Charles Aznavour fait partie de ceux qui ont su résister à l’épreuve du temps et des modes, de ces quelques paroliers francophones, les rares, qui ont su toucher un public qui ne parle même pas leur langue. Et c’est à ce géant que l’éditeur Jehan V. Valiquet dédie son tout dernier grand projet d’album.
Jehan V. Valiquet œuvre dans les coulisses de l’industrie musicale depuis presque 40 printemps et à titre d’éditeur, de gardien des droits d’auteurs, en somme, pour quelques-uns des plus beaux textes des chansons du Canada, de France et de Belgique. Les répertoires de Serge Lama, Julien Clerc, Vanessa Paradis et Yves Duteil chez nous ? C’est lui. Certains des plus beaux titres de Ginette Reno, Lara Fabian, Robert Charlebois, Charles Trenet et Félix Leclerc logent également chez Musinfo, sa compagnie.
Au fil des ans, il a su gagner la confiance de Gérard Davoust, héros de l’ombre par excellence, le directeur général des Éditions Raoul Breton. Une maison de légende, assurément la plus prestigieuse de France.
« Un moment donné, j’ai pu avoir Serge Lama et puis, à cette époque-là, il était représenté par Breton. Ce que je faisais, c’est que je prenais rendez-vous avec Gérard Davoust pour lui présenter les rapports sur ce qui vend, ce qui tourne. On était toujours dans le vouvoiement et c’est un peu normal, ça se vouvoie entre frères et sœurs là-bas ! […] C’était très froid, je dirais, mais il m’invitait de temps en temps pour manger des huîtres pas loin de son bureau sur la rue Rossini. Une fois, je lui ai dit ‘’vous savez M. Davoust, ce qui m’intéresserait ? C’est le catalogue de Charles Aznavour.’’ Il m’a répondu ‘’vous savez, M. Valiquet, ça pèse lourd !’’ Mais moi, je ne connaissais pas l’expression… Alors, j’ai dit, ‘’pas de problème, j’ai de la place dans ma valise !’’ Je pensais qu’il voulait me donner des partitions, tout ça. Il a dû me prendre pour un deux de piques… »
Au fil leurs rencontres toujours très solennelles, à Paris ou à Cannes pendant le MIDEM, Gérard Davoust a fini par desserrer sa cravate et prendre ses aises, par passer du « vous » au « tu » pour lui offrir, et presque sur un plateau d’argent, le répertoire du grand Aznavour. Un moment crucial. Jehan V. Valiquet en garde par ailleurs un souvenir indélébile. « En sortant, il m’a dit ‘’en passant, je te donne Aznavour’’. Je ne m’attendais pas à ça. Il est entré dans son bureau et moi, j’étais en plein milieu de la rue. J’ai crié ‘’wow’’ et les gens ont dû penser que j’étais fou ! »
Seize ans après avoir rassembler autant d’artistes dont Pierre Lapointe (qui interprétait Les plaisirs démodées) et Diane Dufresne autour d’un album en hommage à Charles Aznavour, Jehan V. Valiquet remet ça avec un autre projet en tout point semblable, mais réunissant exclusivement des femmes. Parmi elles : la virtuose du spoken word répondant au sobriquet Queen Ka, la Montréalaise d’origine haïtienne Rebecca Jean et la pianiste Valérie Lahaie. Que des artistes complètes, que des dames, membres SOCAN, qui sont, elles aussi, capables d’empoigner la plume. Des Amoureuses des mots, finalement.
« Ce sont toutes des auteures-compositrices-interprètes, évidemment chanteuses, musiciennes pour certaines. Elles sont toutes signées en exclusivité chez Musinfo, je suis éditeur de leurs chansons. J’ai eu ce flash-là pendant la pandémie. […] C’est une belle opportunité pour faire connaître ces filles-là, elles font toutes leur petit bonne-femme de chemin avec leurs réseaux sociaux, Spotify, YouTube, Apple Music, tout ça. »
Annie Poulain est l’une d’elles, une vocaliste jazz au registre d’alto qui s’est illustrée plus d’une fois avec des nominations au Gala de l’ADSIQ, la créatrice du disque Dix piano une voix paru de façon pleinement indépendante en 2018. C’est elle qui entonne Le jazz est revenu, un titre on ne peut plus actuel considérant le récent succès d’un projet jazzé comme Les Louanges, ou la récente ascension d’une musicienne comme Dominique Fils-Aimé. « Maintenant, j’espère simplement que la vision d’Aznavour à cette époque se voulait prémonitoire, souligne-t-elle, et que le jazz reviendra véritablement en force dans les prochaines années ! »
La Mamma a également droit à un nouveau tour de piste, portée par la voix de l’Italo-Québécoise Dominica Merola. Un texte qui résonne en elle d’une façon différente, à présent. « Avec l’année que nous venions de traverser, privés de baisers, des caresses de notre propre mère, cette chanson m’a prise dans les tripes »
Le monde change, mais, grâce au travail créatif d’édition de Jehan V. Valiquet, les mots de Charles Aznavour demeurent, actuels et perméables à toutes les épreuves qu’on traverse collectivement, absolument intemporels.