Par une froide soirée de décembre 2016, à Toronto, un homme est sur scène au Royal Theatre — qui sert habituellement de cinéma — de College Street, au centre-ville. Bien qu’il ne soit accompagné que d’un guitariste et ne parle pratiquement pas entre ses chansons, chacune des phrases qu’il chante de sa voix rauque et chacun de ses mouvements sont accueillis avec euphorie par la salle comble. Étrangement, il est presque entièrement enveloppé par l’obscurité pendant sa prestation, seul un faible projecteur situé directement au-dessus de lui l’éclaire, telle une ombre dans la nuit.

Voilà un auteur-compositeur-interprète — et membre de la SOCAN — qui apprécie l’aura de mystère et qui, vraisemblablement, fait tout ce qu’il peut pour mettre la musique de l’avant tout en protégeant son anonymat et sa vie privée.

Voilà Allan Rayman que d’aucuns considèrent comme la prochaine révélation de la scène musicale torontoise et canadienne sur la scène internationale en 2017. Rayman a d’ores et déjà signé une entente mondiale pour son étiquette 512 Productions avec Communion Records, le label dirigé par Ben Lovett de Mumford & Sons. Il a complété une tournée nord-américaine de petits théâtres où il était tête d’affiche avec James Vincent McMorrow en première partie tout en se bâtissant un auditoire digne d’un culte et il enregistre aujourd’hui même (24 janvier 2017) une prestation en direct dans le cadre de la série First Play Live de la CBC.

Mais comme il refuse obstinément d’accorder des entrevues (pour le moment) et n’offre aucune explication au sujet de son travail, nous sommes laissés à nous-mêmes pour interpréter les sons et le sens de sa musique et les images de ses vidéos.

Musicalement, Rayman superpose sa très expressive voix rauque aux accents parfois un peu folk à des mélodies R & B et des « beats » hip-hop. Tant sur son premier album, Hotel Allan (d’abord lancé en téléchargement gratuit), que sur scène, il se sert de messages vocaux provenant d’une femme avec qui il est en conflit. Quant à ses textes, il écrit à la première personne et décrit fréquemment les épaves de relations de couple et amalgame avec une appréhension palpable l’amour, le sexe et la mort. Le résultat est très intense et tout aussi captivant. Il chante des phrases telles que (librement traduit), « I’m a bad habit that you can’t shake » (je suis une mauvaise habitude dont tu n’arrives pas à te défaire), « I need a selfish kind of girl » (j’ai besoin d’une femme égoïste), « I am the reason that you let me go » (je suis la raison pour laquelle tu m’as quitté).

Le travail visuel de Rayman est encore plus fascinant. Les clips de trois chansons tirées de Hotel Allan (« 27, » « Beverly » et « Graceland ») ont une facture esthétique de film noir/« road movie » américain à petit budget des années 70. Lancés un à un, nous avons appris plus tard qu’ils formaient un tout, un court métrage intitulé The Wolf and The Red Dress dans lequel les personnages principaux, un homme et une femme, se rencontrent dans un restaurant, font l’amour dans une chambre de motel, puis, vraisemblablement, elle le tue avec une arme à feu et lui se réveille dans ce qui semble être un paradis sur terre. Dans « Beverly », la femme qui tire d’une arme à feu porte un masque de loup, un thème récurrent de ses clips. Mais pas seulement : pendant l’entracte du spectacle au Royal Theatre, huit femmes en robes d’été et masques de loup flânaient et posaient au bord de la scène. Pour le clip de la chanson « Faust Road », il a utilisé ce qui ressemble à un film expressionniste allemand des années 20 en noir et blanc inspiré de l’histoire de Faust qu’on a solarisé et légèrement traité visuellement.

Rayman lancera le 24 février 2017 son deuxième album intitulé Roadhouse 01. Le premier extrait, « Repeat », est un duo avec une autre artiste à l’étoile (filante) montante, Jessie Reyez, et il a été lancé dans le cadre de l’émission Apple Beats 1 de Zane Lowe (rien de moins !) et il prouve que l’artiste n’a pas encore envie de quitter le domaine de la noirceur et de la peur. Il y a écrit :

She swingin’ moods just like my mother do (elle a des sautes d’humeur juste comme ma mère)
I see the tension overcoming you (je vois la tension qui prend le dessus sur toi)
The cruel intention starts to shine through (tes intentions cruelles commencent à paraître au grand jour)
I couldn’t help but fall in love with you (je ne pouvais pas m’empêcher de tomber amoureux de toi)

Rayman est sur le point de conquérir le grand public. Mais est-ce ce qu’il veut ? Comme il le chantait dans « 27 », « I feel this fame is pending/With all my idols gone I’m afraid of 27 » (je sens que la gloire approche/Avec mes idoles qui sont toutes parties, j’ai peur de 27) Tout comme The Weeknd avant lui, Rayman est tapi dans l’ombre pour réaliser ses premiers albums. Choisira-t-il éventuellement d’en sortir et même d’embrasser la lumière des projecteurs (à l’instar de The Weeknd) ? Ça reste à voir…