Article par Melody Lau | mercredi 13 novembre 2019
Amaal a réalisé qu’elle pouvait faire carrière en musique lorsque celle-ci était déjà lancée. L’artiste canado-somalienne pensait que faire carrière en musique était impensable — un passe-temps, tout au plus —, mais lorsqu’elle a partagé son premier simple, « Words Revealed », en ligne dans le but de « le partager avec mes amis et ma famille sur Facebook », celui-ci s’est mis à attirer l’attention de bien des gens.
« Des maisons de disque me contactaient », poursuit-elle. « J’étais sincèrement surprise que les gens s’intéressent vraiment à moi. »
Il faut dire que l’attrait d’Amaal est flagrant. Sa voix est naturellement expressive et se marie avec facilité à un « beat » R&B avant d’emmener les auditeurs dans un manège émotionnel qui donne envie d’y revenir encore et encore. Armé d’une telle force, le talent d’Amaal pour l’écriture est alimenté par une profonde introspection qu’elle décrit comme « le plus grand défi de ma carrière ».
À ses débuts, Amaal concentrait cette écriture sur sa communauté et adoptait une approche très large. « Partager mes histoires très intimes au sujet de mon quotidien a été difficile, jusqu’à ce que je me rende compte que je n’étais pas totalement investie dans ma musique », confie-t-elle. Ses expériences de vie et d’amour avaient besoin d’une plateforme. « Je brûlais d’envie de parler de ces choses et je ne voulais plus me censurer. »
Son plus récent EP, Black Dove (2019) est son plus audacieux, émotionnellement, c’est un polaroid de ses relations amoureuses et de toutes les nuances qu’elles impliquent. « Dès que j’ai commencé à partager ces sentiments intimes, tout s’est précipité hors de moi », raconte l’artiste. « C’était à la fois épeurant, émouvant et stimulant. Black Dove représente pour moi l’éclatement de toutes les attentes imposées par la société et la manière dont on est élevés et afin dépasser ces limites. Je suis réellement fière d’avoir accompli ce travail et de voir ce projet comme la naissance de ma carrière. »
Et son parcours ne fait que commencer. « Je veux continuer à sortir de ma zone de confort », dit Amaal, « afin de créer de la musique honnête et sans peur. »
Photo par LM Chabot
Eli Rose : le projet solo le moins solitaire au monde
Article par Élise Jetté | vendredi 15 novembre 2019
La musique aurait pu repasser tout droit sous son nez et ne jamais s’arrêter à nouveau. Eli Rose a rattrapé la musique au vol pour ériger le projet solo le moins solitaire au monde. Et si ce premier disque homonyme est un premier pas pour elle, il est aussi le premier album de Maison Barclay Canada/Universal Musique Canada. Comme quoi c’est parfois possible de réussir du premier coup.
« Cet album-là existe en grande partie grâce à la SOCAN », lance sans broncher Eli Rose. Invitée au camp d’écriture Kenekt alors qu’elle était dans une zone d’exploration qui ne la guidait pas du tout vers une carrière solo, elle a fait des rencontres nécessaires. « Je ne pensais pas faire un album. Je pensais arrêter de faire la musique, en fait, se souvient-elle. Ça a été un coup de foudre pour la musique urbaine et j’ai compris que c’était ça que je voulais créer maintenant. »
June Nawakii (Nicki Minaj), Ruffsound (Dua Lipa, Loud) et Mike Clay (Clay and friends) ont été jumelés avec elle le temps d’une création spontanée. « On a écrit Origami et c’est la chanson qui a parti le projet. Ruffsound m’a dit que ma voix, en français, avec des beats urbains, ça n’avait pas été vu avant. On a décidé que c’est là qu’on irait. » Banx & Ranx (Sean Paul, Ella Eyre), Billboard (Britney Spears, Shakira), Realmind (Allie X) et D R M S (Ariane Moffatt) se sont également joints au projet. « D R M S, ça a toujours été mon mentor. Il a une super oreille pour les mélodies », se souvient Eli Rose. Mais comment fait-on pour réunir autant de bons ingrédients dans une même soupe ? « Ruffsound y est pour beaucoup, admet l’auteure-compositrice-interprète. C’est le padré de tous les producers. Ce sont des gens auxquels je n’aurais jamais eu accès sans le camp de la SOCAN. »
Si la pop l’avait bien servie auparavant au sein du duo Eli et Papillon (Marc Papillon-Ferland), Eli Rose ressentait profondément le désir de contrecarrer les règles de celle-ci. « On dirait qu’au Québec on fait la même pop depuis toujours, croit-elle. Quand tu voulais faire de la pop, avant, t’embauchais un réalisateur et des musiciens et tu allais ensuite en studio faire tes chansons. Avec Ruffsound, j’ai vu comment on faisait pour partir de zéro instrument et arriver à une toune de pop actuelle avec seulement un ordinateur. Les producers, ça change la game. »
Après un deuxième album plus « jeune », Colorythmie, qui jouait à la radio et qui marchait pourtant bien, Eli Rose a ressenti le fort besoin de se détacher de son duo. « Je voulais faire quelque chose de plus mature qui me ressemblait. Marc (Papillon-Ferland) voulait aller dans l’instrumental et moi je voulais faire de la pop. Je voulais savoir si ma voix avait sa place dans l’industrie. J’ai enregistré un album folk, Les fantômes n’existent pas. Il n’est jamais sorti. J’ai essayé un EP en anglais, Little Storm, composé avec Olivier Corbeil (The Stills). Ce n’est jamais sorti. J’ai écrit avec D R M S pour d’autres artistes. J’étais perdue, mais je n’arrêtais jamais d’écrire. »
Puis c’est quand elle a commencé à aller vers la musique à reculons que celle-ci lui est revenue au visage d’un coup vif, d’un « coup de foudre », selon elle. « La rencontre avec les gens qu’il me fallait, au bon moment, au bon endroit, ça m’a juste donné le goût de foncer. YOLO ! »
Maison Barclay Canada/Universal Musique Canada cherche à promouvoir des artistes francophones en se donnant les moyens de le faire à l’étranger. « Une maison de disques de Toronto qui pourrait très bien vivre sans francophones, mais qui a décidé d’y aller, je trouve que c’est vraiment encourageant. La France, c’est un rêve et j’ai déjà goûté à la crowd française lors des premières parties d’Angèle et Jain. C’est vraiment un beau territoire. »
Eli Rose est consciente que sa vie actuelle est une série de portes qu’elle a décidé de franchir. « Quand j’ai fait un feature sur Chrome avec Rymz, je me suis dit que je n’étais pas qu’une chose. Que je pouvais aller dans quelque chose de nouveau et que ça serait correct », se rappelle l’artiste, ne tenant rien pour acquis. Dans un Québec pas tellement « propice », selon elle, à prêter l’oreille à autre chose que du folk ou du rap, elle est prête à relever le défi. « Je crois à la pop intelligente francophone », dit-elle. Nous aussi.
Photo par Mélany Bernier
France D’amour : Réveiller la bête
Article par Claude Côté | mardi 12 novembre 2019
Son treizième disque fera plaisir aux fans de la première heure, D’Amour et Rock’n roll est une matière brute, au son haché qui ramène à la terre pendant que la voix et les mots partent vers le haut.
Le 2 octobre 1993, France D’Amour terminait au Forum de Montréal la tournée Rock Le Lait en compagnie des Vilains Pingouins et de Jean Leloup. Nous y étions. Animal, son premier disque, était paru l’année d’avant et Déchaînée allait défaire la guigne du second disque quelques mois plus tard. En entrevue, la jeune rockeuse de Mont-Rolland confiait alors aux médias : « j’ai assez confiance en moi pour ne pas avoir peur de me mesurer à des artistes comme eux ».
Soufflés que nous fûmes, lorsqu’en véritable mission, elle chanta le poing en l’air et la patte qui kicke vers l’avant, l’hymne rock Vivante : « Chanter à tue-tête / Tout ce que j’ai dans l’ventre / Chanter comme une bête / Pour me garder vivante ». Pour beaucoup de gens, même si France D’amour nous donné les douces sensations de Si C’était Vrai et Ailleurs pour faire place à des nuances plus fines dans son parcours discographique, cette femme est coulée dans le rock.
D’Amour renoue avec cette époque dans ce recueil de dix compositions, enregistré chez son guitariste Jason Lang, avec l’aide de vieux collaborateurs, Patrick Lavergne à la basse et Sam Harrisson à la batterie (« mon Dave Grohl à moi », ajoute-t-elle) : « J’étais due, même si j’ai jamais arrêté de faire du rock, lors du spectacle-lancement une spectatrice m’a dit : ça fait vingt ans que j’attends cet album-là ! Je lui ai répondu : Merci, vous avez été patients parce que je vous ai barouetté d’un bord pis de l’autre », en parlant des différents styles explorés au fil des ans comme le jazz de Bubble Bath and Champagne en deux tomes.
La différence entre la rockeuse de 1993 et celle d’aujourd’hui ? « Y a une estie de différence ! Celle d’Animal, elle y allait juste par instinct, pis l’énergie. Là, c’est une énergie canalisée, contrôlée. Il y avait quelque chose de très sérieux dans Animal. Là, c’est pas sérieux du tout, on s’en fout, on se laisse aller et c’est le plaisir qui prime sur tout ! Il s’est passé quelque chose de très adolescent entre nous, on cherchait des grooves, de la matière brute, imparfaite. Si tu compares avec les albums des années 70, il y en avait des fausses notes, c’était plus naturel ».
« J’ai envie de me tenir debout sur ma chaise, d’aller trop vite, d’aller trop fort! »
Elle ajoute : « des fois on avait des fous rires, comme si on retombait en enfance avec la musique, on défaisait notre savoir. On se disait : comment on jouait quand on ne savait pas jouer ? Ça fait du bien de se lâcher lousse, ça fait du bien de jouer mal. Plusieurs chansons sonnent comme des démos, au grand dam de notre réalisateur qui repérait tout de suite les imperfections, mais nous on les aime de même. Sur Tout à gagner, je suis malade, la voix craque, mais j’ai dit : on garde ça ! C’est ça le rock’n roll : le feeling et l’émotion ».
Viser droit au cœur sans négliger l’esprit, la part belle est laissée aux guitares et il existe une franche cohésion née des mêmes ingrédients ludiques, sans déployer des trésors d’invention.
« Quand t’as des sujets du domaine de l’indignation comme c’est le cas avec ce nouveau disque, la musique rock sied bien à ce propos. C’est mes constats au fil des années, c’est ma vie personnelle, je me révèle beaucoup. C’est moi au moment présent. Il n’y a aucune chanson d’amour sur l’album », confie la nouvelle célibataire de 54 ans avec un brin d’ironie, quoique, la dernière piste de D’Amour et Rock’n Roll, T’étais mon père, est le texte intégral qu’elle a lu aux funérailles récentes de son père.
C’est toujours à ce moment que D’Amour a donné et donne le meilleur d’elle-même. La gorge imbibée de fiel elle en remet : « j’ai envie de cour à scrape, j’ai pas envie d’être sexy, j’ai envie de me tenir debout sur ma chaise, d’aller trop vite, d’aller trop fort pis de virer d’bord, pis de m’arrêter quand ça me tente. J’ai envie d’un fuck off pis d’un laisser-faire ».
Première étape réussie lors du spectacle-lancement à Coup de cœur francophone : « J’avais chaud en dessous des bras, mais je n’ai pas raté un seul mot des nouvelles chansons, ma mémoire est bonne, l’Alzheimer ce n’est pas pour tout de suite ! En dedans de moi je suis restée adolescente. Vieillir, c’est entre les deux oreilles ».