L’une des strophes du nouveau simple du groupe punk torontois PUP intitulé « Free at Last » dit (librement traduit) « tu n’es pas spécial juste parce que tu es triste encore une fois ».

Cette phrase assassine vise toute une génération. C’est le hara-kiri des « flocons de neige » milléniaux et de toutes leurs préoccupations, que ce soit la santé mentale, l’environnement, la montée du fascisme, le manque d’emplois intéressants, les manigances des un pour cent, et de toute une flopée d’excellentes raisons d’être triste.

Sauf que dans le cas de PUP, c’est un peu un mensonge. C’est que, voyez-vous, les membres de PUP — Stefan Babcock (voix, guitare), Nestor Chumak (basse, voix), Zachary Mykula (batterie, voix) et Steven Sladkowski (guitare, voix) — sont spéciaux, car leurs chansons intensément personnelles captent parfaitement les turbulences qui accompagnent la vie de tous les jours dans notre monde.

Leur succès qui ne se dément pas en est la preuve. Formé à Toronto il y a cinq ans, PUP est rapidement devenu un chouchou de la scène punk grâce à ses deux premiers albums encensés par la critique du New York Times à Pitchfork en passant par NPR et Rolling Stone. Le dernier album, The Dream Is Over a fait son entrée au palmarès Heatseekers de Billboard en première position en plus de lancer le groupe sur la scène internationale où il a tourné à guichets fermés tout au long de 2016. PUP a également remporté le SOCAN Songwriting Prize 2017 et sa bourse de 10 000 $ grâce à sa chanson « DVP ».

Leur troisième et plus récent album, Morbid Stuff poursuit dans la même veine spécialement triste avec 11 chansons d’observations acerbes au sujet de l’anxiété et du désespoir. C’est tout particulièrement une fenêtre ouverte sur l’âme de Babcock, une exploration de ses périodes de dépression, ses chagrins, son angoisse existentielle et de la difficulté inhérente à trouver sa place dans notre monde. C’est également un virage pour PUP. L’album précédent, The Dream Is Over s’articulait autour de graves problèmes de santé qui auraient très bien pu forcer Babcock a arrêter de chanter et entraîner la fin du groupe. Paradoxalement, l’aspect intensément introspectif de Morbid Stuff lui confère un caractère plus universel. Quiconque a déjà ressenti une émotion de manière plus profonde se verra dans ces chansons.

Et s’il y a quelqu’un de qui l’on peut affirmer qu’il est hypersensible au monde qui l’entoure, c’est bien Babcock.

« C’est réellement un truc que j’ai remarqué à mon sujet », explique Babcock, en compagnie de Mykula dans un café de l’ouest de Toronto. « C’est ma mère qui me l’a fait remarquer. Elle m’a dit “c’est toujours la fin du monde pour toi”, et force est d’admettre qu’elle a raison. Même quand les choses vont bien, j’ai tendance à me créer des problèmes, ce qui peut être très difficile pour les membres du groupe et ma copine. »

Néanmoins, toutes ces choses morbides qui l’animent sont d’excellentes sources de matériel pour des chansons. Son style d’écriture est bourré de phrases qui font d’excellents slogans à graver sur un bureau ou à écrire au crayon-feutre sur un t-shirt. Par exemple, le simple « Kids », une chanson d’amour nihiliste, et sa strophe « I don’t care about nothing! » (très librement, je ne me fous de rien !). « Scorpion Hill » porte sur les pensées noires et la perte de contrôle sur sa propre vie et il y chante les strophes « If the world is gonna burn / Everyone should get a turn to light it up » (Si le monde entier doit brûler/ Nous devrions tous l’allumer un à un). La pièce quasi metalcore « Full Blown Meltdown » résume bien la situation : « I’m still a loser and always will be/So why change now? » (Je suis et serai toujours un loser/ Alors pourquoi changer ?)

Don Valley Days

PUP a remporté le Prix de la chanson SOCAN 2017 pour sa chanson « DVP ». La chanson, tirée du deuxième album du groupe, The Dream Is Over, relate un épisode de conduite avec facultés affaiblies le long de la Don Valley Parkway, l’autoroute centrale qui se rend en plein cœur de Toronto. Stefan Babcock du groupe PUP nous parle de Don Valley.

Au sujet de la chanson
« Ça n’est pas une chanson appropriée pour les grands-mamans, selon mes parents. Ils n’enverraient pas cette chanson à ma grand-mère. »

Au sujet de faire du rafting sur la Don Valley Creek avec sa sœur dans sa jeunesse et d’y être tombé.
« Nous avons tous deux eu une éruption cutanée sur tout notre corps après ça. Et bien entendu, cette eau vous donnera automatiquement une conjonctivite. J’ai plein de bons et de mauvais souvenirs au sujet de Don Valley. »

Au sujet de la bourse de 10 000 $ du SOCAN Songwriting Prize
« Nous avons été totalement surpris et honorés qu’une chanson aussi stupide l’emporte… Nous en sommes très reconnaissants. »

À l’écoute de « Full Blown Meltdown », sans aucun doute la pièce la plus lourde et la plus frénétique de Morbid Stuff, on comprend que même si Babcock peut être lourd pour les autres membres du groupe, ils savent néanmoins comment enrober et mettre en valeur ses paroles. La pièce sonne réellement comme une personne qui s’effondre mentalement.

« Cette chanson, c’est de la rage pure », explique Mykula. « Les paroles de cette chanson sont vraiment agressives et désobligeantes, et nous avons insufflé ça dans la musique aussi. »

Ça permet à Babcock d’écrire des paroles qui sont réellement honnêtes.

« Elles sont totalement basées sur la vraie vie et des expériences personnelles », explique le chanteur. « Il n’y a pas de comparaisons, de métaphores ou de trucs du genre. Je dis ce que j’ai à dire de la manière la plus directe possible. »

Arriver à distiller toute cette introspection jusqu’à son essence pure est loin d’être un processus qui va de soi. Ça exige énormément d’autorévision.

“Ça n’est pas comme si tout ça sortait de moi sans effort ”, dit Babcock. « Au départ, les paroles n’ont aucun sens, mais je sais ce que j’essaie d’exprimer. Je commence par les mélodies, et je sais ce que le thème de la chanson sera, mais je ne sais pas encore quoi dire. Je ne suis vraiment pas clair et précis. Pendant les premiers mois d’une chanson, les mélodies sont exactement ce qu’elles seront au final. Les paroles ne le sont pas, et je suis constamment en train de me demander comment je vais arriver à dire ce que je veux dire sans que ce soit du charabia. Je trouve vraiment plus fort sur les paroles que sur quoi que ce soit d’autre — écrire des mélodies, ça me vient tout seul, mais pas écrire des paroles. »

Pas facile, donc, d’en arriver ici. Lorsqu’il est en période d’écriture, Babcock quitte souvent la ville pour reprendre contact avec la nature. Ce qui n’est parfois pas sans risques. C’est ce qui explique que les références à la nature dans les chansons de PUP portent plutôt sur les eaux vives et des réservoirs répugnants que sur de magnifiques levers de soleil.

« Je suis passé proche de la mort en pleine nature à plusieurs reprises », affirme Babcock qui peut vous raconter avec moult détails la fois où lui et sa sœur sont devenus prisonniers d’une vallée enneigée du cap Horn, au Chile, sans nourriture. « Les compétences de survie et la culture “survivaliste”, ça me branche, alors que je te parler de camping, je ne parle pas d’aller camper en voiture. Je parle de me retrouver au beau milieu des Territoires du Nord-Ouest, complètement seul. »

« On est entouré d’une beauté pure, mais la plupart du temps, on s’est retrouvés dans des situations complètement catastrophiques dont on ne pensait pas se sortir. »

Tromper la mort ? Aventures en solo. Introspection profonde ? Il y a certes une part de tristesse dans tout ça, mais c’est ça, la vie, et ça, c’est spécial.