Si le contexte dans lequel on évolue depuis quelques semaines appelle un certain retour aux choses simples, P’tit Belliveau, lui, avait déjà les deux pieds fermement ancrés dans une ère calme, un endroit où l’on ne se complique pas la vie. Son premier album Greatest Hits Vol. 1 aborde la vie rurale et décrit les bribes du quotidien quand on ne s’en fait pas trop.

P'tit Belliveau« Ça fait quasiment un an que l’album est fini et je travaillais en construction quand je composais les chansons, explique P’tit Belliveau. L’album parle beaucoup de ma vie à La Baie-Sainte-Marie, de la façon de vivre là-bas. Je parle de la nature, de la vie simple et du travail. »

Jonah Guimond, de son vrai nom, nous parle de chez lui comme on parle d’un ami. La Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, est connue pour sa communauté acadienne presque entièrement francophone tissée serrée autour des rituels musicaux, entre autres. « Le fait que je chante comme on parle là-bas, c’est un effet secondaire que j’aime, mais c’est pas mon but. » Si vous le questionnez sur son appartenance linguistique, Jonah vous dira qu’il est surtout « acadjonne ». « Je suis fier de pouvoir montrer ça à du monde, et je mets des sous-titres pour que les gens puissent comprendre. C’est un happy result. Je ne sais pas de quelle autre façon je pourrais parler. Je ne peux pas écrire un album en québécois ou en français international. »

La musique lui a poussé dans le corps comme une seconde nature, mais une nature commune. « D’où je viens, tout le monde fait de la musique. Les gens ont toujours un piano ou une guitare dans le closet. Mon step dad et sa famille sont vraiment dans le bluegrass. Quand t’es petit, t’es quasiment turned off par la musique de tes parents. J’ai donc essayé les guitares électriques, du producing, des beats », se rappelle Jonah en soulignant que c’est en recevant un banjo de son grand-père qu’il s’est donné le droit d’embrasser les racines familiales.

C’est ce printemps, un an après sa participation à la finale des Francouvertes, que P’tit Belliveau voulait sortir son album. Peu importe la situation, il ne vit pas dans les « what if ». « Je ne voulais pas faire attendre le monde. Anything a le potentiel d’être une opportunité ou une perte. On avait un plan, faut changer le plan, croit-il. On aurait pu regarder le négatif et se dire qu’on n’aurait pas de show, mais là les gens ont beaucoup de temps pour écouter de la musique. Je ne voulais pas m’assoir la tête dans les mains. J’ai déjà des idées pour la suite. C’est mon premier disque. J’ai pas de standards de ce qui est normal. »

Pour Jonah, c’est la musique qui vient en premier, dans la vie comme dans la composition. « Je vais faire l’instrumental au complet, en prenant même un instrument qui va simuler la voix, et je vais penser à des lignes une à la fois, bien après. C’est rare que j’écrive les textes sans la musique. En général j’écoute le beat over over over again et j’écris les mots ensuite. » Ce n’est que dans un camp d’écriture à Tadoussac, qu’il a écrit hors de sa zone, sans la musique, L’eau entre mes doigts et Moosehorn Lake.

Le confinement n’est pas un terrible moment à passer pour Jonah qui vit maintenant à Moncton au Nouveau-Brunswick. « Quand je suis dans la maison, je suis dans mon studio anyways, je travaille sur mes trucs anytime. Ma vie n’est pas vraiment différente de celle que j’avais cet hiver. C’est same old pour moi. Un extra long hiver. »

Pourquoi commencer sa carrière avec un Greatest Hits? « Je trouvais ça drôle », lance simplement Jonah, rappelant aussi que l’éclectisme de son assemblage de chansons est propre à un album de meilleurs succès. P’tit Belliveau ne craint pas de se lancer dans toutes les directions avec la même énergie. « Dans mon studio, avant ce projet-là, je faisais de l’électro et du hip-hop, dit-il. En ce moment, je fais seulement des beats pour m’entraîner, je les garde quand je les trouve plus raffinés. » Ce qui arrivera ensuite est encore flou. « Peut-être une vibe plus folk. Je suis pas sûr si c’est bon ou mauvais, mais en ce moment, c’est ce qui sonne bien chez moi. »

Dans la cohue silencieuse des jours qui ne ressemblent à rien, Jonah souhaite que sa musique se dépose comme un état de calme. « Je peux pas m’imaginer être stuck dans un appartement à Montréal et vouloir être en forêt », avoue-t-il en précisant que, ultimement, le projet avait pour but de sortir les gens dehors, en nature… musicalement.

« Je voudrais que le monde y trouve une miette de confort et oublie le stress, conclut P’tit Belliveau. Si t’es sad et que tu peux te reminder qu’on peut retourner à plus simple, hopefully on pourra s’envisager dans un ailleurs qui a du bon sens. »



Maky Lavender«Il y aura autant des chansons entraînantes, qui pourraient être des intros d’épreuves aux Jeux olympiques, que des trucs plus sales à la DMX», nous disait Maky Lavender en janvier 2019 à propos de son prochain projet. Près d’un an et demi plus tard, le rappeur originaire du quartier Pierrefonds à Montréal se félicite d’avoir trouvé les mots justes pour décrire cet album qui, à ce moment, n’était encore qu’un EP embryonnaire. « Wow ! J’me rappelle pas avoir dit ça, mais ça le décrit tellement bien. C’est fou ! »

Prévu pour l’automne dernier, …At Least My Mom Loves Me est finalement paru le 29 février 2020 sous le label montréalais Ghost Club Records. « Souvent, les rappeurs sortent tout ce qu’ils ont dès que c’est enregistré, mais on a préféré prendre le temps qu’il faut pour polir le projet. Si une chanson n’était pas assez bonne, on allait chercher quelqu’un d’autre pour l’améliorer », explique-t-il, référant notamment aux chanteuses Sophia Bel et Brighid Rose, aux rappeurs Speng Squire et Zach Zoya ainsi qu’aux producteurs Lust, Yuki Dreams Again, Dr. MaD, JMF, Max Antoine Gendron et Rami B.

Même si la crise sanitaire a eu raison de son spectacle de lancement, le rappeur de 24 ans se dit plus que satisfait du rayonnement de son premier album jusqu’à maintenant. « Normalement, j’aurais dû être triste [que le buzz soit passé aussi vite], mais je trouve que le reset qui se passe dans la société est plutôt bénéfique pour tout le monde », dit-il, jugeant que le propos de ce premier album qu’il dédie à sa mère est en phase avec le climat social actuel. « C’est sûr que je devais faire plein de shows, pleins de festivals, mais là, j’ai juste pas le choix de relaxer, enfin ! C’est le temps de faire les choses que je devais faire quand j’étais jeune comme prendre des marches, jouer à la Nintendo Switch, prendre du temps pour parler à mes parents… »

Le temps est un thème central d’…At Least My Mom Loves Me. Ce temps qui passe trop vite et qui, par conséquent, nous pousse à accomplir de grandes choses ou, au contraire, nous paralyse. Longtemps, c’est la deuxième option qui a eu mainmise sur Maky. « Quand j’avais 16-17 ans, j’avais tendance à me trouver loser, car j’avais encore rien fait dans la vie. Je voyais des amis finir le cégep et je me disais : ‘’mais qu’est-ce que je vais faire, moi ?’’ J’étais un fan de hip-hop, j’allais voir plein de shows et j’étais à la fois ébloui et paralysé par tout ce qui se passait. Dans ma tête, ceux qui étaient sur le stage, c’étaient des robots. C’était impossible pour moi de me rendre là. »

Mais au lieu de cultiver son anxiété, Maky Lavender s’est servi de ce stress pour guider ses ambitions. En 2017, il a commencé par le début, c’est-à-dire en autoproduisant un premier spectacle dans son quartier (le West Island Nite Show à la salle Pauline-Julien). « Tout le monde essayait de me décourager de le faire, car il ne se passait jamais rien dans le West Island, mais pour moi, c’était important de conquérir le quartier avant de le faire avec la ville. Peu après, j’ai lancé Blowfoam 2 (la mixtape qui l’a révélé sur la scène locale) et je suis parti downtown pour faire de la musique. Je pouvais pas apprendre comment la business marchait en restant à Pierrefonds ! »

Récit de cette période de découvertes urbaines et de révélations personnelles, …At Least My Mom Loves Me témoigne d’une transition sinueuse entre l’adolescence et l’âge adulte. Une transition racontée avec sincérité, autodérision et humour, mais surtout avec une bonne dose de vantardise, héritée de la tradition brag rap américaine. « L’attitude vient souvent avec ce genre de musique. Et elle m’a aidé [dans mon parcours]. Quand j’étais petit, on se demandait tous qui allait être le ‘’Montreal guy’’, celui qui représente la ville à l’international. Y’avait Céline Dion et Saku Koivu qui jouaient un peu ce rôle, mais rien de si évident. À un certain moment, j’ai décidé que ça pouvait être moi, ce gars-là. »

« Ça a souvent été comme ça dans ma vie : on a cru en mon talent bien avant moi. »

Et à l’instar de quelques-uns de ses artistes préférés (Jay-Z, Vince Staples, Tupac), cette confiance exacerbée vient avec son revers de médaille. Premier extrait de l’album (imagé par un percutant clip d’Alexandre Pelletier), Bloom incarne bien le côté plus vulnérable de Lavender. « Je voulais être honnête par rapport à moi, à ma jalousie, à mes envies. Y’a plein de choses qui marchaient pas dans ma vie, mais hopefully, je savais que tout ça allait me mener vers quelque chose de mieux. »

Comme de fait, la chanson a aidé Lavender à croire en lui. « Pour moi, c’était juste une chanson parmi tant d’autres, mais plus les gens de mon entourage l’entendaient, plus je comprenais qu’à leurs yeux, c’était peut-être la meilleure chanson que j’avais faite jusqu’à maintenant. Ça a souvent été comme ça dans ma vie : on a cru en mon talent bien avant moi. »

Créé sur une période de deux ans, …At Least My Mom Loves Me a d’ailleurs bien failli ne jamais voir le jour. « Après quelques mois, je me suis découragé. Je me suis assis avec des gros labels d’ici pour faire un partenariat avec Ghost Club, mais ça n’a rien donné… C’est rough de faire du hip-hop anglophone au Québec ! » juge-t-il. « Mais je me suis dit que ce serait stupide de ne jamais sortir ce projet-là pour une raison qui ne m’appartient pas. J’ai choisi de me battre pour cet album. »

Et pas question d’attendre deux autres années avant de livrer du nouveau matériel. Entre une marche, une session de Nintendo Switch et une discussion avec sa mère, Maky Lavender finalise actuellement une nouvelle mixtape. « Peut-être quelque chose comme un Blowfoam 3 », prévoit-il. « L’album, c’était cool à faire, mais là, je veux y aller moins clean, plus gritty, plus énergique… À la DMX ! »



Ça ne s’entend pas aux premiers abords, surtout à l’écoute de Uebok, un titre en russe écouté près de 2 millions de fois sur YouTube, mais Apashe vit et travaille à Montréal. C’est depuis son studio du Mile-End qu’il a composé Renaissance, un album électro orchestral enregistré à Prague avec un ensemble de 65 musiciens.

ApasheJohn De Buck alias Apashe est un cas à part. Né en Belgique de parents francophones qui ont fait le choix de l’inscrire à l’école en néerlandais, le producteur trilingue a suivi une formation en électroacoustique à l’Université Concordia avant que sa carrière n’explose. À ce jour, il a prêté sa musique à des campagnes de Budweiser, Adidas et Samsung. Des franchises comme Marvel et Fast and Furious ont aussi eu recours à ses services.

En entrevue dans les bureaux de Kannibalen Records, le label local qui abrite également Black Tiger Sex Machine, De Buck s’avère en fait l’antithèse de sa proposition sonore, des chutes abruptes qui suivent ses montées en puissance, ses crescendos frénétiques. C’est un gars calme, affable.

La recette de son succès ? Suivre son instinct. « Avec mon équipe, ça s’est toujours passé de manière assez organique. On fait de la musique, on la sort sur internet et puis on voit ce qui se passe. Ça a grossi de manière vraiment naturelle en fait, on n’a jamais trop cherché à pousser ça. C’est juste que là, on arrive à des projets qui sont devenus tellement immenses ! »

Immenses ? Le mot pourrait difficilement être plus juste. Rares sont les membres SOCAN qui verront leurs partitions interprétées par toute une horde d’instrumentistes chevronnés et depuis le Dvořák Hall de Prague. Après avoir séduit la planète dub step et les publicitaires, Apashe s’est qualifié pour une subvention substantielle, sa toute première en carrière.

« Jusqu’ici, j’ai toujours été 100% indé. On avait tellement l’habitude de tout faire tout seuls que là, si on nous donne des moyens, on est comme ‘’yo, let’s go all out!’’. Sans l’aide de Factor, je n’aurais pas eu la chance d’avoir l’orchestre. Je leur dois ça. »

Déjà, on le savait capable de créations réellement épiques et près du monde de l’opéra. Cette fois-ci, cependant, ce n’est pas un concerto de Mozart qu’il remixe. Ce sont ses propres créations. « En grandissant, j’ai écouté beaucoup de musique classique, les grands compositeurs et tout ça. Maintenant, je commence à découvrir les compositeurs plus obscurs, moins connus. J’ai beaucoup écouté de trames sonores de films et, en grande partie, c’est des compositeurs qui sont classically trained et qui travaillent avec des orchestres. Des Daniel Hoffman, des Philip Glass ou même un Hans Zimmer. […] On me dit tout le temps que je fais de la musique cinématographique et quand j’essaie de faire autre chose, je n’y arrive tout simplement pas. »

Depuis longtemps, on lui connaît un goût pour les cordes, mais surtout pour la musique sacrée. Des chœurs inquiétants et trafiqués à toutes les sauces qui ajoutent une dose d’intensité à ses pièces. « Je sais pas exactement d’où ça me vient, c’est vraiment bizarre. C’est juste que j’aime les choses qui sont grandioses et surnaturelles. Comme la bass music ! C’est heavy et très grand, à l’image de la musique classique. C’est pour ça que je veux mélanger les deux. »

Un penchant pour le drame qui ne l’empêche pas de flirter avec le hip-hop et comme lorsqu’il collabore avec Instasamka. Une rencontre improbable en apparence, mais qui n’était pas moins écrite dans le ciel. « Je voulais trouver une Russe pour rapper sur la mélodie de The Little Birch Tree, une chanson folk très connue dans les pays de l’Est. J’ai demandé à mes contacts là-bas et on me l’a recommandée. On m’a dit que c’était plus une humoriste et une  influenceuse, mais qu’elle avait dropé un album de feu. J’ai écouté ce qu’elle faisait, j’ai trouvé ça parfait. J’ai écrit à son manager et elle connaissait ma chanson No Twerk parue en 2014. Elle a dit oui tout de suite. En l’espace d’une semaine, tout s’est fait. »

Tourné entre sa participation au Sziget Festival de Budapest et un concert à Nizhny Novgorod, le vidéoclip s’articule autour des grands stéréotypes russes. Balade en char d’assaut, séance de chasse torse nu (façon Vladimir Poutine), rencontre avec un ours… Les images qui accompagnent Uebok permettent à Apashe de verser dans le comique, l’autodérision. Ce n’est pas parce qu’il aspire à l’excellence et au magistral qu’il s’enfle la tête pour autant.