Il ne faut pas juger un livre à sa couverture, pas plus qu’un groupe à son nom. Les membres de Wintersleep, un groupe rock d’Halifax, n’ont certes pas pris le temps d’hiberner créativement au cours des cinq dernières années. Ils ont au contraire été on ne peut plus prolifiques, lançant, au cours de cette période, trois albums suivis d’importantes tournées en Amérique du Nord, au Royaume-Uni et en Europe. Ils sont d’ailleurs actuellement sur la route dans ces trois régions pour le reste de cette année afin de présenter leur cinquième album, Hello Hum.

« On ne s’est jamais posé la question à savoir s’il était temps de prendre une pause, explique le chanteur, coauteur-compositeur et guitariste du groupe, Paul Murphy. “Les chansons sont juste… là. Si les chansons n’étaient pas au rendez-vous, je ne crois pas qu’on hésiterait à prendre une pause pour se ressourcer, mais il y a toujours une nouvelle chanson qui se manifeste. La plupart du temps, c’est le même scénario : ‘Bon, on a 6 ou 7 nouvelles chansons et un peu de temps devant nous. On enregistre un nouvel album??’ Mais une fois l’album enregistré, c’est crucial de lui rendre justice en le présentant à vos fans et au public en général.”

Et dans le cas de Wintersleep, la qualité de leurs productions n’a d’égale que la quantité, et l’audacieux Hello Hum est sans conteste leur album ayant reçu les meilleures critiques à ce jour. Ce nouvel opus arrive une pleine décennie après leur premier album éponyme, mais ce n’est toutefois qu’à partir de 2007 et de l’album Welcome To The Night Sky que le groupe a réellement commencé à se faire connaître. C’est sur cet album que se trouvait leur immense succès radio, “Weighty Ghost”, titre qui a grandement contribué au Juno de Meilleur nouveau groupe de l’année décerné à Wintersleep en 2008. “Nous étions sur la scène musicale bien avant que la radio ou le reste de l’industrie nous remarquent. C’est simplement le premier de nos disques auquel ces gens ont porté attention”, remarque Murphy.

“Weighty Ghost” tourne encore à la radio et il avoue qu’il y a un danger que “les gens pensent qu’on n’a qu’une chanson à notre répertoire. Mais je ne vois pas ça comme un poids sur nos épaules. Je dois même dire que j’ai été surpris que la chanson connaisse autant de succès. On n’a jamais essayé d’écrire des simples pour la radio. Notre truc, c’est de réaliser des albums.”

Pour lui, cette pièce est une sorte “d’introduction à notre musique. Peut-être que bien des gens seront uniquement intéressés par cette chanson, mais il y en aura sûrement qui auront envie de découvrir le reste de l’album. C’est pour cela que nous avons décidé de la jouer lors de notre passage chez David Letterman [même si la chanson était parue plusieurs années auparavant].”

Murphy partage la création avec les deux autres membres originaux de Wintersleep, le batteur Loel Campbell et le guitariste Tim D’Eon, mais les nouveaux membres — Michael Bigelow (basse) et Jon Samuel (claviers) ont également participé à la création d’une et de deux chansons, respectivement, sur Hello Hum. Comme l’explique Murphy, la dynamique de création a changé au sein du groupe depuis sa formation.

“Sur notre premier album, c’était principalement mes chansons sur lesquelles Loel, Tim, Jud Haynes (le bassiste de l’époque) et moi on a travaillé en studio. Maintenant, tout le monde participe à la création des chansons. Nous avons tous des idées sur différentes sections de nos chansons et nous nous mettons ensuite au travail pour greffer tout ça ensemble. Habituellement, je trouve la mélodie et les paroles, mais de plus en plus, tous les membres du groupe contribuent à l’effort de création de chacune de nos chansons. Elles seraient toutes très différentes si on retirait l’influence de n’importe lequel d’entre nous.”

Sur la scène internationale, Wintersleep s’est bâti une crédibilité et génère une attention enviable, notamment en ayant recruté deux des meilleurs producteurs du domaine du rock pour réaliser leurs plus récents albums. C’est en effet l’Écossais Tony Doogan — qui a notamment travaillé avec Mogwai et Belle and Sebastian — qui avait réalisé les deux albums précédant Hello Hum, tandis que pour ce dernier opus, le groupe a également fait appel au franc-tireur de la production indie, Dave Fridmann, réputé pour son travail auprès de Flaming Lips, Mercury Rev et MGMT, pour ne nommer que ceux-là. Ainsi, Doogan était responsable de l’enregistrement tandis que Fridmann a réalisé le mixage, et tout ça s’est déroulé au studio de Fridmann, Tarbox Road Studios, dans le nord de l’état de New York.

Pour Murphy, ces deux têtes valaient mieux qu’une. “Au début, on se sentait presque ridicules de travailler avec Dave dans son studio, tellement sa réputation est immense. Il a apporté beaucoup d’intensité à tout le processus. Je pensais qu’il serait plus excentrique que ça, mais il est plutôt quelqu’un de très travaillant et il maîtrise parfaitement son équipement. En tant qu’ingénieur du son, il ne craint pas une seconde de pousser son équipement jusqu’à l’extrême limite. C’était vraiment cool de voir comment lui et Tony interagissaient. Ce sont de bons amis et ils travaillent super bien ensemble. Je crois qu’il y avait une petite part d’eux qui cherchait constamment à impressionner l’autre, ce qui est normal lorsqu’on travaille avec quelqu’un pour qui on a du respect.”

“Ce sont nos chansons, mais ce fut une véritable expérience de pouvoir prendre un peu de recul pour les observer donner vie à ces chansons.”



Bernie Finkelstein a porté de nombreux chapeaux au cours de sa carrière : impresario, propriétaire d’une étiquette de disques, producteur, éditeur et promoteur de concerts. Mais peu importe le chapeau, sa passion pour la musique a toujours guidé son incroyable périple. Véritable pionnier, il a fait de True North Records une des maisons de disques indépendantes les plus importantes au monde bien avant que le terme « indie » ne soit sur toutes les lèvres. Pas si mal pour un décrocheur de Downsview, en banlieue de Toronto.

« Les plus importantes qualités de Bernie sont sa loyauté, son amour passionnel de la musique, et sa capacité d’élaborer des stratégies à long terme dignes des meilleurs champions d’échec », affirme Bruce Cockburn, dont Finkelstein a longtemps été l’impresario.

C’est la curiosité qui a poussé le jeune Finkelstein à se rendre à Yorkville, l’épicentre du mouvement hippie à Toronto en 1967 avec ses cafés, l’omniprésence des drogues de toutes sortes et, bien entendu, de la musique. Certains des plus grands noms de la musique canadienne — such as Gordon Lightfoot, Joni  Mitchell et Neil Young — ont fait leurs premiers pas sur scène dans des salles du coin aujourd’hui disparues : The Riverboat, The Penny Farthing ou The Mynah Bird.

« J’ai eu de la chance », dit Finkelstein au sujet de ses débuts dans l’industrie de la musique. « Je rêvais d’une vie de beatnik lorsque j’ai quitté la maison à 17 ans. J’étais mauvais à l’école, et je suis tombé dans la musique. Ç’a été un heureux hasard parce que je suis tombé dans quelque chose que j’aimais, pour laquelle j’étais passionné et, surtout, une chose pour laquelle j’avais d’excellentes aptitudes. »

Mais outre un peu de chance, son acharnement lui a permis de suivre cette voie. Quand Finkelstein croyait en un artiste, sa détermination sans bornes attirait l’attention des gens — que ce soit pour la négociation d’une entente de distribution aux États-Unis ou pour faire grimper une chanson dans les palmarès Billboard. Ceux qui ont pu en bénéficier lui sont éternellement reconnaissants.

« Je ne suis pas du genre “mais si…”, mais on peut supposer que si ce n’avait pas été Bernie, quelqu’un d’autre aurait joué son rôle », explique Bruce Cockburn, « Mais c’est Bernie qui l’a joué. Et je suis persuadé que nous connaîtrions tous une scène musicale bien différente si on imaginait un univers où il n’existe pas. »

 

 

 

 

 

 

 

Au fil des ans, outre Cockburn, Finkelstein a mis sous contrat — sur son label True North Records, comme impresario ou les deux — des artistes incontournables tels que The Paupers, Murray McLauchlan, Rough Trade, Blackie & The Rodeo Kings et Stephen Fearing, pour n’en nommer que quelques-uns.

Actuellement en semi-retraite après avoir vendu True North en 2007, ce membre du Panthéon de la musique canadienne passe ses journées en compagnie de sa femme sur leur ferme du comté du Prince-Édouard ou à leur résidence de Toronto Nord. Il a récemment publié son autobiographie intitulée True North: A Life in the Music Business chez McClelland & Stewart.

Fait plutôt intriguant, toutefois, son livre ne traite à peu près pas de son travail d’éditeur musical. Retour en 1970 : Finkelstein et Cockburn deviennent partenaires dans Golden Mountain Music. L’an dernier, le duo a vendu l’entreprise à Rotten Kiddies, une filiale de l’éditeur américain Carlin Music. Tout comme pour la vente de True North en 2007, Finkelstein explique sa décision par le fait que la passion n’y était tout simplement plus.

« L’industrie canadienne de l’édition musicale est de plus en plus complexe », explique l’homme. « J’ai commencé à une époque où, quand votre truc se vendait à un million d’exemplaires, on vous payait en un seul versement pour ce million d’exemplaires. De nos jours, c’est l’inverse. Il y a un million de trucs et chacun d’eux ne perçoit qu’un sou. L’idée de connaître les tarifs de Yahoo en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Indonésie ne m’intéresse tout simplement pas. »

La carrière de Finkelstein en tant qu’éditeur a pris son envol dans les années 70. « Je me suis rapidement aperçu, en tant que jeune homme faisant son chemin dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’industrie de la musique, que la possibilité de gagner sa vie et de bâtir une entreprise était marginale, quasi non existante », se souvient l’homme. « J’ai donc réalisé que je devrais toucher à tous les aspects du métier. Parallèlement à cela, mes artistes me disaient “Untel veut devenir mon éditeur, que devrais-je faire??” J’ai réalisé que la probabilité qu’un artiste accepte de céder sa part d’éditeur, à l’époque, était très élevée. »

Finkelstein a donc mis en place une structure où les artistes étaient leurs propres éditeurs et, en échange d’une partie de ces droits, il agissait à titre d’administrateur. « Je ne le réalisais pas à l’époque, mais cela a rendu mon entreprise très fluide », explique-t-il. « À cause de cela, nous étions un guichet unique lorsque quelqu’un voulait une licence pour une œuvre d’un de mes artistes. Aujourd’hui, en 2012, tout le monde parle d’ententes 360, mais nous le faisions déjà il y a très longtemps. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au vu et au su des changements qui secouent l’industrie de la musique, Bernie Finkelstein se dit heureux d’en être sorti au moment où il l’a fait. Il n’aime pas particulièrement l’étiquette de « retraité », mais il est loin de se plaindre de son nouveau rythme de vie plus relax.

« Il y a des jours où ça me manque, surtout lorsque je discute avec des amis qui sont encore au travail, mais je crois qu’il était temps que je quitte l’industrie », confie-t-il. « Permettez-moi une métaphore sportive. Je crois que j’ai eu une carrière respectable : mes statistiques étaient plutôt bonnes, peut-être même suffisantes pour accéder au Panthéon, et je ne voulais pas continuer à jouer et risquer de faire baisser ma moyenne. Je suis trop fier pour ça. »



Depuis le grand débarquement de Radio Radio dans le paysage musical, le public québécois est tombé plusieurs fois sous le charme d’artistes acadiens, et pas qu’en raison de leur accent. Lisa LeBlanc, avec sa sincérité désarmante, ses textes crus et sa dégaine de prétendue cow-boy est la dernière en date. « Les gens parlent d’un renouveau de la scène acadienne, moi je considère que le couvercle a été levé sur quelque chose qui mijotait depuis des années, analyse le sympathique et lumineux Joseph Edgar, » originaire lui aussi de l’Acadie.

À l’image de ses collègues, Joseph Edgar poursuit son ascension, mais de manière un peu moins fracassante, sans brûler les étapes. « Ce que je fais est ni tout à fait pop, ni vraiment underground et les gens ont parfois un peu de misère à me situer au début… » Avant d’officier comme artiste solo, l’auteur-compositeur a connu, de 1993 à 2003, l’expérience de chanteur/parolier au sein du groupe Zéro °Celsius. « Des bands sont arrivés et ont introduit de nouveaux sons sur la scène musicale locale : Idée du Nord, qui avait même été signé sur la prestigieuse étiquette indépendante Sub Pop, Les Païens, et puis nous. L’indie-rock est arrivé sur cette scène jusqu’ici plus ancrée dans la tradition et c’est là qu’à mon avis on a pu commencer à parler de renouveau de la scène acadienne, car les nouveaux sons ont non seulement traversé les frontières, mais aussi commencé à être acceptés par chez nous. Au début, les gens avaient des réserves : la guitare électrique et l’approche plus punk, c’était presque un sacrilège aux oreilles de certains ! »

En 1995, Zéro °Celsius signe avec Warner. « Puis les choses sont devenues bizarres… On a fini par briser le contrat de disque et nous sommes devenus anti-industrie. À la fin, nous étions tellement anti-toute, qu’on était devenu anti-nous-mêmes… On s’est auto-sabotés. » Il y a eu un déménagement à Montréal et de nouvelles fréquentations… Puis une petite voix s’est manifestée, pour finalement prendre toute la place. « J’avais toujours co-composé… Pendant un an et demi, j’ai eu un band transitoire, Joseph Edgar et la société sonore. » Mais l’artiste de Moncton a fini par faire cavalier seul et il vient de lancer son quatrième album solo, Interstices.

À fleur de peau
Ce qui saisit d’abord à l’écoute de cet album lancé au printemps dernier, c’est la voix. Il y a quelque chose de viscéral dans la livraison chantée, quelque chose de vrai, de brut. « Moi j’aime la musique imparfaite. Je care pas si y’a une couple d’erreurs, j’aime que les artistes laissent des traces de leurs phases exploratoires. » Voilà pourquoi, il a confié la réalisation de l’album à Joe Gagné des Breastfeeders, rencontré en Louisiane, puis croisé à nouveau à Montréal.

Parmi les modèles de Joseph Edgar, il y a Neil Young et Zachary Richard. « Neil Young est celui dont l’esprit m’inspire le plus, car il va lui aussi du folk à l’électrique et ses meilleurs albums ont ce côté imparfait dont je parle. D’ailleurs, c’est de lui que m’est venu le titre de mon disque. Après Harvest, qui contient tous ses gros hits, il a lancé quelques albums où tout est un peu croche et émotif : des chefs-d’œuvre à mes yeux. On lui a un jour demandé pourquoi il avait tourné le dos à l’occasion de devenir une star populaire. Il a dit : “J’étais sur la route et soudain j’ai regardé dans le fossé puis j’ai réalisé que c’est ce qui vivait là, tout au fond, qui m’attirait.” Après la fonte des neiges, c’est dans le fossé que tu vois les déchets et les sédiments qui se sont déposés pendant l’hiver, mais aussi les premières fleurs, au printemps. Le laid et le beau s’y côtoient. Le titre de mon album, Interstices, est un synonyme de fossé, en clin d’œil à cette anecdote. »

Quant à Zachary Richard, ses premiers albums ont été déterminants pour le jeune musicien qu’il fut. « C’est quelqu’un qui continue de prendre des risques et il avait même fait une reprise d’une des chansons de mon groupe sur Cap Enragé. “Petit Codiac”, c’est de nous, ça. »

Vous l’aurez peut-être croisé en lever de rideau pour Daniel Boucher au cours de l’été dans le cadre des tournées du ROSEQ, ou en duo avec Lisa LeBlanc. Tendez l’oreille si vous aimez les paroliers inspirés par les détails inusités, par les petites choses que personne ne remarque. Il est aussi habile quand vient le temps de ficeler des portraits de personnages un peu décalés (« Pont MacKay », « Chemin connu », « Le fantôme de Blanchard »). Montez avec lui pour une road-song qui vous mènera jusqu’au bout de la route 56, là où s’étend le delta du Mississipi… « Tu vas là pis tu tombes sur un joueur d’harmonica qui ressemble à ta grand-mère, c’est quasiment un pèlerinage… »

Embarquement dans 5, 4, 3, 2…