Bon nombre d’artistes doivent gérer des problèmes de santé mentale au quotidien. Mais peu abordent cette question avec autant d’ouverture et de franchise dans leur travail, et c’est pourquoi le plus récent album de Rae Spoon, intitulé Mental Health, est d’une telle puissance.

Mental Health est le 10e album de l’artiste de Victoria et il aborde avec franchise son combat avec les effets à long terme d’un traumatisme durant l’enfance, de l’appel du suicide, de l’insomnie et de l’incapacité à payer pour des médicaments. Les douces mélodies et la voix chantante de Spoon contrebalancent ses textes souvent déchirants.

C’est sans doute dû au fait que Spoon trouve du réconfort dans la créativité et le tissu social. « Vivre avec des problématiques complexes est le processus de toute une vie, et survivre à une autre journée peut représenter une victoire importante pour les gens qui ont des problèmes de santé mentale et d’autres problèmes », explique l’artiste. « Les communautés auxquelles j’appartiens ont vécu beaucoup de pertes, des gens qui n’y sont pas parvenus. C’est une de mes grandes préoccupations ces dernières années. Mais j’aime le fait que quand on raconte une histoire, on se fait ensuite raconter plein d’autres histoires. J’espère que si j’ouvre un dialogue à ce sujet, d’autres personnes ouvriront aussi un dialogue, car c’est vraiment important. »

« Pour moi, les chansons sont une façon de donner de l’espace aux autres dans la conversation. »

Au fil des ans, le son de Spoon est passé de folk country à pop électronique. C’est en partie en raison de l’endroit où Spoon habite. « J’ai grandi en Alberta, alors le country était partout autour de moi, même si je n’aimais pas vraiment ça », dit l’artiste. « J’ai déménagé à Vancouver et j’ai entendu le groupe The Be Good Tanyas, et c’est à ce moment que je me suis demandé quelles zones de mon histoire je pourrais explorer et intégrer en tant que personne trans. J’ai ensuite habité en Allemagne et à Montréal où j’ai rencontré des gens qui jouaient d’un ordinateur comme on joue d’un instrument, ce qui était totalement nouveau pour moi. C’était excitant de découvrir un environnement ou les adolescents avaient plus de chances d’apprendre à être DJ et à créer de la musique électronique que d’apprendre à jouer de la guitare électrique. »

« Malgré tout, j’ai toujours aimé une chanson au sens traditionnel du terme. J’aime utiliser tout ce qui est à ma portée. J’utilise des éléments de folk et j’aime les combiner à des éléments rock et électronique. »

Sur Mental Health, Spoon a fait appel à la batteuse Maya Miller du groupe The Pack A.D. et à la chanteuse et guitariste Becky Black pour accentuer l’aspect rock. Leur collaboration est née après une prestation au Artswells Festival en compagnie de Carole Pope. « On a tous appris trois ou quatre chansons du répertoire des autres et on les a jouées ensemble », dit Spoon. « Ç’a été amusant et ç’a donné forme à ma conception de cet album. Ç’a été une expérience très créative de collaborer avec elles. J’aime écrire un “riff” de voix et qu’un interprète le modifie ou qu’un guitariste y ajoute quelque chose en studio. »

« Blaring » a quant à elle été écrite et chantée en compagnie de Northcote, alias Matthew Goud. « Il a chanté lors d’un de mes spectacles et j’ai vraiment aimé la “vibe”. Cette chanson-là m’est venue bien avant les autres. On a utilisé une strophe que je voulais utiliser depuis des années : “I will love you until I don’t.” (je vais t’aimer jusqu’à ce que je ne t’aime plus) Ça sonne dur, jusqu’à ce que j’ajoute “or I still do” (ou que je t’aime encore). On a travaillé cette chanson ensemble et j’ai réalisé qu’elle s’inscrivait bien dans le contexte de Mental Health. »

Spoon écrit également des livres et a été le sujet d’un documentaire de l’Office national du film, en 2014, intitulé My Prairie Home au sujet de son passé difficile. Et même si son histoire est dure à raconter, Spoon se sent moins vulnérable lorsque la musique fait partie de l’équation.

« Les gens ont peur de parler d’eux – on parle toujours de nos problèmes de manière très générale. Pour moi, les chansons sont une façon de donner de l’espace aux autres dans la conversation, alors même si je me sens vulnérable, c’est cool d’avoir de la musique autour de nous. Je trouverais ça plus difficile d’écrire des histoires personnelles dans un livre. Ce que j’aime des chansons, c’est qu’on peut les jouer à n’importe qui est chacun vivra une expérience différente. Pas besoin de s’adresser à un auditoire spécifique pour que les gens ressentent une connexion avec la chanson. »