Présenté dans le théâtre mobile Le QUBE érigé aux abords du Casino de Montréal, le spectacle interactif Plamondon créé par Gregory Charles offre une rétrospective de la carrière du plus grand parolier de la francophonie.

Il y a quelques mois à peine, Luc Plamondon et Gregory Charles ne se connaissaient pas. Ils s’étaient bien croisés sur quelques plateaux de télévision, mais sans plus. Une complicité évidente entre les deux hommes est pourtant née au cours des dernières semaines, alors que se sont enchaînées les répétitions du spectacle Plamondon auquel participent les interprètes Johanne Blouin, Brigitte Boisjoli, Marie-Ève Janvier, Jean-François Breau et Martin Giroux.

En entrevue sur la scène du QUBE, l’un complète les phrases de l’autre et vice-versa. Quand le plus jeune ne tarit plus d’éloges vis-à-vis son ainé, ce dernier rigole, commente et ne se fait pas avare d’anecdotes qui jettent un nouvel éclairage sur des pièces emblématiques de son répertoire. Des chansons qui ont marqué le parcours de Gregory Charles. « Je suis un enfant de Plamondon, avance-t-il d’emblée. Son premier hit, Les Chemins d’été chanté par Steve Fiset, date de 1970, et je suis né en 1968. Toute ma vie a été bercée au son des chansons de Plamondon. »

La table était mise. Comment ces pièces ont-elles influencé son existence? Et surtout, qu’est-ce que Plamondon vivait au même moment? Résumé d’une conversation-fleuve couvrant 45 ans de carrière.

Un ti-gars et son tricycle

Gregory Charles: Les gens qui se souviennent de moi dans le quartier où j’ai grandi savent que je me promenais tout le temps en tricycle en chantant des chansons. Je devais avoir 3 ou 4 ans. Ma mère, en tant que Québécoise, écoutait beaucoup de musique francophone. Les Chemins d’été (Dans ma Camaro) et J’ai rencontré l’homme de ma vie de Diane Dufresne figurent parmi les premières chansons qu’elle m’a apprises. Surtout qu’à l’époque, Plamondon amenait une autre dimension à la musique pop d’ici. On sortait de l’époque gomme balloune de Jeunesse d’aujourd’hui, et il contrastait avec des textes sérieux conçus pour de la musique pop. Il avait, et a toujours d’ailleurs, le don d’écrire des phrases fortes qui nous définissent à un moment précis de notre vie.

Luc Plamondon: J’ai eu la chance de démarrer avec les meilleurs compositeurs: André Gagnon, François Cousineau, Germain Gauthier, Michel Robidoux. J’avais des études en langues modernes et en histoire de l’art. Je m’étais préparé à devenir enseignant. J’avais même fait un BAC en pédagogie à l’Université Laval, mais j’écrivais des chansons en secret. J’ai un jour montré mes textes à André Gagnon. Il m’a dit que c’était des poèmes, pas des paroles de chansons. Ça m’a vexé sur le coup. Puis il m’a dit que nous manquions de paroliers au Québec. Quelqu’un capable de mettre des mots sur une musique. Il m’a joué la mélodie de Les Chemins d’été, et trois jours plus tard, je revenais avec le texte. L’inspiration ne venait pas de très loin. J’arrivais de San Francisco où André Gagnon avait une Camaro décapotable. Puis Monique Leyrac et René Claude m’ont demandé d’écrire pour elles. Quand j’ai rencontré Diane Dufresne, ç’a été l’étincelle absolue.

Luc Plamondon, Gregory CharlesParoles et Musique: Vous avez écrit plus de 70 chansons pour Diane Dufresne, la majorité avec le compositeur François Cousineau. Quel impact avez-vous eu sur les mélodies de Cousineau ou sur celles des autres compositeurs avec qui vous avez travaillé à travers le temps?

LP: Je crois surtout avoir eu un impact sur la structure des chansons. Par exemple, pour faire une comédie musicale, ça prend un compositeur capable d’adapter ses compositions aux textes, d’étirer des couplets ou des refrains. Michel Berger (Starmania) et Richard Cocciante (Notre-Dame de Paris) ne changeaient pas une note à leurs mélodies, mais on pouvait jouer avec la forme des chansons. Pour Le Blues du businessman, nous avions toute la première partie. Six mois plus tard, j’ai eu le flash de la fin: « J’aurais voulu être un artiste! » J’ai demandé à Berger de me rejouer la première partie au piano. Lorsqu’il était rendu à la fin, je lui ai mis sous le nez les paroles de la deuxième partie. Il a pris une courte pause pour les lire. Et il a chanté « j’aurais voulu être un artiste » pour ensuite plaquer l’accord. On a tout de suite ressenti des frissons.

GC: Tous ceux qui entendent la chanson ressentent les mêmes frissons. Mes parents m’avaient amené à la Comédie Nationale pour voir Starmania. Ils adoraient les comédies musicales. Ils me traînaient à New York pour voir Oliver ou The Wiz avec Michael Jackson et Diana Ross. Ce genre de spectacles n’existait pas au Québec avant Starmania. Et l’opéra rock contient tellement de succès que tu peux t’identifier à un paquet de personnages. Celui d’S.O.S. d’un terrien en détresse, celui du Blues du businessman, celui de La Complainte de la serveuse automate. C’est comme un gros téléroman, tu adoptes un personnage qui te ressemble, et voilà un lot de chansons qui viennent avec.

LP: Souvent, des gens me disent que Starmania a changé leur vie. Mais Starmania a aussi changé ma vie. J’écrivais avant pour Diane Dufresne, Renée Claude, Françoise Hardy et Catherine Lara. Après Starmania, c’était Julien Clerc, France Gall et Robert Charlebois. Un nouveau bassin de chanteurs venait de s’ouvrir à moi.

Gregory Charles

Entre folie et génie

GC: C’est sûr qu’on parle beaucoup de Starmania, mais Le Parc Belmont demeure ma chanson préférée de Luc. Lorsque cette pièce sur la folie paraît à la fin des années 70, mon grand-père est déjà très malade. Aujourd’hui on appelle ça de l’Alzheimer, mais à l’époque, on disait qu’il était sénile. Ma mère se posait beaucoup de questions sur la responsabilité des enfants quand leurs parents perdent la boule. Elle prenait la chanson et en faisait quelque chose de très personnel. Aujourd’hui, c’est elle qui souffre d’Alzheimer, et c’est moi qui a recours à la même chanson pour réfléchir à la situation.

LP: Moi, c’est ma tante Marianne qui était venue vivre chez moi après le décès de son mari. J’étais jeune. Je l’adorais. Elle me prenait sur ses genoux pour me fredonner des chansons. J’ai appris plus tard qu’elle avait été placée dans un hôpital psychiatrique. Je lui ai rendu visite, et elle semblait avoir toute sa tête. Elle voulait que je la sorte de là. J’ai donc demandé à une religieuse pourquoi elle était internée. « Mais c’est parce que vous ne la voyez pas dans ses périodes de violence », qu’elle m’avait répondu. Ça m’avait fait tellement de peine. Je suis parti écrire Le Parc Belmont. Il faut dire qu’écrire pour Diane était aussi très stimulant.

GC: Diane Dufresne a été un excellent véhicule pour Plamondon. Pas le seul, mais un des plus flamboyants et puissants. Dans les années 80 et 90, c’est Luc qui devient un véhicule pour un chanteur ou une chanteuse. Les pièces écrites par Luc à cette période sont souvent devenues les plus gros hits des artistes. Pour une histoire d’un soir a marqué la carrière de Marie-Denise Pelletier. Francine Raymond a connu beaucoup de succès, mais Vivre avec celui qu’on aime est son plus important. Julien Clerc a relancé sa carrière avec Coeur de rockeur. À partir de la fin des années 80, je commence à animer à la radio. Je ne fais que ça tourner des succès de Plamondon. L’album Dion chante Plamondon, c’est majeur. Ça aurait été assez pour faire de la décennie 90 un succès pour Plamondon, mais non, il a fallu qu’il fasse aussi La Légende de Jimmy et Notre-Dame de Paris.

Luc PlamondonP&M: Justement M. Plamondon, on a l’impression que vous avez tout accompli. Qu’est-ce qui vous fait professionnellement saliver en 2015?

LP: J’ai plusieurs nouveaux projets. Je suis en train d’écrire une comédie musicale à partir de musiques de Schubert. Une nouvelle méga-version de Starmania sera montée à Paris en 2018. Mais là, ce qui m’allume le plus est de venir ici pour assister aux représentations de Plamondon. Brigitte Boisjoli me coupe le souffle lorsqu’elle chante La Complainte de la serveuse automate. Martin Giroux a passé les répétitions à me donner des frissons. C’est ça qui me fait encore saliver.

GC: Le visage de Luc s’allume chaque fois qu’un bon interprète donne vie à l’une de ses pièces, peu importe que la chanson ait 30 ans ou six mois. Heureusement pour lui, et pour nous, s’il a gardé cet émerveillement pendant 45 ans, il l’aura jusqu’à la fin de ses jours.