Le jeudi 20 juin 2024, lors d’une cérémonie organisée dans le cadre des 35e Francos de Montréal, l’Association professionnelle des éditeurs de musique (APEM), en collaboration avec la SOCAN, décernera à l’un des bâtisseurs de l’industrie musicale québécoise moderne, Rosaire Archambault son Prix Christopher-J.-Reed, remis « à une personne engagée dans sa communauté professionnelle, qui témoigne d’un grand respect des créateurs et du droit d’auteur et dont la contribution pour l’exercice et la reconnaissance de la profession d’éditeur musical est exceptionnelle. »
« Mon ami Christopher était un homme charmant. C’est une des raisons pour lesquelles j’accepte ce prix, parce que j’aimais beaucoup Christopher. Je ne suis pas vraiment le gars qui cherche les hommages ou les prix », confie humblement Rosaire Archambault, qui en acceptera tout de même un second en moins d’un an.
En octobre 2023, l’ADISQ lui remettait son Félix hommage de l’industrie en reconnaissance de ses décennies de services, « pour ma carrière chez Archambault, autant en distribution, avec les magasins, plus mes années chez Audiogram avec Michel Bélanger, résume ainsi le vétéran. J’ai été distributeur, disquaire, producteur, éditeur, tout ce qui sert à supporter la création ».
L’entrepreneur a également laissé son empreinte dans le monde de l’édition musicale en cofondant Editorial Avenue, puis en siégeant de longues années au conseil d’administration de la SOCAN. « J’ai été élu au conseil d’administration de la CAPAC [Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Ltée] en 1983 », rappelle Rosaire Archambault qui, alors, venait de prendre la direction générale de la maison Archambault fondée par son grand-oncle Edmond. « J’étais au conseil lorsque la CAPAC est devenue la SOCAN » lorsque se sont fusionnées la première et la Performing Rights Organization of Canada (PROCAN) en 1990.
C’est après avoir été invité à siéger sur ces sociétés que l’entrepreneur a transformé l’étiquette Disques Sélect, fondée en 1959 par son père (qui avait préalablement fondé l’étiquette Alouette, sept ans plus tôt), en distributeur de disques. « Mon père avait aussi fondé Éditions Archambault, raconte-t-il. En 1975, je sortais de l’École de commerce, sans trop savoir ce qui allait m’arriver, mais mon père souhaitait que je vienne travailler avec lui. Disques Sélect fut une des premières maisons de disques à enregistrer des auteurs, compositeurs et interprètes d’ici, dont Pierre Létourneau, Jean-Pierre Ferland, Robert Charlebois, Hervé Brousseau et plein d’autres. »
« Donc, il était producteur, mais aussi éditeur. Jean-Pierre Ferland qui vient de nous quitter, ses premières chansons, Ton visage, Les fleurs de macadam, Avant de m’assagir, ce sont toutes des Éditions Archambault. » Des années plus tard, Rosaire Archambault avait recommandé à son ami et partenaire dans Audiogram Michel Bélanger de devenir à son tour éditeur. « Pourquoi? Parce qu’il l’était déjà, au fond. Il était producteur, il allait en studio, il assurait la direction artistique de plusieurs des albums qu’il produisait », alors travailler le domaine de l’édition musicale permettait d’accompagner encore mieux un artiste en développement de carrière.
Le vétéran a justement été aux premières lignes de la professionnalisation du métier d’éditeur musical, fondant Éditorial Avenue avec son partenaire Michel Bélanger, qui ont ensuite embauché l’éditeur Daniel Lafrance, lequel ira ensuite fonder l’APEM. « L’APEM a donné ses lettres de noblesse au métier d’éditeur au Québec, estime Rosaire Archambault. Il ne faut pas se leurrer, autrefois, les éditeurs – là, je vous parle de l’époque de mon père, et même avant! – souvent, ils n’étaient pas payés par les producteurs. Parlez-en à des vieux de la vieille comme moi, c’était terrible, il n’y avait aucune éducation sur ce qu’était le droit d’auteur. Le métier d’éditeur musical n’existait pas, à proprement dit, le besoin de créer une association était là. C’est Daniel qui l’a fait, et on l’en remercie énormément » d’avoir ainsi contribué à mieux faire comprendre le rôle, et l’importance, de l’éditeur.
Car selon Rosaire Archambault, « l’édition musicale a longtemps été le parent pauvre de notre industrie. Or, tout le monde a fini par comprendre que la musique ne serait plus commercialisée sur un support physique, qu’on ne vendrait plus des morceaux de plastique, et que ça deviendrait une business de droits. Alors, sur tous les fronts, les gens ont commencé à défendre leurs droits – droit d’auteur, droits voisins, etc. Tout le monde a commencé à vouloir un plus gros morceau de cette tarte que représentent les revenus tirés du streaming et qu’il faudrait trouver une manière plus honnête de distribuer ces revenus. »
Ce combat n’est toujours pas gagné, reconnaît l’entrepreneur. « L’industrie de la musique francophone au Québec est en danger, et je ne suis pas le seul à le penser, s’inquiète-t-il. Vous le savez vous-même, on a connu des périodes beaucoup plus fastes pour la chanson québécoise et en ce moment, ce n’est pas une des meilleures. Les géants du streaming doivent investir dans la musique francophone québécoise, mais il y a plus encore : il se fait encore beaucoup de création musicale, mais il faut la faire jouer, ce qui nous ramène au rôle des radios qui, elles, sont de moins en moins écoutées. On est à l’ère du streaming et des listes de lecture et de maintenir le désir des Québécois de chanter en français et d’écouter sa musique en français. »
« Lorsque j’ai reçu le Félix hommage de l’industrie l’automne dernier, j’ai prononcé un discours. La dernière phrase était celle-ci : Merci de prendre soin de notre industrie musicale, parce qu’elle est fragile. Je ne suis pas là pour leur dire quoi faire, juste leur demander de faire attention ! »