Himalaya mon amour, à l’été 2013. « Disons que c’est plus compliqué de faire le con dans la rue…, admet-il. Je me le permets pareil parce qu’il ne faut pas que j’oublie de vivre à travers toute cette folie-là. J’ai pas envie d’embarquer complètement dans la game. »

Sans être entièrement teinté par la fulgurante ascension de son auteur, ce troisième album évoque avec lucidité les mirages de la vie. Si Leloup avait son dôme, une sphère en cristal illusoire accueillant « les désespérés du temps », Nevsky, lui, a ses eldorados, des refuges tous aussi chimériques, qu’on convoite autant qu’on redoute.

« L’eldorado, c’est mon pays rêvé, un lieu de fantasme où vivent deux amoureux, comme dans Polaroïd. Ce sont des chansons que j’écris quand je tombe en amour. Le sentiment de base du romantisme y est très fort, et c’est ça qui me fait triper », explique le chanteur de 30 ans, qui dit être passé par trois relations de couple durant cette période d’écriture.

« En même temps, l’eldorado, c’est aussi une utopie, un mirage, nuance-t-il. Dans L’enfer c’est les autres, par exemple, je parle de “mon égo gonflé par les hits radios’’. Je retourne le miroir vers moi et, en me regardant, je me rends compte que, moi aussi, je peux être médiocre et laid. C’était très important pour moi de montrer cette facette-là, mais je voulais pas non plus faire un disque en entier là-dessus. Je serais tombé depress solide! »

« Je trouvais que c’était le pire moment de ma vie pour pas oser des trucs. Si j’étais resté dans le confort de l’autre disque, ça aurait été pathétique. »

Sans sombrer dans la dépression, Nevsky a toutefois eu d’intenses périodes de doute durant l’enregistrement de ce troisième album. Des chansons comme Le cœur assez gros, La beauté et, surtout, Réveille l’enfant qui dort (en duo avec Koriass) ont mis du temps avant de prendre forme.

« Je suis resté sept mois en studio… Ça n’a pas d’allure ! », s’exclame-t-il. « C’est tout le temps de même anyway. Je suis jamais capable de finir une toune d’un seul coup ! Réveille l’enfant, par exemple, je l’ai commencée en février sur mon téléphone. En studio, on l’a twistée, on l’a défaite… Y a rien qui marchait ! Je me suis mis à l’haïr pis j’ai décidé de la scrapper de a à z. C’est là qu’on a eu l’idée d’inclure Koriass dans le projet. Si on avait fait l’album en deux semaines, je sais que je passerais à côté de beaux moments musicaux comme celui-là. »

Renouant avec le réalisateur Alex McMahon et le mixeur Gabriel Gratton, ses complices habituels qui lui ont également prêté main-forte aux arrangements, le Granbyen d’origine flirte davantage avec l’électro, se permettant même quelques clins d’œil à l’indie pop tropical (La beauté) et au dancehall (Nos Eldorados). « On a décidé d’y aller all in, de pousser les tounes aussi loin qu’on voulait les entendre », indique-t-il. « Je trouvais que c’était le pire moment de ma vie pour pas oser des trucs. Si j’étais resté dans le confort de l’autre disque, ça aurait été pathétique. »

Reste que, devant un succès de la sorte, il aurait pu être facile de suivre la même recette gagnante, de renouer avec la formule qui plait aux radios. Franc, Alex Nevsky dit d’ailleurs avoir succombé à cette tentation au début de l’été, en lançant hâtivement le premier extrait Polaroïd.

« Je vivais une pression de performance radio et je voulais m’en débarrasser », confie-t-il. « Polaroïd, c’était une valeur sûre et je savais que les radios allaient embarquer. Quand la toune s’est mise à grimper dans les palmarès, ça m’a enlevé du stress sur les épaules. J’ai pu me permettre de prendre le champ et d’essayer d’autres affaires. »

Bref, comme c’était le cas sur Himalaya mon amour, l’auteur-compositeur-interprète ne voit pas la pop comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen efficace pour accrocher les auditeurs. « La clé, c’est de les hameçonner avec un gros refrain et de leur faire vivre le reste après », soutient-il. « En show, mon plaisir, c’est pas nécessairement de jouer les grosses tounes, mais bien de jouer les plus denses et les plus recherchées poétiquement. Pour moi, ce sont celles-là, les plus significatives. »