C’est à Paris, la ville qu’il habite depuis maintenant trois ans, que l’on joint Peter Peter pour parler de son troisième album, Noir Éden, un petit bijou d’électro pop déjà encensé par la critique française. Alors que Montréal se réveille sous une épaisse couche de neige, le soleil brille en Île-de-France où Peter Peter, volubile et enthousiaste, raconte la genèse de ce disque aussi pop que planant, créé à cheval entre les deux continents.
« Il a était fait en partie à Montréal, car je voulais retrouver l’équipe d’Une Version Améliorée de la Tristesse, surtout le réalisateur, Emmanuel Éthier ; et en partie à Paris, car c’est ma maison », explique-t-il « En fait, tout a commencé dans mon appartement, qui est probablement le lieu qui a le plus influencé le son de l’album. Puis je suis allé à Montréal, je suis revenu à Paris et j’ai fini le mix à Montréal ! »
On pourrait croire à une recette dont l’auteur-compositeur-interprète cherchait à doser les ingrédients avec précision, mais ne perdez pas votre temps à chercher des images de sanglier au sirop d’érable ou de poutine au camembert ; la musique de Peter Peter existe dans une géographie intérieure qui n’appartient qu’à lui. « Chose certaine, je peux te dire que je n’ai pas tenté de faire consciemment un album » à la française « , d’autant que ça ne veut plus dire grand-chose à notre époque de mondialisation. Chaque ville a sa personnalité propre, son contexte particulier, c’est évident, mais les genres musicaux transcendent de plus en plus les frontières. »
Si le fait d’emménager en France ressemble à un choix de carrière calculé, destiné à établir sa présence sur le marché européen, Peter explique que ses ambitions sont plus personnelles que professionnelles et qu’il s’agit plutôt de la concrétisation d’un rêve de jeunesse. Une sorte de promesse qu’il s’était fait ado, alors qu’il habitait encore la Vieille Capitale. « Quand je vivais à Québec et que j’écoutais en boucle les Smashing Pumpkins, je rêvais de fuguer, de prendre un bus et d’aller m’installer dans une ville où on ne parlait pas français, comme Toronto. Disons que j’avais une conception un peu limitée de l’exotisme ! Je ne l’ai pas fait, mais c’est le même sentiment qui m’a poussé à m’installer à Montréal et ce changement-là a été une sorte d’épiphanie. Ça m’a rendu plus curieux, plus épanoui et ma perspective du monde a été transformée. Mais ce n’était pas encore assez dépaysant alors dès que j’ai eu un contrat de disques en France, je me suis dit que j’avais l’occasion de m’installer dans un endroit où le choc serait plus grand, car je ne connaissais personne. »
« Je ne suis pas plus connu en France qu’au Québec. La grosse différence, c’est qu’il y a dix fois plus de monde ici ! »
Sans être un star ultra médiatisée, Peter Peter s’est bâti un public de fidèles dans l’Hexagone depuis la parution d’Une Version Améliorée de la Tristesse il y a trois ans. Les médias semblent être sensibles à son charme, notamment le magazine Les Inrockuptibles, qui parlait récemment de lui comme du « chanteur de variété maudite qui manquait à la pop francophone ». Vu d’ici, on pourrait croire à une véritable vague d’amour, mais Peter relativise aussitôt notre enthousiasme.
« J’ai mon petit public qui aime mes chansons mélancoliques et j’attire l’attention de certains médias ; mais toutes proportions gardées, je ne suis pas plus connu en France qu’au Québec. La grosse différence, c’est qu’il y a dix fois plus de monde ici ! » N’allez donc pas imaginer que Peter Peter est un nouveau Roch Voisine. Lorsqu’il se promène dans les rues de Paris, il n’est pas assailli par des hordes de jeunes filles en délire. « En fait, j’apprécie beaucoup le fait d’être relativement anonyme, précise-t-il. Je suis sûr que mon label aimerait que je sois plus populaire – et moi aussi en fait -, mais le fait d’avoir accès à mon petit public et de pouvoir en vivre, ça veut dire que je n’ai pas à faire de compromis pour aller toucher le mainstream. C’est vraiment le meilleur des deux mondes. »
S’il a longtemps cru qu’il mènerait une vie de nomade perpétuel, changeant de ville ou de pays à chaque album, Peter Peter commence au contraire à apprécier la stabilité qu’il a trouvée dans son pays d’adoption. Et s’il sera toujours un étranger (son accent ne trompe pas les Français et certains critiques prennent même plaisir à le souligner, en précisant, bizarrement, qu’il n’est pas un chanteur à voix façon Céline Dion), il ses habitudes à Paris, qui est maintenant son port d’attache.
« Je ne sais pas si c’est la trentaine qui fait ça, mais j’ai trouvé ici une certaine stabilité que je n’avais jamais connue et qui me plaît », explique-t-il. Noir Éden parle précisément de cette transition. Le disque évoque l’immense solitude de l’exil, tant géographique que personnel, mais aussi le désir de stabilité, voire de domesticité, qui anime maintenant le chanteur. « Tu as raison, c’est très présent dans les thèmes de l’album, mais ça tient aussi à la façon dont je l’ai créé. Mes deux premiers disques ont été faits un peu rapidement, à l’arrache, sur Garage Band. Pour Noir Éden, j’avais pour la première fois tout mon équipement et mes instruments installés dans mon appartement. J’avais ma bulle. »
Établi dans le quartier de Montrouge, en bordure du 14e arrondissement, Peter a regardé de sa fenêtre un monde qui s’embrasait alors qu’il se repliait de plus en plus dans son monde intérieur. « Au lendemain des attentats de Charlie, je voyais les gars du GIGN dans les rues (Groupe d’intervention de la Gendarmerie Nationale, NDLR) ; il y avait quelque chose d’apocalyptique dans tout ça et c’est ce dont parle la chanson Allégresse. » Le contraste entre la folie du monde extérieur et le cocon de son appartement et aussi évoqué dans Vénus, qui décrit l’impassibilité de son chat (qu’on entend d’ailleurs miauler au début de la chanson) devant la folie meurtrière des hommes.
Entre réflexions existentielles et envies pop (voir la très radiophonique Loving Game), Peter a créé une musique à la fois mélancolique et enlevante qui évoquerait une sorte de Pet Shop Boys post-moderne. On y trouve des passages expérimentaux, des clins d’œil acoustiques (Cristal Bleu, qui clôt l’album) et des lignes de synthés qui flirtent sans vergogne avec le kitsch. Noir Éden, comme son titre l’indique bien, est surtout un album de paradoxes, sur lequel Peter Peter semble avoir trouvé sa voie… et sa voix.
« C’est vrai que je me suis permis d’aller ailleurs vocalement, confirme-t-il. Même si je suis francophone, le fait de chanter en français a toujours représenté un certain défi pour moi… Sur les deux premiers albums, je cherchais encore ma voix et j’évitais consciemment certaines parties de mon registre ; il y avait des façons de chanter qui étaient presque taboues. J’ai encore un phrasé que je qualifierais d’anglophone, mais aujourd’hui, j’assume aussi mon côté français, comme dans ma façon de prononcer « no man’s land » ou « shangri-la » sur l’album. »
Avec ce troisième disque, Peter Peter a plongé au plus profond de lui-même, explorant les moindres recoins de son monde intérieur. Maintenant, il s’agit pour lui de reconnecter avec le public, ce qu’il fera lors du Festival Montréal en Lumières, sur la scène Club Soda. « Honnêtement, je ne me suis jamais senti aussi heureux à l’idée de remonter sur scène », avoue-t-il. « C’est un autre des grands paradoxes de ce disque : j’ai l’impression de m’être sacrifié en le faisant dans une immense solitude et je n’ai qu’une envie, me sortir de ma tête pour aller à la rencontre des gens. »