Révélé au grand public avec son deuxième album, Le feu de Chaque Jour, et par son incontournable single Mécaniques générales (lauréat du Prix de la chanson SOCAN en 2014) Patrice Michaud revient avec un troisième album sur lequel il se permet quelques audaces, sans renier la simplicité qui a fait sa signature. On décortique avec lui les pages de son Almanach.

Le succès est une bête étrange et sauvage. La plupart des artistes passent leur carrière à la traquer, mais lorsqu’ils se retrouvent face à face avec elle, certains perdent leurs moyens et la laissent s’échapper. Lorsque l’auteur-compositeur-interprète Patrice Michaud a croisé son chemin, avec la sortie de son incontournable chanson Mécaniques générales, il regardé la bête droit dans les yeux et l’a aussitôt apprivoisée.

« La popularité – et je mets ce mot entre de très gros guillemets, car je suis loin de me faire accoster dans la rue sans arrêt – ce n’est pas un statut qui me dérange le moins du monde. Moi je fais de la musique et je mets ça sur des disques dans l’espoir que les gens écoutent mes chansons, viennent me voir en spectacle. L’art pour l’art, ce n’est pas mon truc ! Je cherche le contact avec le public et même si c’était parfois difficile de gérer la job et la vie privée au cours des dernières années, je n’ai pas le moindre regret. »

La candeur de Patrice Michaud pourrait surprendre, mais c’est pourtant cette simplicité et cette franchise qui en ont fait l’un des artistes préférés du public québécois. Michaud, à l’image de sa musique, est un type franc et accessible. Avec sa gueule d’ado perchée sur un corps d’échalas, il n’a rien d’une rock star flamboyante, mais il a le don de créer des chansons intimistes, à la fois intemporelles et parfaitement en lien avec leur époque, qui frappent au cœur avant de s’incruster dans les esprits.

« Quand les gens m’abordent dans la rue, j’ai toujours l’impression qu’ils ne me reconnaissent qu’à moitié, avoue-t-il. Souvent, ils vont me chanter un bout de toune et j’adore ça parce que ça veut dire que je les ai touchés avec ce que je fais dans la vie – écrire des chansons – et pas par ma tronche. Ils ne m’aiment pas parce que j’ai fait des quiz ou des shows de variétés, mais pour LA chose que je veux faire dans la vie et ça me rend vraiment heureux. »

« Jamais je n’essaierais d’entrer en studio en me disant  » bon, ça me prendrait un Mécaniques générales numéro 2  » ; y’a pas de chemin plus court vers la déception ! »

Patrice Michaud, ne se plaint donc pas d’avoir touché la corde sensible d’un public aussi vaste que varié avec Mécaniques générales. Et si le succès passé n’est jamais garant de l’avenir, il sait aussi que cette chanson n’est pas étrangère au fait que son plus récent single, l’excellent Kamikaze, joue en ce moment en rotation forte, aussi bien sur les radios commerciales que sur les ondes publiques. Un premier coup de sonde qui annonce une belle vie pour son troisième album, Almanach.

« Jamais je n’essaierais d’entrer en studio en me disant « bon, ça me prendrait un Mécaniques générales numéro 2 ; y’a pas de chemin plus court vers la déception ! Mais je dois avouer que cette chanson a quand même un peu changé mon approche, car elle m’a permis de développer un intérêt envers l’efficacité de la chanson pop. C’est pas mal avec cette toune que j’ai grandi par rapport au son folk plus dépouillé de mes débuts. Cela dit, Kamikaze n’a absolument rien à voir avec elle dans la forme ni dans le fond. Pour être honnête, je n’étais même pas sûr que ça pouvait être un single. »

Nouveau départ

Patrice Michaud est le premier à le constater : Almanach est son album le plus hétérogène à ce jour. Il n’a pas abandonné le son folk rock qu’il polit depuis ses débuts, mais on sent une ouverture à de nouvelles sonorités, et des façons de faire différentes. Une envie de groover, d’abord, mais surtout de se mettre en danger, qui a été parfaitement comprise par son nouveau collaborateur, le réalisateur touche-à-tout Philippe Brault.

« Si je me compare à certaines personnes de mon entourage, je peux affirmer que je ne suis pas un grand mélomane, avoue Michaud. Mais je me suis repris au cours des deux dernières années, pendant lesquelles j’ai probablement écouté plus de musique que dans le reste de ma vie ! J’ai développé mon oreille par rapport à la réalisation et surtout dans la recherche de certaines tonalités. Avant de commencer, j’ai parlé à Philippe de mes envies et surtout de mon band préféré, Doctor Dog (un groupe de Philadelphie qui puise largement dans les sonorités des années 60 et 70, NDLR). J’ai tout de suite vu son visage s’allumer parce qu’il venait de comprendre qu’on allait s’amuser. »

Si le plaisir a marqué les séances d’enregistrement, la naissance d’Almanach n’a pas été facile. En panne d’inspiration, Michaud s’est retrouvé à se demander quand il pourrait se remettre à l’ouvrage, jusqu’à ce qu’une providentielle fée marraine se mette en travers de sa route. « Une nouvelle amie (l’animatrice télé France Beaudoin), que j’appelle ma mécène, m’a prêté son chalet pour que j’aille écrire et ça m’a vraiment aidé. C’est là que j’ai créé, assez rapidement, la chanson l’Anse Blanche. »  Une pièce magnifique et contemplative, sur laquelle on entend la guitare de Brad Barr (des Barr Brothers) et dans laquelle Michaud, qui a décidément une plume agile, parle du fleuve St-Laurent comme de sa « Main » à lui.

Pour délier ses muscles de compositeur, il s’est aussi inspiré des autres, en décidant d’adapter en français Temazcal, une chanson des Américains Monsters of Folk (« super groupe » qui réunit M Ward, Conor Oberst et Mike Mogis de Bright Eyes et Jim James de My Morning Jacket ). « Le truc c’est que je ne parle pas anglais, explique Michaud, alors j’ai adapté, très librement leur toune. C’était un simple exercice d’écriture, mais lorsqu’on a fait l’album, je trouvais qu’elle avait tout à fait sa place à la fin d’album. »

On l’a dit, Michaud a le sens de la formule. Ses textes, qu’il cisèle avec minutie et passion, sont au cœur de sa démarche. Mais n’allez pas le féliciter tout de suite pour cette phrase magique (« L’amour ce n’est pas quelque chose… c’est quelque part » ) autour de laquelle s’articule son single Kamikaze. Elle a été « empruntée », mot pour mot, au roman Le Nez qui Voque de Réjean Ducharme. De l’échantillonnage poétique, en quelque sorte. « Ce n’est pas la première fois que je fais un clin d’œil à un auteur, mais là, c’est le cœur de la toune alors on avait besoin de l’approbation de l’éditeur, Gallimard. C’est le genre de chose que j’ai lancé dans l’univers sans aucun espoir de réussite. En fait, je me disais que j’avais 90% de chances de ne pas recevoir de réponse, 7% de chance de me faire dire non et une petite possibilité de réussite. Et ils ont dit oui ! Ça compte beaucoup pour moi, car Ducharme a été une immense influence. »

L’almanach du peuple

Sur ce troisième album, Michaud, qui lance nonchalamment qu’il a fait la paix avec l’idée « qu’il écrit toujours la même toune », fait apparaître de nouvelles voix. Celle d’Ariane Moffatt, majestueuse et aérienne sur le magnifique duo Les terres de la Couronne et celle de son fils Loïc, 4 ans, qui narre Tout le monde le saura, un texte un peu grave, mais lumineux qui ressemble à une prière pour un avenir incertain. « Je m’étais promis que je ne voulais pas inclure de morceau de spoken word sur Almanach parce que je l’avais fait sur mes deux albums précédents. Comme je tiens rarement mes promesses, j’ai fini par inclure ce texte, mais je ne voulais pas le dire moi-même. Alors on est passés par toutes sortes de versions : masculine, féminine, polyphonique… et après avoir fait des tests avec mon garçon, j’ai trouvé que la chanson prenait tout son sens. Il ne savait probablement pas ce qu’il disait, mais il l’a fait avec un immense sourire et j’ai été très touché par son interprétation. »

C’est aussi dans ce texte qu’on retrouve le titre de l’album, ce drôle d’Almanach que Loïc prononce comme s’il s’agissait d’un fruit exotique.  « J’ai un rapport amour-haine avec mes titres », lance d’emblée Patrice lorsqu’on le questionne sur le sens à donner à celui-ci. « C’est parce que je suis moi-même un fan fini de titres, dans toutes les formes d’art et ça m’a rendu très difficile envers moi-même. Celui-ci est arrivé tard dans le processus, mais Almanach, je trouve que c’est un beau mot, un mot… intrigant. L’almanach, c’était un ouvrage qui compilait des informations importantes, sur les récoltes, les mouvements de la lune ou la météo, mais aussi des anecdotes, des recettes, des nouvelles sans importance. Bref, c’est un fourre-tout où se côtoient pratique et inutile, sacré et profane et il était distribué à l’origine par des colporteurs. Ça me rappelle beaucoup ce que je fais, finalement… »

En effet, l’image semble tout à fait appropriée : on imagine déjà Patrice Michaud en colporteur-poète, arpentant les routes de campagne pour offrir ses chansons de porte en porte. Ou plutôt de salle en salle, dès que se mettra en place une tournée (qu’il débute en février 2017) qu’on imagine aussi longue que fructueuse.