Il y a dix ans, SATE m’a posé la question suivante : « Je t’en prie, nomme une seule femme noire dans le milieu du rock au Canada. Ça fait fucking pitié et ça te tue en dedans! »Nous voici 10 ans plus tard, et la vaste majorité des gens auraient de la difficulté à nommer une autre artiste qu’elle. [Fefe Dobson? BACKXWASH? Mais c’est quand même peu. – Ed.]

Bien que la farouche rockeuse ait acquis la réputation d’être l’une des chanteuses les plus charismatiques du pays, elle avoue avoir intériorisé l’idée que le hard rock est une « musique de garçon blanc » lorsqu’elle jouait avec Blaxäm, un groupe de Toronto qui mélangeait rock, funk, blues et jazz à la fin des années 90.

C’est après que SATE a entendu parler de la Black Rock Coalition que la fille de la regrettée légendaire chanteuse Salomé Bey se rappelle avoir pensé : « je ne suis pas bizarre, je ne fais rien de mal, je ne fais pas quelque chose que les Noirs ne font pas ou n’aiment pas. Ç’a été comme une affirmation et une inspiration. » SATE admet qu’elle a encore du mal à « absorber [le stéréotype de qui peut jouer du hard rock] ou à le défléchir » en parallèle avec son désir de plaire au plus grand nombre d’auditeurs possible.

Elle dit avoir nommé son dernier album The Fool, d’après le héros du jeu de tarot, parce que cette carte représente le « saut dans l’inconnu, encore et encore. Faire confiance à son intuition. Garder l’esprit ouvert pour être ce vaisseau artistique malgré les doutes, les peurs ou les insécurités qui t’habitent. » Non seulement cela résume parfaitement le parcours musical de SATE, mais aussi tout ce qu’elle a vécu en créant The Fool. Elle en est ressortie émotionnellement épuisée.

« J’haïssais tout ce que j’avais fait », dit-elle. « Je me trouvais mauvaise, j’étais convaincue que les gens me mentaient quand ils disaient qu’ils aiment ma musique et je pleurais beaucoup. » Elle dit également qu’elle était coincée « dans cet endroit où tu veux plaire même aux gens qui n’ont rien à foutre de toi. » Il aura fallu « cette pause mondiale » (la pandémie) pour qu’elle choisisse de suivre son intuition et de se faire pleinement confiance.

Elle a donc revisité The Fool – qu’elle avait terminé en 2018, mais qu’elle estimait « ne pas être prêt à être lancé » – et non seulement elle est retombée amoureuse des chansons, mais elle a réenregistré certaines voix, et ajouté des chœurs et des interludes. Elle a aussi appris à faire l’ingénierie du son et a produit plusieurs morceaux de l’album. « Quand je chantais, je me sentais comme “c’est mon rock! C’est ma voix! C’est comme ça que je fais les choses!” dit-elle avec aplomb.

Le doute de soi – et la révélation qui a suivie – qu’elle a vécu a porté ses fruits. The Fool a été finaliste pour un JUNO 2022 dans la catégorie Album alternatif de l’année, et SATE a signé un contrat d’édition l’année dernière avec Ninja Tune, le label basé au Royaume-Uni lancé par Coldcut. L’étiquette l’a signée après avoir entendu “Warrior », une chanson de son premier album qui figure sur la liste de lecture Voices For The Unheard sur Spotify.

« Le contrat me donne l’occasion d’écrire avec d’autres créateurs et de travailler avec d’autres producteurs en plus de voir ma musique placée dans une émission de télévision ou un film », dit SATE. « En tant qu’auteure-compositrice, je n’ai pas nécessairement besoin d’être sur scène – même si j’adore la scène – mais ma musique peut vivre dans tellement d’autres endroits. »

Quant à l’écriture de chansons, SATE rend hommage à sa mère, qui a récemment été immortalisée sur un timbre de Postes Canada, pour l’avoir inspirée à « protéger son travail et à se faire payer quant on fait jouer ses chansons. Ma mère était membre de la CAPAC [l’ancêtre de la SOCAN], et elle a inscrit mon père, ma sœur et moi », dit-elle, ajoutant que c’est une évidence pour les musiciens de devenir membres de la SOCAN.

« C’est cool de recevoir de l’argent de la SOCAN », dit SATE. Tu réalises que ta musique est dans l’univers et que quelqu’un la fait jouer. »