Serge Fiori est détendu, souriant. Campé dans un fauteuil dans sa résidence de Longueuil, l’homme se livre et revisite l’ère d’Harmonium, celle de Fiori-Séguin et de son premier album solo, paru en 1986, en passant par la création du désormais célèbre thème de Juste pour rire et sa contribution à l’album de Nanette Workman, Changement d’adresse. Mais on revient toujours à son nouvel album homonyme. Il en est fier. Ça se lit dans ses yeux. Ça s’entend dans sa voix.

« Ça ne m’intéressait pas de faire un autre album. Je faisais de la musique de films. J’étais investi là-dedans. J’adorais ça et je pensais que c’est ce que je ferais pour le reste de ma vie. Après avoir travaillé sur le film de Luc Picard (Babine), je sentais que je venais de finir une étape. J’ai discuté avec Normand Corbeil et j’étais supposé développer un projet avec lui, mais il est parti avant qu’on puisse se mettre au travail. Son départ m’a sonné un peu, je dois l’avouer, » raconte Fiori, la voix vibrante.

C’est son producteur Pierre Lachance qui lui recommande le réalisateur Marc Pérusse (Luc De Larochellière, Daniel Boucher). Dès le premier contact, le courant passe entre les deux hommes. « Ce disque, c’est vraiment le résultat de notre rencontre. Une moitié Marc et l’autre moitié moi. Ce sont nos sons qui se marient. Et ce n’est pas fini. On veut continuer à faire de la musique ensemble, » avance le grand fan de Joni Mitchell et de Steely Dan.

Sur ce premier opus en 28 ans, le blues est bien présent (« Démanché », « Zéro à dix »), la voix intacte et l’émotion à fleur de peau. Sans oublier la fameuse guitare à 12 cordes de l’homme. Appuyé par la réalisation aérée, toute en finesse, et les riches arrangements de cordes et de cuivres du tandem Fiori/Pérusse, l’album recèle des mélodies accrocheuses au possible (« Seule ») et de clins d’œil à Harmonium (envolées à L’Heptade de « Si bien » et son épilogue ainsi que la présence de Monique Fauteux sur « Jamais »). Si Fiori a toujours eu de la difficulté à réécouter ses vieux albums, cette fois-ci il se repasse les 11 nouveaux titres avec bonheur. Encore et encore. « C’est la première fois que ça m’arrive. C’est étrange, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui a fait ce disque. On dirait qu’il s’est fait tout seul et que je n’étais pas là. Il me réconforte et me prend dans ses bras. Ce n’est pas une question d’ego. Je n’ai rien à défendre ou à prouver. Je l’écoute simplement avec grand plaisir et je trippe! Cet album, il est bien vivant. » 

« Je n’ai aucun contrôle sur mon canal créatif. Et c’est frustrant. Lorsque ça sort, c’est une bourrée. Et le reste du temps, je me prépare. Et j’attends. »

Et moderne sur le plan thématique. Une chanson telle que « Le monde est virtuel » n’aurait pas pu voir le jour à l’époque d’Harmonium. « Depuis quatre ans, sur Facebook, je fais un effort pour créer des phrases rassembleuses. Y’a du monde en détresse qui m’a écrit. De grandes solitudes. La toune vient de là, » soutient-il.

Composée en dix jours à peine (« une chanson par jour »), la galette se veut le résultat d’une période de création particulièrement foisonnante. Fiori explique : « Le canal s’ouvre et ça part. Ça dure le temps que ça dure et j’écris tout d’un coup, paroles et musique. Je ne comprends pas encore comment ça fonctionne. Je suis toujours sous le choc lorsque ça m’arrive. Je ne peux pas écrire des tounes comme un artisan. C’est une énergie que je ressens. Je n’ai pas le choix de faire comme ça. Il faut aussi que la démarche soit honnête. Je ne peux pas me censurer et viser un public. Je n’ai aucun contrôle sur mon canal créatif. Et c’est frustrant. Lorsque ça sort, c’est une bourrée. Et le reste du temps, je me prépare. Et j’attends. »

À quoi se résume son regard sur l’industrie musicale actuelle? « Il y a tellement de talent, mais pas de gens pour consommer. Je viens d’une époque où c’était direct. On créait notre propre industrie, on allait à contre-courant de ce qui se faisait. La différence est que le monde était là pour nous suivre. Aujourd’hui, t’as beau faire n’importe quoi, les gens ne sont pas intéressés. C’est devenu un marché de singles. De plus, la nouvelle génération a tendance à négliger les racines de notre musique. À l’époque, j’achetais un disque, je m’assoyais, j’ouvrais une bouteille de vin, je me mettais la tête entre les speakers et c’était un grand moment. On ne fait plus ça aujourd’hui. »

Lorsqu’on l’interroge à propos de ses projets, l’homme esquisse un sourire et soutient que, pour le moment, il a surtout besoin de repos. « Au bout de cette démarche, j’ai crashé. J’ai tout donné sans le savoir. Cet album m’a pris par surprise et je ne sais pas trop où je m’en vais maintenant. Je prends ça un jour à la fois. Tout ce que je sais, c’est que j’aimerais aller voir ailleurs : une collaboration à un spectacle visuel, un show 3D, le Cirque du Soleil… J’ai pas mal fait le tour avec la musique de films et je ne pense plus en refaire. Je suis prêt à relever de nouveaux défis. Si ça fonctionne tant mieux, sinon ce disque sera ma signature, mon épilogue. »

Ceux qui rêvent de voir une prestation live de Fiori seront heureux d’apprendre que l’homme souhaite éventuellement faire paraître un DVD des chansons de l’album dans un cadre intime. Il mijote soigneusement le projet dans sa tête. « Je suis en train de développer le tout. J’y pense beaucoup. J’aimerais qu’il y ait plein de moods particuliers. Ça me tente tellement de chanter les tounes à nouveau. Ça me manque. Et je veux qu’il y ait un bon band. Parce que je veux qu’on se paye une traite! » Parions que le public aussi se paiera une traite.