Zen Bamboo

Zen Bamboo, c’est un quatuor de Saint-Lambert qui répète dans un sous-sol. Léo Leblanc, Simon Larose, Charles-Antoine Olivier et Xavier Touikan tracent leur chemin eux-mêmes autour de cet agréable cliché de groupe de banlieue qui rêve grand; ils arrosent le mythe et se construisent autour de ce dernier.

Auprès d’un public précis, à l’orée de l’âge, la réponse à l’offre de Zen Bamboo est positive, effrénée. « Il y a des gens qui sont convaincus qu’on est vraiment cool et c’est ce qui nous étonne le plus », avoue d’emblée Simon Larose, parolier et chanteur de Zen Bamboo. Et si la critique leur dessine un avenir où les comparaisons avec les grands noms foisonnent, ceux-ci refusent l’étiquetage qui est « ennuyant et manque d’imagination ».

Après des démos enregistrés avec peu de moyens, l’été dernier, les garçons ont cassé leur tirelire pour enregistrer seize morceaux réalisés par Thomas Augustin (Malajube), qui depuis, sont révélés au compte-gouttes. Le Volume 1: Juvénile, paru en juillet dernier dévoilait quatre chansons, puis le Volume 2: Plus mature, plus assumé divulguait six autres pièces en novembre 2017, désormais sous la bannière de Simone Records. « Toutes les chansons proviennent du même enregistrement, explique Simon Larose. Donc quand on parle de maturité, ça relève plus de la sélection des chansons que de l’évolution entre les deux. »

 La maturité n’est pas ce qui nous interpelle au premier regard, les quatre musiciens étant plutôt dissipés et souvent plongés dans une dérision qui laisse soupçonner qu’ils nous mènent en bateau. Ils affirment d’ailleurs depuis plusieurs années qu’ils ont tous 19 ans, une donnée qui s’est avérée erronée après une brève recherche sur Facebook. « S’il fallait argumenter au sujet de notre maturité, je dirais qu’on boit moins et que, dorénavant, on est trois à étudier à temps plein à l’université et Léo, lui, a obtenu un Diplôme d’études collégiales. C’est pas de la sagesse, ça ? », questionne Simon. « Il y a plus de reverb, aussi dans notre Volume 2, renchérit Charles-Antoine. Normalement plus il y a de reverb et plus c’est mature. » Ce n’est pas le cas de Mario Pelchat, dis-je. Ils se consultent, ne sachant pas tous de qui je parle.

Si la discussion avec Zen Bamboo est souvent décousue et entrecoupée de rigolades, la portion scénique, elle, casse tout, sérieusement. Le quatuor est habité par un désir de performance bien tangible qui convainc tout le monde de les qualifier de groupe prometteur, ce à quoi ils répondent en riant, à la fois persuadés que leur matériel est excellent, mais que le grand public n’est pas encore à leur portée. « C’est la constante des 10 000 heures, justifie Simon. Si tu fais n’importe quelle tâche pendant 10 000 heures, tu deviens un expert. Par la force des choses, on s’améliore. Si on est solides en spectacles, c’est parce qu’on répète beaucoup. »

Sur scène, pour eux, « la switch est à off ». Selon Simon, c’est l’endroit pour sortir du cadre. S’il est déconseillé de sauter partout et de bouger ses membres dans tous les sens dans l’autobus, par exemple, Zen Bamboo souhaite que les spectacles fassent tomber ces barrières. « Je ne vais pas me mettre à suivre des règles de bienséance sur scène, ajoute-t-il. Je ne fais pas de dope, je ne fais pas de bungee. C’est là que je vis mon trip. » C’est donc dans la spontanéité que la magie opère. « La seule fois qu’on a essayé de calculer, c’était à Granby (au Festival International de la chanson, en 2015). On s’était déguisés, CAO (Charles-Antoine) avait un chapeau de safari, et ça a été notre pire show. »

La voix de Simon, tantôt nonchalante, tantôt haut perchée et toujours singulière, se place au cœur d’arrangements précis où transparaissent les heures de pratique. C’est la plume tourmentée du chanteur qui raconte toutes les histoires. « J’écris la musique et les paroles en dialogue, image-t-il. L’une influence l’autre. Souvent je vomis des mots dans le bloc-notes de mon cellulaire et ensuite de m’assois pour recadrer le tout. C’est toujours très long avant que quelque chose de potable ne survienne. C’est rare que j’aime ce que je fais. Quand je digère les tounes, je fais juste angoisser. »

Il est important pour eux d’aborder les sujets en passant par des sentiers nouveaux. « Dans Si c’est correct, je trouve ça l’fun de parler de baise dans l’optique de ne pas le faire finalement, dit Simon. Je trouve ça plaisant qu’on ait encapsulé un sentiment qui n’est pas particulièrement représenté. Le one night qui n’aboutit pas, les gens parlent pas de ça. »

Sortir des EP de temps en temps, c’est une curieuse technique, même s’ils ne sont pas les seuls à ne plus vraiment percevoir l’intérêt dans l’album entier. « On est toujours en train d’enregistrer, lance Simon. Le circuit québécois classique, j’hais ça. J’écris deux tounes par semaine, j’en ai 95 en banque qui me provoquent des névroses. Il faut que ça sorte. » Les prochains buts de Zen Bamboo se situent maintenant sur la scène : ne manquer aucun festival durant l’été 2018. « Le festival du porc en canne, de la patate, des betteraves. On va tous les faire, lance Simon. Et on veut sortir de la musique. Beaucoup. Trop. Fréquemment. »



Paroles & Musique vous présente dès aujourd’hui une nouvelle série d’articles intitulés « D’où vient cette chanson ? ». Il s’agira non seulement d’examiner le processus de création d’un « hit », mais également d’aller dans les coulisses pour connaître toutes les activités requises, de l’écriture à l’enregistrement, en passant par l’édition musicale, pour permettre une chanson de devenir un succès commercial, critique et artistique.

La première chanson que nous couvrirons sera, comme c’est approprié !, « First Time », une pièce coécrite par le membre SOCAN Jenson Vaughan, qui a également écrit pour Madonna et Britney Spears, entre autres, en compagnie de Shy Martin et Fanny Hultman, ainsi que l’équipe de production Hitimpulse. « First Time » est également coéditée par son éditeur, Ultra Music Media. La pièce est née lors d’un camp d’écriture à Stockholm et elle a fait son chemin jusqu’aux oreilles de la mégavedette Kygo, et depuis, elle a été certifiée Platine au Canada et en Australie, Or en France, en Italie et au Danemark, et Argent au Royaume-Uni. Elle s’est inscrite au Top 10 U.S. Dance Club Songs et U.S. Hot Dance/Electronic Songs charts de Billboard. Elle cumule 250 millions d’écoutes sur Spotify, 58 millions de visionnements sur YouTube et 22 millions sur Vevo. Voici l’histoire de sa création…

Jenson Vaughan, cocréateur de ce « hit » nous parle de la création de « First Time » :

Shy Martin

Shy Martin

Quand j’étais jeune, on avait l’habitude de voler de l’alcool chez les parents de mon ami et nous allions boire près du chemin de fer qui courait le long de Windmill Road, à Dartmouth, où j’ai grandi.  Il y avait un parc en particulier où nous aimions aller et qui était près de chez moi. On appelait l’endroit Three Bump Hill parce qu’il y avait une butte à trois bosses — je sais, c’est vraiment original, n’est-ce pas?  C’est un endroit plein de nostalgie pour moi, à tel point que j’ai baptisé ma maison d’édition Three Bump Hill.

20 ans plus tard, première journée d’un camp de création organisé par Ultra Music Media/Ten Music, à Stockholm, en Suède.  On m’a jumelé à l’équipe de production allemande Hitimpulse ainsi qu’aux auteurs-compositeurs locaux Shy Martin et Fanny Hultman.  La chimie est instantanée et nous complétons notre première chanson en quelques heures à peine, puis nous décidons d’en écrire une autre — Dieu merci!  Hitimpulse lance le bal avec des accords vraiment cools tandis que Fanny et Shy proposent des mélodies intéressantes.  Il devient tout de suite évident que la chanson a une atmosphère nostalgique qui nous pousse à décider d’écrire au sujet de notre jeunesse ; l’amour, les peines d’amour, le sexe…

Ce fut une de ces séances de rêve où tout se passait sans effort et toutes les pièces s’emboîtaient parfaitement.  Pour les textes, je me suis inspiré de mes propres expériences, comme la phrase « getting drunk on the train tracks » (se saouler sur les rails) avec mes amis, ou « your dad’s black Honda was our Maybach » (la Honda noire de ton père était notre Maybach), ce qui reflétait vraiment comment nous nous sentions chaque fois que nous pouvions emprunter la voiture de mon ami.  Ç’a été vraiment cool de pouvoir utiliser des repères aussi personnels et de saluer Dartmouth au passage.

Une fois le camp terminé, nous sommes tous partis de notre côté.  Mais nous avions tous ce sentiment qu’il y avait quelque chose de spécial dans cette chanson, alors nous avons uni nos ressources et commencé à la soumettre un peu partout.  Hitimpulse l’aimait tout particulièrement et planifiait de la lancer sous leur propre nom et mettant en vedette Shy Martin.  Mais peu de temps après, Shy nous a envoyé un courriel nous disant que son gérant l’avait envoyée à l’équipe de Kygo et qu’il l’avait adorée.  Malgré cela, quelques mois se sont écoulés sans que nous n’obtenions de confirmation de Kygo qu’il allait la lancer. J’avais un peu perdu espoir, puis, lorsque je ne m’y attendais pas, j’ai reçu un appel de Patrick Moxey [fondateur et président d’Ultra Music Media], et voici exactement notre conversation : « Hey Patrick, quoi de neuf ? » « Hey Jenson, ç’a l’air que ta chanson “First Time” va être le prochain simple de Kygo et qu’il mettra en vedette Ellie Goulding. »

Patrick Moxey, fondateur et président d’Ultra Music Media, nous parle du travail en coulisses qui a mené à l’écriture de « First Time » et l’a placée entre les mains de Kygo :

Patrick Moxey

Patrick Moxey

Ultra tenait son camp d’écriture à Stockholm et nous avions accordé beaucoup d’attention à réunir les bons créateurs. Ultra avait envoyé Jenson pour participer à ce camp et j’avais rencontré Anna Cornelia, la gérante de Shy Martin, ainsi que ses producteurs. J’ai dit à Anna, « on devrait réunir Jenson et Shy Martin. » Tout a été coordonné par note équipe A&R au Royaume-Uni, Tracy Fox et Paul Arnold… L’équipe de Hitimpulse était, et ils font partie de l’écurie Ultra Records…

L’impulsion de base était toute simple : « Jenson est un excellent auteur, qui, en Suède, comprendra sa “vibe” ? Je me suis dit : Shy Martin. Ajoutez à cela les excellents producteurs que sont Hitimpulse. Nous avions là la bonne chimie, et celle chimie nous a donné “First Time”. »

C’est l’équipe de Shy Martin qui a envoyé le démo à Helen Helen [McLaughlin, alors directrice A&R] chez Sony Suède et qui travaillait avec moi et Kygo. Il a entendu la chanson, l’a adorée et le tour était joué. Hitimpulse aimait l’idée qu’elle soit enregistrée par Kygo avec leur coopération en tant qu’auteurs de la pièce. Elle a été créée, puis il y a eu un peu de va-et-vient : « Est-ce qu’elle sera lancée par Hitimpulse ? » Mais lorsque la possibilité qu’elle le soit par Kygo s’est matérialisée, Hitimpulse a trouvé que c’était une bonne idée. Tout s’est déroulé très naturellement et la chanson est devenue un « hit » qui a cumulé plus de 150 millions d’écoutes sur Spotify. Ç’a été un immense succès en soi et pour Jenson Vaughan.

C’est un incroyable travail d’équipe et il démontre bien une chose : en créant des chances, on crée de la chance. Si nous n’avions pas envoyé Jenson à Stockholm, s’il n’avait pas été jumelé à Shy Martin, si Hitimpulse n’avait pas fait le voyage depuis l’Allemagne… Chacune de ces choses a nécessité un peu d’efforts, et c’est ensemble que vous créez les chances que tout cela se produise.



Keith KounaOctobre 2017, Keith Kouna lance Bonsoir Shérif, brûlot incendiaire, où l’auteur-compositeur se fait plus corrosif que ce qu’on lui connait du passé, puisant au passage dans sa récente escale avec Les Goules qui lançaient Coma l’année précédente. Dans la foulée de sorties de l’automne dernier, le gravé ressort fièrement du lot comme le témoignage d’une époque trouble, d’un homme pris à témoin devant une société et sa communauté, qui semblent perdre les pédales : « Je pense surtout que j’ai fait l’album que je devais faire au moment où je l’ai fait. »

Principalement écrit entre les présidentielles françaises et l’élection américaine de 2016, Kouna clamait, à sa sortie, dans les pages du Devoir être intoxiqué aux médias sociaux et autres commentaires sur les tribunes de nouvelles « Ça me met en criss, mais de temps en temps j’y vais, j’ai besoin de constater que sérieusement, ces gens existent »

Qu’en est-il quelques mois après la sortie ? « Je suis un peu plus relaxe avec tout ça. J’aime bien prendre des breaks de leur existence. » Ceci, bien qu’il demeure lucide sur l’état des lieux : « Je pense qu’on vient d’embarquer pour un long mauvais rêve. Je pense qu’il y a une grosse fracture sociale, un totalitarisme doux et hypocrite. Et une indifférence générale. C’est des temps complexes et difficiles à cerner avec précision, mais les impressions et l’instinct restent assez sombres… »

Flirtant avec le tempérament excessif, le créateur s’imprègne du climat social dans une dynamique de « tout un, tout l’autre » : « Je peux être hyperabsorbé par l’actualité, par la création – comme je peux avoir de longs moments de flottements, de décrochage total. Je ne sais pas si c’est par survie, c’est probablement un contrepoids pour pallier mon manque de modération. »

Suivant cet état d’esprit, Kouna se décline sous plusieurs incarnations : tantôt à titre d’auteur-compositeur, tantôt leader des Goules, tantôt en train de repenser l’œuvre de Schubert (Le voyage d’hiver, 2013). Si l’ambition ne l’embête visiblement pas, il gère aussi parfaitement les lignes directrices qui s’entrecoupent : « Je sais assez rapidement vers quoi je me tourne pour tel ou tel projet et, dans le cas de Bonsoir Shérif, même si ce n’est pas un album émotif et personnel, ça reste une prise de position plus personnelle. Les Goules c’est un peu plus abstrait, plus narratif à la limite. La chanson Coat de cuir n’aurait pas rapport d’être chantée par Keith. Tout comme Poupée sonnerait weird avec Les Goules. Après, il y a l’état d’esprit… il n’y a jamais de tournant définitif. Cette fois-ci, j’avais sorti les Goules l’année d’avant, j’avais envie de rester là-dedans. Donc il y a des trucs qui se rejoignent. »

Cela dit, il tient à nuancer : « Je ne suis vraiment pas le gars qui est en mode écriture en permanence, je suis très glandeur par moments. Je me surprends encore ! Je fonctionne par rush, par pression, et un peu dernière minute. Comme là, ça fait un bout que je n’ai rien écrit pis je suis pas trop mal avec ça… Mais quand je suis là-dedans, je suis tout aussi excessif et obsédé, à en avoir de la misère à dormir. Et puis une chose est sûre, j’aime pas trop répéter les choses. »

Et ce, en se posant des défis qui l’entraînent à l’ouest et le gardent sur le fil, loin de la zone de confort qui peut venir avec une quelconque forme de succès: « Si je me lance dans des projets, quels qu’ils soient, c’est que j’en ai envie et c’est aussi un désir d’anti-carrière en quelque sorte. En faisant des croches, des pauses, ça dynamise le parcours. Il y a quelque chose d’anti-corpo là-dedans qui me va. Je pense que c’est bénéfique d’aller me promener ailleurs, de me forcer à prendre des angles différents. De composer dans une optique Goules, ou Schubert ou le prochain truc. »

Et si le musicien reprend la route en mode Shérif dans les prochains jours, et ce, pour l’essentiel de 2018, il commence déjà à plancher sur le successeur du projet. Bien sûr, il se fait plutôt discret puisqu’il en est aux balbutiements, mais on sait déjà que les ambitions peuvent s’approcher de celles du Voyage d’hiver… « J’ai des idées actuellement qui peuvent s’apparenter à des trucs aussi ambitieux et chiants que ça. C’est le fun de s’attaquer à des gros projets comme ça. L’expérience du Voyage a été tellement riche comme parcours. Je me relacerais dans un projet comme celui-là demain. »

Les plus ambitieux voyages – voici tout le mal qu’on lui (et se) souhaite pour la suite.