L’auteur-compositeur-interprète Astrokidjay, né à Brampton et établi à Toronto, a enregistré son premier « hit », « Ibiza », dans un garde-robe. À l’époque il avait de grandes ambitions : cumuler 50 000 visionnements du clip de la chanson, un projet maison réalisé à la dernière minute dans une location Airbnb. Aujourd’hui, les visionnements ont dépassé le cap du million et plein d’autres choses ont changé également.

Le simple de 2019 enregistré avec Stenno a lancé Astro sur une trajectoire impressionnante qui a attiré l’attention de producteurs comme Murda Beatz, Evrgrn ainsi que son propre agent, Karma Jonez. « C’est lui qui m’a dit de prendre le temps de développer mon talent. Il m’a dit que j’avais le potentiel pour réussir encore plus », dit Astro. « J’ai appris et j’ai beaucoup pratiqué. Je lisais le dictionnaire et plein de livres pour améliorer ma grammaire et mes textes. J’ai pris une pause et j’ai arrêté de lancer de la musique pour pouvoir approfondir mon talent. Je voulais écrire de meilleurs flows, de meilleures mélodies et de meilleurs textes. »

Tout ce travail s’est traduit par une grosse année 2021 pour l’artiste. Il a sorti un album indépendant intitulé Wizard Boy, a été artiste invité sur le simple « Coulda Been U » d’Haviah Mighty, lauréate du prix Polaris, et il a décroché un contrat avec Interscope en novembre. « Je suis un artiste plus développé, maintenant », dit-il. « Je me suis assagi, j’ai pris de la maturité. Je suis sous contrat avec une grande maison de disques et j’ai travaillé sur des musiques bien plus folles que sur Wizard Boy. J’ai l’impression que tout ce que je fais est de mieux en mieux. »

Cadet d’une fratrie de six enfants nés de parents tanzaniens, les aspirations musicales d’Astro ont commencé relativement tard dans sa vie. Enfant, il préférait de loin le soccer à l’écriture de chansons et ce n’est qu’à la fin de l’adolescence qu’il a commencé à s’intéresser au rap. Grâce aux goûts musicaux variés de sa nombreuse famille, le jeune homme de 20 ans se souvient avoir été exposé à un mélange de genres par des artistes qui influenceront plus tard son propre travail. Il a hérité son amour du R&B des autres membres de sa fratrie et c’est à ce genre musical qu’il attribue sa façon caractéristique de livrer des mélodies.

« J’ai pris une pause et j’ai arrêté de lancer de la musique pour pouvoir approfondir mon talent »

« J’écoute beaucoup de vieux R&B des années 2000 comme Keyshia Cole et Alicia Keys », dit-il. « Encore aujourd’hui, j’écoute beaucoup de R&B avant mes séances d’enregistrement parce que ça m’aide avec les mélodies. Les jeunes de mon âge n’écoutent pas de vieux R&B, pourtant on y entend des types de mélodies qu’on n’entend plus de nos jours. Je trouve que ça m’aide beaucoup. »

Andreena Mill

Andreena Mill, mentor d’Astrokidjay

En pleine préparation du lancement de Guns and Roses prévu en avril 2022, Astro – qui aura 21 ans en mai – adopte une approche différente de ses productions précédentes. Il a troqué les freestyles à saveur trap et les petits studios maison pour des doses massives de R&B, de grands studios et une équipe de production. Voyant une opportunité de développement professionnel, son agent a jumelé Astro avec l’auteure-compositrice-interprète Andreena [Mill], qui, en plus de son travail solo, a collaboré avec des artistes comme Melanie Fiona, DMX et Drake. Elle a coécrit la majorité du projet qui paraîtra bientôt.

« C’est une des meilleures au monde! J’apprends beaucoup grâce à elle », dit le jeune homme. « Elle m’aide avec ma voix, elle m’aide à chanter certaines notes. Elle m’aide aussi avec mon processus d’écriture. C’est vraiment génial de passer du temps et de travailler avec elle. Elle est très certainement un des mentors qui m’aide avec mon son actuel. »

Ce sont ces différentes collaborations – Andreena, le membre de l’écurie OVO Roy Woods et l’artiste jamaïcain Popcaan, connu pour son « feature » sur « One Dance » de Drake –, qui ont permis à Guns and Roses  d’être le projet le plus polyvalent d’Astro à ce jour. Bien qu’il demeure discret quant à la liste complète des artistes invités, il promet que son nouvel album va toucher un public plus large et faire sa marque.

« Je suis sur une longueur d’onde totalement nouvelle. Il y a de quoi plaire à tout le monde là-dessus : les enfants, les grands-mamans, les tantes, les mamans ; tout le monde », lance Astro. « Plein de gens pourront s’y identifier. Ça va marquer la vielle en entier quand ça va sortir. J’en suis absolument convaincu. »

 



À la tête de l’entreprise Permission qu’elle a fondée en 1995, Lucie Bourgouin sait depuis longtemps que la libération de droits est une branche nichée et importante pour les productions audiovisuelles. Plus de vingt après la création de sa propre compagnie, elle connait tous les rouages d’un juste échange entre les différentes parties au moment d’intégrer une œuvre dans une autre.

Lucie Bourgoin« Après mon bac en musique à l’Université de Montréal, je n’avais pas d’emploi en tête », admet d’emblée Lucie Bourgouin qui a simplement suivi sa route en acceptant de passer de l’autre côté des portes qu’on lui ouvrait. Plusieurs fois, on a recommandé son expertise et quelques échelons parcourus plus tard, elle s’est retrouvée au cœur de la gestion des droits sur les produits dérivés à Radio-Canada. « Il y avait même une compagnie de disque à Radio-Canada, à l’époque, rappelle-t-elle. C’était à la fin des années 80. » Après avoir été mise en charge de la gestion des droits de la société d’État d’un bout à l’autre du pays, « des querelles de clocher » ont fait en sorte que son poste a été supprimé.

« Ça a fait 27 ans le 1er février que je négocie à mon compte des droits d’auteurs pour les producteurs, annonce fièrement Lucie. Parmi mes clients j’ai Robert Lepage, Le Cirque du Soleil. Ces gens-là, quand ils ont besoin d’une chanson, je m’occupe de libérer les droits liés à l’œuvre. »

Pour elle, le noyau au cœur d’une carrière comme la sienne est la compréhension d’une création artistique comme un tout indivisible. « Il faut savoir comment le monde fonctionne, il faut connaître les gens, avoir du tempérament, être capable de comprendre les sensibilités de tous les côtés de l’œuvre : le créateur et celui ou celle qui veut utiliser la création. »

Le respect de l’artiste derrière chaque déclinaison artistique, c’est le feu qui anime Lucie Bourgouin encore aujourd’hui. « Je négocie chaque jour avec des entités qui ont des intérêts, mais je tiens à ce qu’on paye tout le monde à sa juste valeur, soutient-elle. Si t’as pas de créateurs, y’a rien qui se passe et j’ai toujours eu un préjugé favorable envers les artistes. »

Depuis la création de Permission en 1995, Lucie a négocié un peu de tout pour un peu tout le monde avec une fougue et un amour de l’art difficiles à égaler. La musique, oui, mais également la peinture ou des livres qu’on voulait transformer en série télévisée… elle sait toujours combien les objets artistiques valent et comment rendre les transactions heureuses pour toutes les parties. « J’ai même déjà négocié un Picasso. Quelle aventure! », lance-t-elle.

Également derrière les libérations de droits des archives montrées à l’émission Les enfants de la télé, elle ne retient qu’un projet lorsqu’on lui demande ce qui a fait de son métier quelque chose de plus grand: « La plus belle carte de visite que j’ai eue dans ma vie, c’est Jean-Marc Vallée et CRAZY, souffle-t-elle, émue. Ça a été la belle grande aventure de ma carrière. C’est rare qu’on travaille auprès des réalisateurs en cinéma dans la libération de droits musicaux, mais on a travaillé côte à côte, Jean-Marc et moi, du début à la fin. » L’étroite collaboration est devenue de l’amitié. « Il est le seul à m’avoir remerciée en pleine télé, aux Jutra, se souvient-elle. Ça a été pour moi un sommet dans mon désir de travailler avec les gens pour qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent. »

Au fil des ans, la musique et nos manières de la consommer ont changé et le travail de Lucie s’est métamorphosé en même temps. Si elle se rappelle autant de CRAZY, c’est aussi que, pour l’époque, il y avait un travail colossal de libération de musique à y faire avec une vingtaine de chansons incluses au film. « Aujourd’hui, ce n’est vraiment plus pareil, dit-elle. Je travaille avec Xavier Dolan sur sa prochaine série et on a 52 chansons à dates et on n’a pas fini ! »

« Il va falloir que tout le monde réexamine ses valeurs pour qu’on donne une visibilité aux artistes locaux »

 Lucie Bourgoin

Lucie Bourgouin en 1995

Le manque d’expérience de certaines productions est l’un des principaux défis pour elle puisque certains ont la « pensée magique ». « On ne peut pas avoir une chanson des Beatles pour pas cher, changer les paroles et faire tout ça en 24h, cite-t-elle en exemple. J’ai énormément de contact et de relations saines dans l’industrie. C’est nécessaire pour faire tout le reste. J’ai obtenu G.I. Joe – qui est une propriété intellectuelle – pour un film, gratuitement, pourvu qu’on ne portât pas atteinte à son image. On a voulu avoir Stairway To Heaven pour Café de flore et on n’a jamais réussi. On a tout essayé. Il y a des petites victoires partout dans mon travail et des déceptions aussi. »

En plus de libérer les droits, Lucie Bourgouin conseille, suggère, propose de nouvelles avenues quand le plan A ne fonctionne pas. « J’aime beaucoup travailler avec ceux qui ont un grand respect de la musique. Xavier Dolan en fait partie. C’est un mélomane et si la chanson qu’il veut n’entre pas dans son budget, il va choisir autre chose plutôt que de me demander de négocier à la baisse. »

Au fil du temps, avec les ventes de disques à la baisse partout dans le monde, la libération de droits prend un autre sens. « L’avenir de mon métier est difficile à nommer, croit Lucie. Les ayants droit sont plus exigeants, plus gourmands et c’est normal, car leurs sources de revenus diminuent ailleurs. Il va falloir que tout le monde réexamine ses valeurs pour qu’on donne une visibilité aux artistes locaux avec leurs chansons dans nos productions d’ici, et ce, sans enlever le pain de la bouche des compositeurs de musique à l’image. »

Toutes les relations établies avec le temps auprès des ayants droit sont les solides fondations du succès de Lucie Bourgouin. Presque psychologue et passé maître en diplomatie, elle a passé les 27 dernières années à aller à la rencontre des gens pour que chaque transaction demeure d’abord un geste humain. « Pour faire mon travail, il faut de la patience et de la passion. C’est long et ça prend du temps. » Un métier qui est comme une danse qu’on apprend en dansant.



DJ Shub ne fait pas que créer de la musique Powwow Step, il a carrément créé le genre musical.

Nous avons demandé au « Parrain du Powwow Step », comme on l’appelle parfois, s’il réalise qu’il a contribué à l’invention d’un style qui est un amalgame monumental de chants de pow-wow, de percussion, de musique électronique et de dubstep. « Ça me frappe surtout quand quelqu’un me pose cette question en entrevue ou qu’on me présente ainsi avant un spectacle », explique Shub, né Dan General.

« C’est là que je réalise que ce que je fais comporte son lot de responsabilité, musicalement et culturellement », ajoute-t-il. « J’adore la musique autochtone! Elle est véhiculée par notre culture et nous donne l’occasion de briller et de dire : “Hé, regardez comme notre culture est belle!” Ce qui est vraiment excitant, c’est qu’elle devient de plus en plus populaire et qu’il y a plein de sous-genres qui en émergent. »

Non seulement le son que Shub a créé lorsqu’il était avec A Tribe Called Red (désormais connu sous le nom de Halluci Nation) a rempli les pistes de danse du monde entier, leur deuxième album Nation II Nation a remporté un prix JUNO pour le groupe de l’année – faisant de Tribe le premier artiste autochtone à gagner dans une catégorie non autochtone.

Cette année, Shub, un Mohawk des Six Nations de la rivière Grand en Ontario, a été mis en nomination pour le titre d’artiste autochtone contemporain de l’année pour son album de 19 chansons, War Club. « Un gourdin de guerre est une arme que nos peuples utilisent en temps de guerre », explique l’artiste. « Dans mon cas, c’est ma musique que j’utilise comme un gourdin de guerre, et ma voix, tout ça dans le but de vous faire danser. Les MC dans le film, ce sont des auteurs, et leur plume est leur gourdin de guerre. »

Le film en question, qui est en réalité une émission de télévision, est également intitulé War Club et il s’agit d’une magnifique « aventure cinématographique » de 40 minutes qui a été tournée sur la Longwoods Road Conservation Area près de London, Ontario. On peut la visionner en diffusion continue sur CBC Gem et elle met en vedette Snotty Nose Rez Kids, Fawn Wood, Phoenix Pagliaacci et Boogat en plus de six danseurs autochtones vêtus de leurs tenues traditionnelles.

Shub dit que l’album et le film – « une célébration de la chanson et de la danse avec un message de pouvoir et de protestation » – sont pour nous « une porte d’entrée sur notre culture, et une façon pour moi d’en apprendre encore plus sur ma culture. Je n’ai pas grandi sur une réserve et je savais que cette culture existait, mais je n’avais jamais songé à l’incorporer à la musique. Maintenant que c’est fait, j’ai l’impression que j’étais destiné à la faire. »

Shub est d’excellente humeur durant notre entrevue. Il bavarde et plaisante et son enthousiasme à l’idée de partir en tournée avec War Club est contagieux. Vous ne devineriez jamais qu’il broyait beaucoup de noir il y a quelques années s’il n’était pas si ouvert à propos de ses anciens abus de drogues et d’alcool. Il est parfaitement conscient d’être un survivant et il attribue sa guérison aux gens qui l’entourent. « C’est ma famille qui s’est réunie au moment où j’ai atteint le fond du baril et qui s’est mobilisée pour que je reçoive de l’aide le plus rapidement possible », confie Shub. « Je remercie le Créateur chaque jour pour leur présence. Je ne serais honnêtement plus ici si ce n’était pas d’eux. »

Il va sans dire que le fait de voir les fans perdre la tête lors de ses spectacles fait que tout cela vaut la peine pour Shub. Mais, demandons-nous, y a-t-il eu des moments où il s’est rendu compte de l’impact culturel qu’il a? « Ma tante m’a écrit pour me remercier d’avoir créé cet album! Elle m’a dit : “ma nièce et moi on s’éloignait et je lui ai donné ton album pour son anniversaire. On a recommencé à se parler depuis”. »

« J’avais les larmes aux yeux », dit Shub. « C’est cette magie que les gens ne voient pas. Ça touche droit au cœur. »

(Mise en ligne à l’origine en Avril 2022)