
Il y a chez Joseph Marchand une douceur qui ne se force pas. Une façon de parler de musique comme d’un terrain fragile, où chaque geste doit rester humble pour que quelque chose advienne vraiment. Quand il évoque Treize miniatures, son nouvel album instrumental à paraître le 21 novembre, il prend soin des mots comme il prend soin des notes.
« Je pense vraiment que ça suit ce que j’avais envie de faire, dit Joseph Marchand. Une grosse partie de mon métier, c’est d’écrire de la musique instrumentale pour des films et des séries. Mais ça fait très longtemps que je veux faire quelque chose autour de la guitare nylon. »
Ce désir ancien a trouvé forme dans un projet où l’intime mène le jeu. Loin des grandes trames orchestrales qu’il signe depuis 20 ans pour la télévision, le cinéma et le théâtre, Marchand replonge ici dans un langage minimaliste, façonné par la matière même de l’instrument… Et il y a ensuite ajouté une part d’orchestral. « Mais c’est parti d’un tuning alternatif, lance-t-il. Je joue de la guitare depuis tellement longtemps que j’ai besoin de me tendre des pièges pour que mes doigts n’aillent pas toujours aux mêmes endroits. »
Cette idée de piégeage, d’accident volontaire, est au cœur de Treize miniatures. Elle doit autant à sa méthode qu’à l’une de ses grandes inspirations, Adrianne Lenker. « Sa musique, la façon dont elle la fait… J’avais l’impression qu’elle était une sœur lointaine pendant ma création. Il y a un côté de hasard. Tu mets tes doigts quelque part, tu réfléchis à peine, et quelque chose se développe tout seul. Les basses et les aigus s’assemblent vraiment bien. C’est un immense plaisir. »
La miniature comme territoire
Le titre de l’album s’est imposé de lui-même. « La miniature, c’est une forme musicale qui n’est pas super définie, explique-t-il. Ce sont de petites pièces courtes et intimes. » Dans ces 13 fragments, Joseph Marchand explore une unité de souffle plutôt qu’un récit : « Je pourrais trouver un sens narratif, mais ce n’est pas comme ça que je le vis, précise le musicien. Ce n’est pas de la musique à programme. Je n’ai pas voulu parler du fleuve ou raconter quelque chose de précis. » Ce qui l’intéresse, c’est l’espace où l’auditeur devient responsable de sa propre histoire. « La musique instrumentale, c’est un beau véhicule pour ça : partir en voyage, quitter le monde dans lequel on est. »
Le disque réunit pourtant une formidable constellation de collaborateurs — François Lafontaine, Nicolas Basque, Simone Marchand, Marie-Pier Arthur, Klô Pelgag, Safia Nolin, Raphaël Pépin-Tanguay, Stéphane Lafleur, et un quatuor de cordes mené par Mélanie Bélair et Chantal Bergeron. Mais le guitariste a voulu que leur présence soit une extension de son souffle, jamais un écrasement.
« Au début, je voulais faire une réponse à tous les albums de piano qui sortent, dit-il. Ce sont de magnifiques disques, avec un vocabulaire qu’on comprend. Je voulais juste le faire avec la guitare… Mais je n’ai pas été capable de ne pas orchestrer. » Il rit. « C’est plus fort que moi. »
Dans sa manière de composer, il parle souvent de sculpture. Une image qui prend son sens quand on l’écoute décrire son processus. « Je faisais un squelette… En fait, je voudrais utiliser la métaphore de l’arbre, si tu permets. Il y a donc un tronc. Ensuite je rajoutais des petites branches, puis des grosses, et des feuilles aussi. J’enregistrais une piste principale, puis de minuscules notes, presque rien. On a l’impression d’entendre une seule guitare, mais elle est enrichie de plein d’autres autour. »
Cette stratification minutieuse, il la voit comme une manière de préserver la vulnérabilité de son geste tout en lui donnant une ampleur. « Je compose constamment. J’ai toujours un instrument pas loin. C’est cohérent pour moi. J’avais quelque chose à dire, et ça passait par ce genre de travail-là. »
Joseph Marchand jongle depuis longtemps avec deux pôles : la création sur commande — où la contrainte de la scène à illustrer guide chaque geste — et le projet entièrement libre, où il n’a de compte à rendre qu’à lui-même. « Évidemment, il faut que le désir soit là, dit-il. Mais dès que je me campe dans une seule chose et que j’ai l’impression que je sais comment le faire, je stagne. Je n’apprends plus. Treize miniatures, c’est un projet complètement carte blanche, et ça nourrit énormément tout le reste. Ça me garde réveillé. »
Dans cet espace sans filet, il a dû renoncer à un réflexe : demander l’avis. Il évoque Pierre Girard, qui a enregistré et mixé l’album, comme une présence patiente et rassurante. Mais la solitude restait centrale. « Le défi, c’était de me retrouver seul. Me faire un café, m’asseoir devant un micro, et n’avoir personne pour me dire quand commencer, finir ou quand passer à autre chose. » Il sourit : « La prochaine fois, je vais peut-être demander à quelqu’un d’être là juste pour me dire : c’est beau, on arrête. »
Ceux qui suivent sa carrière reconnaîtront dans l’album un fil qui traverse son œuvre depuis longtemps. « Il y a une façon de jouer qui se rapproche de ce que je faisais dans Forêt, en 2013. Je suis encore attiré par les harmonies, par les accords qui changent et qui créent des choses. »
Il y a aussi des traces de ses collaborations avec Safia Nolin : « Sur un disque de Safia où je joue, tu entends des expériences, des émotions opposées, des choses drôles, bizarres, tristes. J’ai énormément appris d’elle. »
Quant à Klô Pelgag, elle apparaît sur Treize miniatures dans une relecture d’une pièce qu’ils avaient abordée autrement avec Samuel Gougoux. « Klô a posé sa voix. Je suis renversé par son talent chaque fois. Il y a une créativité infinie qui sort de cette personne. »
Pour les pièces où il chante lui-même, il a invité Stéphane Lafleur à prêter sa précision textuelle. « Il est si bon avec les mots. C’était un défi pour lui parce qu’il aime les choses très classiques : un couplet est un couplet, un refrain est un refrain. Mais il est venu au studio, il s’est assis avec un bloc-notes, il a écouté, et il a conseillé. Je sais que ce n’était pas nécessairement naturel pour lui. »
Marchand imagine déjà comment Treize miniatures vivra sur scène. « Je veux explorer jusqu’où je peux aller avec la guitare seulement. Peut-être une seule personne avec moi. Raconter des histoires. Offrir un moment. »
Il s’interroge encore sur la manière de présenter une musique sans narration explicite. « Quand tu es un public, tu as peut-être besoin d’un mode d’emploi. Mais je veux que la musique transporte. Quitter un peu la réalité. C’est ça qui me touche dans la musique : cette capacité d’ouvrir un endroit où le temps n’a plus la même densité. »
Dans Treize miniatures, cette ouverture existe déjà : 13 fenêtres où la guitare respire autrement. Joseph Marchand ne cherche pas à imposer une histoire — il nous tend un espace. À nous d’y entrer.
