Antony CarleSon album est un moment. Celui qu’on choisit comme étant le bon, celui où l’on met le plan à exécution. Antony Carle construit ces instants, peaufine le temps qui lui est offert avec minutie jusqu’à ce que tous les paramètres aient été poussés à leur plein potentiel. The Moment, son premier « moment » paru en mai n’est qu’une parcelle de ce qu’il peut faire.

Si la scène l’amène là où l’exubérance est commune, Antony crée des moments posés lorsqu’il le faut. Assis dehors dans un café du Mile-End, il me dit qu’il est réputé pour « ne pas parler fort ». « Travailler en studio c’est perfectionner un moment. Chanter sur scène, c’est créer un moment. Ça ne peut pas s’expliquer, dit-il. Je pense qu’on perd cet aspect des fois. C’est une énergie qui se crée. Je vais me rappeler toute ma vie d’Erykah Badu qui chante dans mes yeux en me tenant la main. Je veux reproduire ça. »

Se laisser aller à la vulnérabilité, ce n’est pas simple, mais c’est ce qu’il prône. « On a tellement peur de fuck up, mais quand tu chantes, c’est comme une toile que tu peins. Elle se doit d’être laide. Les gens vont passer devant et tu vas leur dire qu’elle n’est pas finie. Tu ne peux pas créer en ayant peur de tout ce que tu vas produire. »

L’artiste queer s’est joint à Bonsound et a lancé cette musique qui pige dans les codes électros pour aller exprimer des choses plus grandes. « J’ai vécu un bel accueil, lance d’emblée Antony, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander si c’était parce que le média avait besoin d’un article queer cette semaine-là. Mais bon, j’étais dans le journal ! »

Plus qu’une image. Plus qu’un style qui provoque les esprits plus fermés. Plus qu’une identité que l’on colle souvent à l’ensemble de l’œuvre par paresse. Antony Carle est « plus ». Respectueux de l’authenticité, il n’a pas l’intention de voyager seul à bord de sa barque. « Des barrières ont dû être franchies et, oui, je parle beaucoup des difficultés identitaires dans mes chansons, mais pour tous les artistes, c’est difficile de se sentir accompli. Tout le monde a envie d’exister, de laisser sa trace et de se trouver à travers son projet. » S’est-il trouvé ? « Absolument. C’était le but. »

Antony a été repéré par Bonsound alors qu’il n’avait encore aucun matériel sérieux sous la main, en première partie de Cri en 2016. Le contact fut aisé, plus tard, quand il a rappelé le label pour dire « je suis prêt ».

Le printemps 2019 l’a mené hors de sa coquille hivernale où bouillonnait une créativité qui ne demande qu’à sortir. « Quand l’hiver arrive, on dirait que tu travailles intensément ou tu meurs, dit-il. J’écrivais pour ne pas mourir. Je sais que j’ai une approche théâtrale de la musique, mais ça vient avec ma perception du travail. Je prends ce que je fais très au sérieux, ça m’intéresse pas, les choses simples. »

Selon lui, l’artiste crée par nécessité, mais où le projet va aboutir, c’est difficile à dire. Selon Spotify, la Norvège s’intéresse énormément à ce qu’il fait, mais qu’est-ce que ça amènera ? « C’est une plateforme qui donne énormément de visibilité, mais ça rend les gens paresseux. Je ne veux pas trop m’y fier. J’ai souvenir d’avoir passé des heures dans les magasins de disques à découvrir. On n’est pas né avec des suggestions musicales. Ça nous a rendus curieux. »

Alors qu’on badine au sujet de la météo, Antony Carle m’assure qu’il croit à la « fin du monde » et espère y survivre. « Malgré tout ce qu’on se dit ou ce que les gens essaient de faire, tout ce qu’on veut, au bout du compte c’est avoir le droit d’être heureux et se trouver une place. » Malgré tous les éléments de la culture queer qui se retrouvent dans ses textes ou ses prestations, Carle sait que le «purpose» est plus large. « J’ai déjà un deuxième album d’écrit et ça ne parle pas de ça. Mais je pense que ce sera toujours sous-entendu. »

Témoin de plusieurs choses qui l’ont choqué, Antony Carle a voulu parler, sans nécessairement faire un album engagé ou sérieux. « Ça peut ne pas être engagé, mais juste permettre aux gens de se sentir bien », admet-il, candide.

Il y croit : il faut changer les choses petit à petit. « Il va toujours y avoir de la violence. Il faut juste savoir changer un esprit à la fois. Je fais ma part. Je dis c’est par là. Je suis l’hôtesse de l’air qui indique la sortie », s’amuse-t-il.