Durant leur enfance dans le village de Kitamaat de la Nation Haisla, Quinton « Yung Trybez » Nyce et Darren « Young D » Metz, des amis d’enfance aujourd’hui mieux connus sous le nom de Snotty Nose Rez Kids, étaient très intéressés par l’écriture et l’athlétisme. Leur chimie interpersonnelle a commencé sur le terrain de basketball de leur école secondaire, bien avant l’appel de la scène ; Metz jouait à la position de meneur partant et Nyce à celle d’ailier.
Ils partagent également un amour de la culture hip-hop. Nyce et Metz étaient malgré eux exposés à toutes sortes de caricatures et de stéréotypes offensants sur les Premières Nations véhiculées par Walt Disney et Looney Tunes, mais également par le téléjournal. C’est pour cette raison que la culture hip-hop les a interpellés — tout particulièrement des rappeurs comme Dr. Dre, Lil Wayne, Eminem et Jay-Z qui, tout comme eux, résistaient au dénigrement social de leurs identités. Toutefois, le fait de vivre dans une enclave reculée à 1400 kilomètres de route de Vancouver signifie que les tournées de ces artistes hip-hop ne venaient jamais à eux. C’est grâce aux captations de ces tournées sur des cassettes VHS qu’ils ont pu avoir accès à un monde auquel ils allaient éventuellement contribuer, bien que cela semblait fort improbable à l’époque.
Le duo a parcouru beaucoup de chemin depuis. Top 10 du prix Polaris en 2018, tournées au Canada, aux États-Unis et en Australie, tandis que leur simple « Savages » a passé plus de 20 semaines sur le palmarès Indigenous Music Countdown. Finaliste pour le meilleur album hip-hop à l’édition 2018 des Indigenous Music Awards, gagnant du prix du meilleur artiste hip-hop à l’édition 2018 des Western Canadian Music Awards, et finaliste pour le JUNO 2019 de l’album de musique autochtone de l’année pour The Average Savage.
C’est une communauté d’activistes locaux qu’ils ont rencontrés durant leurs études universitaires à Vancouver qui a inspiré les membres du duo à insuffler leurs identités dans leur musique. « C’était vraiment puissant », se souvient Metz. « Tous ces autochtones. Mais pas juste des autochtones, nos alliés, également. Tous les gens que nous fréquentions étudiaient pour obtenir un bac ou une maîtrise. On a fait connaissance avec ces gens qui organisent ces manifs qu’on voit dans les rues de Vancouver, et ça nous a beaucoup influencés. »
Nyce, toujours en deuil de son grand frère mort en 2013, en est ressorti transformé, personnellement et créativement. « Les gens qui nous entouraient ont changé notre direction musicale », confie-t-il. Les soirées micro ouvert auxquelles le duo a commencé à participer en 2012 attiraient de plus en plus d’adeptes, et cela a fini par déboucher sur une révélation pour Nyce et Metz. « Nous avons réalisé à quel point c’était important pour nous d’écrire et de publier de la musique qui signifiait quelque chose pour nous », explique Nyce, « mais aussi l’importance de notre voix pour les autres. La musique passait avant tout. Le message, nous l’avons trouvé une fois qu’on a compris qui on est vraiment. »
C’est à ce moment que le duo a commencé à approfondir sa créativité. Ils ont passé de longues soirées et nuits à composer des pièces comme « Clash of the Clans » et « Northern Lights ». Puis, pendant des semaines, ils s’échangeaient des démos, des « beats » et partager des idées. Les deux artistes, qui ont l’habitude d’écrire leurs couplets séparément, se réunissaient ensuite pour élaborer leurs concepts pièce par pièce. Lorsqu’une pièce ne fonctionnait pas, ils l’abandonnaient, mais en réalité, c’était très rare, car ils étaient presque toujours au diapason. « On partage la même vision quand il est question de choisir nos “beats”, nos sujets et nos rimes », explique Nyce.
“On a vraiment trouvé qui on est… plus rien ne peut nous arrêter.”—Quinton « Yung Trybez » Nyce de Snotty Nose Rez Kids
C’est en 2017 qu’ils ont choisi leur nom de groupe, Snotty Nose Rez Kids, qui fait référence aux « enfants qui courent librement sur les réserves autochtones », explique Nyce. Il se veut le reflet de leur histoire et salue affectueusement les gens qu’ils souhaitent aider à s’épanouir. Leur premier album éponyme paru en 2017 a réussi à trouver un juste équilibre entre la dure réalité et l’humour. « On parle des expériences merveilleuses qu’on a vécues sur la “réz” autant que des traumatismes intergénérationnels », explique encore Nyce. Ils ont immédiatement enchaîné avec The Average Savage, toujours en 2017.
« Sur Average Savage, nous avons vraiment abordé des sujets qui ont fait partie de notre enfance, comme les stéréotypes racistes qu’on nous a inculqués », poursuit-il. « Ils nous incitaient à nous haïr nous-mêmes et incitaient le reste du pays et sa mentalité colonialiste à nous haïr également. Nous, on a simplement appelé un chat, un chat. »
Trapline leur a été inspirée de la sagesse transmise par les femmes fortes faisant partie de leurs vies — c’est d’ailleurs la mère de Nyce que l’on entend avec éloquence prononcer ses propres mots sur la première pièce de l’album, « Wa’wais (Skit) ». Sur « Granny Kay (Skit) », la grand-mère de Metz se rappelle quant à elle tendrement le conseil que donnait souvent au jeune homme son grand-père : « Don’t act crazy (librement : fais pas le fou) ». « Ce sont ces femmes qui ont fait de nous qui nous sommes », disent-ils à l’unison. « Sans elles, nous ne serions pas les hommes que nous sommes aujourd’hui. » Cet hommage à la force des femmes est également évident à travers les invitées que l’on peut entendre tout au long de l’album : Kimmortal (“Lost Tribe”), Cartel Madras (“Aliens Vs Indians”) et The Sorority (« Son of a Matriarch », qui est une célébration du matriarcat au cœur de la vie quotidienne de SNRK). “Toutes ces artistes sont des femmes que nous avons rencontrées et qui partagent notre lutte. Nous avons tous les mêmes messages, et nous l’exprimons de différentes façons », explique Metz.
The Average Savage a fait tourner les têtes et généré une attention médiatique qui allait bien au-delà de leur ville. Son honnêteté décomplexée et ses rimes acérées sont impossibles à ignorer et son ton revendicateur a fait écho partout. Des termes péjoratifs comme « peau rouge », « sauvage » et « rez kid (librement : rat de réz) », habituellement utilisés pour attaquer et humilier, ont été vidés de leur vitriol, réappropriés et réutilisés pour exprimer la détermination, la fierté et l’unité. L’album s’est retrouvé sur la liste courte du Prix de musique Polaris 2018 et a été mis en nomination pour le JUNO de l’album de musique autochtone de l’année. Selon le duo, ces reconnaissances majeures ont fait taire bon nombre de membres non autochtones de leur communauté qui avaient levé le nez sur l’album.
« Avant le Polaris, bien des gens de notre communauté avaient l’impression que notre message n’était pas juste. Ça n’avait aucune importance pour nous, car nous savions que ces gens ne partagent pas nos valeurs. Et de toute manière, tout ça a été éclipsé par les commentaires positifs », explique Metz.
Sur Trapline, qui paraîtra le 10 mai, le duo affiche encore plus d’assurance, de franchise et est on ne peut plus résolument festif. Sur cet album, SNRK voulait souligner la fierté collective durement acquise. « Sur Trapline, on a vraiment trouvé qui on est et on veut montrer au monde entier que nous sommes fiers de qui nous sommes et d’où nous venons ; plus rien ne peut nous arrêter. C’est un album qui contient plein d’hymnes pour cette génération montante », affirme Nyce.
De « Rebirth », mettant en vedette Tanya Tagaq, à « Boujee Natives », Trapline révèle et se réjouit de la richesse de leurs racines autochtones. « Quand les gens pensant à l’expression “boujee” (NdT : un dérivé du mot “bourgeois”), ils pensent à des choses cossues et luxueuses », explique Metz. « Et pour nous, “boujee” est riche en culture. Éduquez-vous — connaissez vos traditions. » (Metz et Nyce apprennent actuellement leur langue autochtone.)
Le message est l’unité. « Trapline est un rappel à tous les habitants de Turtle Island (le nom donné à l’Amérique du Nord par certains peuples autochtones) et à toutes les personnes de couleur que nous sommes tous issus des mêmes luttes et que nous allons nous en sortir en demeurant unis et grâce à nos connaissances », affirme Nyce. « Nous avons créé cet album afin que nous puissions rejoindre les gens au-delà de notre communauté tout en montrant à notre communauté que ces gens sont exactement comme nous. »
Tout cela s’accompagne de la réalisation que ce sont désormais eux qui sont les voix qui influencent toute une génération. « Nous n’avions pas d’artistes comme nous à qui nous pouvions nous identifier quand on était jeunes, et c’est pour ça qu’on écoutait tous ces rappeurs de la côte est et de la côte ouest, à l’époque », explique Metz. « Maintenant, avec Internet, les jeunes peuvent écouter de la musique provenant de différentes communautés un peu partout au Canada. Ces jeunes écoutent notre musique et s’y identifient. »