Avant de devenir l’un des DJ canadiens les plus connus, Charlie B était enseignant à la maternelle. Aux petites heures, il « spinnait » ses tables tournantes dans un club ou en studio pour travailler avec les prochains grands noms à s’exporter de la grande région de Toronto comme Tory Lanez ou Preme (anciennement connu sous le nom de P Reign). Mais le jour, il apprenait à 30 petits écoliers comment écrire leur nom.

« C’est fou, parce qu’à cette époque, P Reign lançait une chanson avec Drake », dit Charlie B. « On a attendu tellement longtemps pour essayer d’obtenir cette chanson, tellement d’heures en studio à travailler super dur. P Reign a finalement eu la chanson avec Drake, c’est le week-end de la fête du Travail et je dois rentrer au travail le mardi matin. Me voilà en train d’apprendre aux enfants comment marcher en file bien droite pendant que cette chanson vient d’être lancée. » Bien que Charlie, né Ajay Saxena, ait continué à jongler avec l’enseignement et la musique pendant trois ans, c’est en 2016 qu’il a décidé de faire le grand saut et de se consacrer à la musique à plein temps.

Depuis, il a fait le tour du monde et a travaillé avec des stars du hip-hop comme Cardi B, Rick Ross et DJ Khaled, qu’il cite comme un mentor. Plus récemment, Charlie a sorti son premier album complet, Across the Board, qui met en vedette des talents torontois triés sur le volet. « Je travaille sur cet album depuis deux ans », dit-il. « C’est ma perspective sur le talent qu’on trouve dans notre ville. J’ai eu la chance de travailler en studio avec tous ces artistes. On a créé ces enregistrements ensemble, collectivement. Je suis super fier du résultat final. »

Pour Charlie, les séances d’enregistrement en personne ont été cruciales pour la création de son album. « J’étais vraiment catégorique que les artistes viennent au studio et que nous construisions la chanson ensemble », dit-il. Je leur expliquais le concept et la vibe que j’avais en tête. Je leur faisais écouter des « beats » créés par mes producteurs et j’étais essentiellement le producteur délégué des chansons. »

La patience a aussi joué un rôle clé dans son processus créatif. Si une chanson ne lui donnait pas tout à fait la saveur qu’il cherchait, il ne tentait pas de forcer les choses. C’est cette approche qui l’a aidé, en compagnie du rappeur du quartier de Driftwood Pressa, à écrire l’irrésistible simple « Glitch ».

« Pressa et moi on était à L.A. pour travailler sur notre musique, mais j’avais l’impression qu’on n’avait pas encore trouvé ce qu’on cherchait », dit M. B, « et je voulais prendre mon temps. C’est pas parce que t’es enfermé dans un studio avec un artiste que tu vas en ressortir avec l’enregistrement que tu veux le jour même. Ça ne marche pas comme ça. »

Les astuces du prof

Enseignant un jour, enseignant toujours, Charlie a trois astuces pour les aspirants rappeurs.

  • « N’arrête jamais de réseauter. Tu vaux autant que ton réseau (jeu de mots, en anglais il dit “Your network is obviously your net worth”). Continue à lui faire prendre de l’expansion. »
  • « Soit constant. N’abandonne jamais. Fonce! »
  • « C’est super important d’avoir de bons mentors et de bons coachs de vie dans ton coin pour te guider. Je pense vraiment qu’on a tous besoin de ça dans la vie. »

L’étincelle créative dont ils avaient besoin allait s’allumer des semaines plus tard, le week-end de l’anniversaire de Charlie. Pressa et lui étaient aux Quad Studios, le légendaire espace d’enregistrement de Times Square qui a été utilisé par tout le monde, de Mariah Carey à Jay-Z, un changement d’environnement qui a permis à toutes les pièces de se mettre en place. « On est à New York, au Quad, et c’est mon anniversaire », se souvient Charlie. « J’ai dit “allez, on essaie”. On a sorti une bonne chanson et on était tous très contents du produit fini. Et c’était dans un studio légendaire, ce qui est encore plus cool. »

Surnommé « M. Canada », Charlie avait pour objectif, avec Across the Board, non seulement de mettre Toronto en vedette, mais de mettre en lumière les possibilités qui s’offrent aux artistes locaux. « Je veux faire vivre des expériences à ces “kids” », dit-il. « Si on peut faire quelque chose pour que ces “kids” croient qu’ils peuvent sortir de la rue, c’est la chose la plus importante pour moi. J’adore voir les “kids” de Toronto vivre leur passion et réaliser leurs rêves. Il n’y a rien qui me rend plus heureux que les voir monter sur scène pour prouver ce qu’ils sont capables de faire. »

 



Comment se bâtit-on une carrière musicale couronnée de succès? Pour l’auteur-compositeur et producteur Chester Krupa, 25 ans, dont le travail a été écouté plus d’un milliard de fois sur les plateformes de diffusions en continu, la route vers le succès était pavée de flexibilité et d’ingéniosité. Dès qu’il a commencé à créer des « beats » pendant sa première année à l’université, il a aussi commencé à les envoyer à des collaborateurs potentiels. « Je contactais les gens à froid, je me démenais et j’essayais de tisser des liens », se souvient-il.

Ce penchant pour la recherche et la mise à profit de toutes les opportunités qui se présentaient l’a finalement amené à collaborer avec grandson, l’auteur-compositeur-interprète de rap/rock/dance engagé qui a connu un immense succès populaire et critique. Ce partenariat lui a ouvert des portes autrefois impensables : travailler avec une légende comme Travis Barker ; produire la chanson « Rain », qui figure dans Suicide Squad 2 ; placer son travail dans le film Fast and Furious, dans la série originale Netflix Riverdale et des placements publicitaires pour Marvel, Mercedes Benz, UFC, Taco Bell, Microsoft et Air Canada ; en plus de remporter le volet anglophone du Prix de la chanson SOCAN et sa bourse de 10 000 $ en 2019… La liste continue de s’allonger.

Encore incertain de la voie qu’il voulait suivre après avoir terminé le secondaire, Krupa s’est inscrit au programme General Media Arts de la Toronto Metropolitan University (anciennement Ryerson University). Il était souvent appelé à réaliser et mixer des enregistrements pour des travaux pratiques dans ses cours, ce qui a éveillé son intérêt pour l’ingénierie audio – et par extension, la production musicale. Il a commencé à produire régulièrement des « beats » en dehors des cours et à les envoyer à des artistes locaux et à des Youtubeurs. Au bout de quelques mois à peine, il créait de la musique pour l’un des Youtubeurs les plus populaires au monde, Casey Neistat.

« C’était malade », raconte Krupa. « J’étais fan de ce qu’il fait et à cette époque, il était sur le point de commencer à faire ses vlogues quotidiens. J’ai vu son adresse courriel sur son site Web et je lui ai proposé de créer des “beats” pour lui. Il a dit oui et m’a demandé de lui envoyer des trucs. J’ai commencé à lui envoyer 10 ou 15 morceaux par semaine et ils les utilisaient dans chacune de ses vidéos. »

Pendant ce temps, Krupa continuait de contacter des artistes de Toronto et collaborait avec eux. Son premier grand succès est arrivé lorsqu’un artiste avec qui il collaborait à ce moment-là, Blaise Moore, a été mis sous contrat par Interscope. « J’essayais d’en tirer parti quand je me présentais aux gens », dit Krupa, « et c’est comme ça que j’ai rencontré mon gérant. »

“Je touche vraiment à tout, je n’aime pas rester à la même place trop longtemps”

Sa nouvelle gérance, Prim8 Music, représente aussi grandson et elle a réuni les deux artistes. « Il m’a dit qu’il avait une chanson qu’il n’arrivait pas à produire à son goût et m’a demandé si je voulais m’essayer », explique Krupa. La chanson en question était « Blood//Water », la deuxième chanson de grandson la mieux classée sur les palmarès à ce jour. Pour son travail sur ce titre, Krupa a été co-lauréat du Prix de la chanson SOCAN 2019 aux côtés de grandson et de son producteur de longue date Kevin Hissink. Depuis, Krupa travaille régulièrement avec le chanteur rock/rap, incluant sur son plus récent album finaliste aux JUNOs 2022, Death of an Optimist.

La majorité du travail de Krupa se fait à distance en échangeant des « stems » et des idées avec Hissink par courriel et messagerie vocale. Il croit qu’il a beaucoup grandi en tant que producteur depuis qu’il travaille avec grandson. « Je n’avais jamais produit de rock avant de travailler avec lui », explique Krupa. « Je plongeais la tête première et j’essayais de tout comprendre en cours de route… Les gens arrivaient avec plein de genres différents pour son projet – rock, hip-hop, électronique – pour mélanger tout ça. Ç’a été une expérience très cool, on essayait absolument tout jusqu’à ce que quelque chose fonctionne. »

Pendant qu’il travaillait avec grandson, Krupa a également réalisé des productions pour d’autres vedettes comme Jessie Reyez, Ke $ ha et l’un de ses artistes préférés dans sa jeunesse, Travis Barker. « J’ai grandi en écoutant Blink 182 alors recevoir des “stems” de batterie de Travis Barker c’était complètement malade », dit-il. « J’ai eu la chance de travailler avec plein de monde cool, de nouvelles perspectives et j’ai appris plein de nouveaux trucs. »

Le reste de l’année 2022 a encore plein de projets en réserve : de nouvelles chansons avec grandson à paraître bientôt ainsi que des projets avec des artistes très en vue comme Quavo, Jason Derulo et Swae Lee. Sans compter qu’il travaille sans relâche sur un projet solo.

Récemment, Krupa a commencé à explorer la production pop et dance, en plus de créer des chansons spécialement pour des émissions de télé et des pubs. Quoi qu’il en soit, ce qui est le plus important pour lui, c’est de prendre des risques. « Je touche vraiment à tout », dit-il. « Je n’aime pas rester à la même place trop longtemps. Passer constamment d’un genre à l’autre aide à garder tes compétences à jour. »



L’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM) profite des Francos pour donner de coup d’envoi à ses activités visant à souligner son 20e anniversaire. Le 15 juin, l’association proposera deux tables rondes, une première sur son historique avec l’un de ses fondateurs, Daniel Lafrance (Éditorial Avenue) et la seconde prospectant sur l’avenir de l’édition musicale au Québec, avec Diane Pinet (Édition Bloc Notes), Odette Lindsay (Third Side Music), Yao (Intello-Production) et Marie-Ève Rochon (Bonsound).

APEM, 20th AnniversaryPour l’actuel directeur général de l’APEM Jérôme Payette, « c’est l’occasion de parler de ce qu’on fait à l’association, de ce que nous incarnons en tant que regroupement collectif visant l’essor de l’industrie musicale d’ici, ainsi qu’une manière de souder la communauté d’édition musicale en promouvant nos démarches visant à animer notre communauté en favorisant la rencontre et le réseautage. On veut aussi rejoindre les centaines de personnes qu’on a formées au fil des ans et poursuivre notre promotion de bonnes pratiques [dans l’industrie] à travers nos ateliers, nos conférences et les modèles de contrat que l’on propose. »

L’association, qui estime aujourd’hui représenter la grande majorité des intervenants du secteur de l’édition musicale au Québec, marque le coup au moment où le milieu connaît d’importants bouleversements dans une industrie dont les pratiques et les opportunités d’affaires doivent suivre l’évolution des mœurs et des technologies. « Il faut souligner l’importance des démarches collectives que nous menons, insiste Jérôme Payette. Ça peut paraître cliché de le redire, mais y’a tellement de choses qui changent, d’adaptation à faire, tellement un besoin de représentation – et plus que jamais, j’en ai l’impression. »

Le principal cheval de bataille du secteur de l’édition aujourd’hui est le projet de loi fédéral C-11 modifiant la Loi sur la radiodiffusion et les représentations sur celui-ci qui ont été menées ces dernières semaines « en coalition avec nos partenaires du secteur de l’industrie de la musique ». À cela s’ajoute l’enjeu d’une Loi sur le droit d’auteur « qui permettra de générer de meilleurs revenus pour l’industrie » et les démarches visant à obtenir davantage de financement public pour les membres de l’APEM, « un dossier sur lequel nous avons tout de même réussi à avancer depuis vingt ans. Ce fut d’ailleurs l’une des grandes victoires de l’APEM au fil du temps : avoir accès aux sources de financement public auxquels d’autres acteurs de l’industrie avaient droit. Aujourd’hui, les éditeurs de musique peuvent demander de l’aide, par exemple à la SODEC et à Musicaction, et ça a permis de faire progresser notre secteur. »

Mais le principal défi de l’APEM, reconnaît Jérôme Payette, est encore de nature pédagogique. Rouage essentiel et important générateur de revenus pour l’industrie, l’édition musicale demeure mal comprise par plusieurs acteurs du milieu, à commencer par les auteurs-compositeurs eux-mêmes. « Depuis vingt ans, on explique notre métier, et je crois qu’on aura encore besoin de le faire pour les vingt prochaines années, reconnaît le directeur général. Au premier abord, ce que les gens ne saisissent pas tout de suite en arrivant dans le milieu, c’est que l’industrie de la musique est un secteur très très sophistiqué. Souvent, on nous dit : y’a pas moyen de simplifier tout ça ? Ce à quoi je réponds : si c’était possible, on l’aurait fait ! Or, avec les centaines de personnes que nous avons réussi à former à travers nos programmes – pas nécessairement des gens qui travaillent aujourd’hui comme éditeurs, souvent plutôt comme agents d’artistes, par exemple -, je crois qu’on a constaté une meilleure compréhension, et reconnaissance, du métier d’éditeur. »

Ainsi, la mission de l’APEM s’articule sur deux pôles : former les membres et les rassembler autour d’objectifs communs. « J’aime le mot « coopétition ». On le constate aujourd’hui, nos membres se connaissent, se côtoient et collaborent, au sein des différents comités de travail de l’association, notamment. Ce travail de formation a permis de bâtir une communauté qui, au fil des ans, a contribué à faire reconnaître l’importance de cette profession, même si ce sera toujours à refaire. On évolue, après tout, dans un tout petit marché, nos membres sont tous indépendants, les majors sont peu présents », rendant encore plus nécessaire cette coopération entre éditeurs, et éditeurs avec les autres secteurs de l’industrie musicale québécoise.

Enfin, l’APEM profitera de sa journée aux Francos pour décerner à Lucie Bourgouin, fondatrice de l’agence de consultation spécialisée en droits d’auteur Permission Inc., son Prix Christopher-J.-Reed 2022. Ce prix est remis « à une personne engagée dans sa communauté professionnelle, qui témoigne d’un grand respect des créateurs et du droit d’auteur et dont la contribution pour l’exercice et la reconnaissance de la profession d’éditeur musical est exceptionnelle », précise l’intitulé.