En 2018, Kaïa Kater a lancé un deuxième album intitulé Grenades. Ce projet puisait dans ses racines canadiennes, caribéennes et appalachiennes, ce qui lui a valu de nombreux éloges, une nomination aux JUNO et une place sur la longue liste du Prix de la musique Polaris. Peu de temps après la sortie de l’album, Kater planifiait sin prochain projet où elle élargirait encore plus sa palette sonore en fusionnant folk et alt-soul. Elle a lancé une interprétation de la chanson « Swim Good » de Frank Ocean et a commencé à expérimenter avec les synthétiseurs et Ableton. La production allait bon train jusqu’à ce qu’elle décide de mettre fin au projet.
« Je me sentais un peu prisonnière de mon identité de joueuse de banjo », explique-t-elle depuis son domicile de Toronto. J’avais l’impression d’avoir besoin de m’éloigner de mes racines, d’essayer quelque chose de nouveau et d’être quelqu’un d’autre. J’avais besoin d’une pause de la musique de Kaïa Kater. Et tout ça m’a envoyé dans une spirale où j’avais l’impression que je devais tout arrêter. »
Après des années épuisantes de création, de tournées et de promotion, Kater dit qu’elle se sentait comme « un cheval sur une piste » et qu’elle avait désespérément besoin de changement. Une bouée de sauvetage s’est présentée à elle lorsqu’elle a été acceptée dans le cadre de la Slaight Music Residency du Canadian Film Centre à Toronto. En un rien de temps, elle s’est replongée dans la musique d’une toute nouvelle perspective.
« C’était le scénario idéal pour que je me laisse aller », dit-elle. « Comme compositrice, tu arrives à la fin d’un processus de production généralement très long et réfléchi. Tu reçois des instructions de la part du réalisateur et parfois des producteurs. J’ai pu être au service de la vision musicale de quelqu’un d’autre et c’était tout un soulagement. Je pourrais m’inspirer des choix créatifs et du film de quelqu’un d’autre puis célébrer la sortie du film, de l’œuvre d’art. Pendant deux ans, j’ai à peine écrit, et ce n’est que grâce à ce processus que j’ai pu revenir à ma propre musique. Kater a ensuite remporté un prix Écran canadien en 2023 pour la meilleure chanson originale dans une série dramatique, pour son travail dans la série BET/CBC The Porter.
Cette expérience a également transformé sa relation avec sa propre musique et la création de son album Strange Medicine. « Je me sentais beaucoup plus libre de montrer mon travail à mes pairs », dit-elle. « Ou de partager mon travail avec des amis en leur expliquant l’histoire que j’essaie de raconter afin de savoir s’ils comprenaient où je m’en allais avec ça. Avant, j’avais super peur et j’attachais tellement d’importance à toute la musique que je m’empêchais de permettre à d’autres yeux et à d’autres oreilles d’écouter la musique avant qu’elle ne soit enregistrée. J’attribue ce changement à l’apprentissage du métier de compositrice à l’image et au fait que mon travail a toujours été critiqué et que j’ai appris qu’une critique de mon travail n’est pas une critique de moi en tant que personne ou de ma valeur. »
De 2021 à 2022, Kater s’est lancé dans un voyage d’écriture de chansons en solo pour Strange Medicine où elle s’est inspirée de la vie de la légende révolutionnaire et folklorique Julien Fédon, le célèbre activiste qui a mené une rébellion pour mettre fin à l’esclavage à la Grenade. Inspirée par son pouvoir et son héritage mythique, Kater explore les thèmes des soulèvements, de la liberté et de la vérité – d’un point de vue personnel, social et historique. Il en résulte un album introspectif et austère avec des brûlots comme « Maker Taker » et « The Witch ». Elle affirme que c’est son travail le plus intimiste à ce jour.
Kater est fière de cet album et de l’occasion qui lui a été donnée de collaborer avec des artistes comme la banjoïste folk/alt-soul Allison Russell (« In Montréal ») et Aoife O’Donovan (« The Witch »). Alors qu’elle s’apprête à repartir en tournée, elle n’a pas oublié les leçons qu’elle a apprises pendant son hiatus.
« Le succès, c’est dire non au perfectionnisme », affirme Kater. « Le succès, c’est être curieux. Pour moi, le succès, c’est prendre des risques. Le succès, c’est savoir quand j’ai fait un assez bon travail. Le succès, c’est laisser tomber le besoin d’être reconnue par plein de monde dans l’industrie, et c’est eux qui m’ont conditionnée à vouloir leur reconnaissance. C’est une guérison personnelle. Et c’est le plaisir, c’est s’amuser. Se sentir comme une personne, pas comme un produit. »