« Mon casier demeure toutefois envahi par les démos d’auteurs-compositeurs folk. Je ne sais pas si la tendance est imputable à la montée en popularité de concours comme La Voix et Star Académie, qui mettent l’emphase sur une seule personne, mais on semble traverser une période individualiste. Peut-être que les réseaux sociaux amènent aussi l’individu à croire davantage en lui-même, comme si les gens préféraient travailler en solitaire plutôt que de sortir jouer en gang. »

Mais au-delà de la quantité de démos rock reçus à CISM, c’est la qualité qui impressionne davantage Poirier. « Au printemps, le groupe Oktoplut est sorti de nulle part avec un solide premier disque (Pansements) qui possède sa propre identité sonore. Ça rock en tabarnouche. »

« Il y a encore beaucoup de concerts rock, punk et métal partout au Québec. » – Jessy Fuchs de Slam Disques

Pour Jessy Fuchs, le directeur artistique et président de Slam Disques qui a mis Oktoplut sous contrat, la scène rock québécoise n’a rien d’inquiétante. « Il y a encore beaucoup de concerts rock, punk et métal partout au Québec. Le Rockfest de Montebello bat des records d’assistance. Osheaga affiche complet chaque année. Il y a encore beaucoup de demande pour le rock. »

Directement de La Sarre en Abitibi-Témiscamingue, les membres de Lubik se disent même impressionnés par l’ouverture des spectateurs face à leur rock lourd et décapant. « À deux reprises cet été, nous avons joué dans des festivals plus familiaux, observe le chanteur Alexandre Picard. Nous avons même joué en après-midi, dehors, devant un paquet de familles, de poussettes et de grands-parents. On pensait que les gens allaient fuir en courant, mais non, ils sont restés et ont même dansé. »

« Tout ce qui manque à la présente scène rock québécoise, c’est une locomotive, poursuit Jessy Fuchs avec justesse. On parle parfois de Galaxie ou de Gros Mené, mais je persiste à croire qu’il n’y a pas de groupe phare comme l’ont été les Grimskunk, Vulgaires Machins ou Malajube. Ça peut donner l’impression que le rock se meurt, mais le bastion sous-terrain est encore très fort. Et tant que ça grouillera en dessous, la scène rock québécoise sera en santé. »

Les Trois Accords et Marie-Mai jouissent pourtant d’un succès populaire tout en misant sur l’énergie rock. « Oui, mais ils ne sont pas représentatifs d’une scène fougueuse et à contre-courant, rétorque Fuchs. La majorité des jeunes rockeurs ne s’identifient pas à Marie-Mai. C’est comme en France, on ne mesure pas le pouls de la scène rock française en se basant sur le succès de Johnny Hallyday. »

L’ancien membre d’eXterio et maintenant chanteur-guitariste de Rouge Pompier va encore plus loin. « C’est certain qu’ils sont contents lorsque leur pièce joue à la radio commerciale, mais pour bien des rockeurs, le succès populaire n’est pas un objectif. Ils ont trouvé leur niche dans l’underground, l’Internet et les concerts à petite échelle. La scène rock est devenue auto-suffisante et ne cherche plus à accéder aux grandes sphères de l’industrie. »

Et si la clé du succès résidait justement dans cette indépendance? Après tout, la majorité des révolutions musicales sont nées alors que les artistes évoluaient en marge des courants commerciaux. « Lorsqu’une scène n’attend plus après la grosse industrie pour se développer, les musiciens ont tendance à trouver leur propre personnalité, conclut Benoît Poirier. Ils ne cherchent plus à imiter les courants à la mode et explorent davantage. Ça crée une diversité qui, dans ce cas-ci, pourrait bien ramener le rock à l’avant-plan. » Qui rockera verra.